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varmatin.com par Aurore Malval le 30/04/2018, à 12h04

 

Pourquoi ce jeune maraîcher fait le pari de l'agriculture locale

 


Nils Maniouloux cultivera seul 7.000 m2 de terrain. Si tout se passe bien, il plantera ses premiers poireaux, choux et carottes en juillet. A.M.

À Levens, Nils Maniouloux remet en culture 2 hectares, en friche depuis cinquante ans. Si le nombre d’exploitations fond toujours dans les Alpes-Maritimes, il veut croire qu’agriculteur est un métier d’avenir.

Il y a trois ans, un type avait dit "oui". Oui pour cultiver deux hectares, là-haut sur les terrasses de Levens. Puis il s'est ravisé ; ce n'était pas le premier. "Beaucoup se sont désistés parce qu'ils s'attendent à ce que le terrain soit directement cultivable", dit Nils Maniouloux entre deux enjambées. La terre qu'il foule est en friche depuis plus de 50 ans. " Ça peut faire peur. Remettre en forme, c'est un travail de fou", ajoute le jeune homme.  

Il s’y est engagé au printemps 2017, à la mairie de Levens qui avait relancé son appel à candidatures avec le Département – à qui appartiennent les 2 hectares – et la chambre d’agriculture. Nils avait déjà visité un terrain à Cagnes-sur-Mer mais il était trop petit. "Pour la vente et pour les aides", précise-t-il. À 23 ans, il n’a qu’une petite expérience et sur son visage, un reste d’adolescent. Il esquisse un sourire: "Limite, j’ai coupé le cordon il n’y a pas trop longtemps!" 

"Favoriser la vie"

Le jeune agriculteur est fier de dire qu’il a travaillé dans "la première Amap de France, du côté d’Ollioules." Un CDD de saisonnier, six mois, obtenu il y a deux ans grâce à des amis d’amis de la famille, qui, elle, n’a jamais travaillé la terre: "Mon père est architecte." Et puis rebelote l’an dernier, toujours dans le Var, à Roquebrune-sur-Argens, pour une exploitation où les particuliers peuvent cueillir sur pied aubergines, melons, oignons… "Au niveau main-d’œuvre, c’est un gain de temps énorme." Lorsqu’il ferme les yeux, Nils Maniouloux imagine parfois "une quinzaine de personnes en train de ramasser des fraises". Il les ouvre: "Le rêve, non?" Après un bac S, il s’était inscrit en BTS Agronomie et production végétale à Carcassonne (Aude). "J’ai fait un stage chez Syngenta." Il parle du champion des produits phytosanitaires comme s’il avait vu le diable: "J’ai été écœuré par les traitements, ça ne colle pas avec mon idée qu’il faut enrichir le sol, favoriser la vie."

Et puis Nils Maniouloux est "né ici", enfin à côté, à Cagnes-sur-Mer, et il ne voulait pas "lâcher" sa terre. Il secoue la tête: "Surtout, je ne voulais pas rester là-bas, les champs sont pollués." L’appel à candidatures posait deux conditions: être un jeune agriculteur – mais ce n’est pas très difficile parce qu’on l’est jusqu’à 40 ans – et cultiver en bio. "Ce n’est pas une contrainte au niveau de la production. On dit qu’on récolte moins, mais c’est faux. Sur le département, il y a encore peu de producteurs et énormément de demande", affirme Nils.

"Ce n’est pas juste à partir d’une graine qu’on produit"

Dans le Var pourtant, ses anciens patrons n’ont pas l’étiquette. "C’est comme du bio, très respectueux de l’environnement. Mais ils veulent être indépendants, ne pas avoir quelqu’un qui vient voir et qui dit “Ah c’est pas bien ce que vous faites là.”" Nils, lui, n’a pas le choix. Chômeur en fin de droits, sans les aides, il ne s’installait pas. Il rigole: "Ce n’est pas juste à partir d’une graine qu’on produit."

Entre le débroussaillage, le matériel, du tracteur aux chambres froides, l’irrigation et l’achat des semis, il estime son budget total à 200.000 euros, en grande partie subventionné.

A.M.

"Je voulais m'installer seul"

Là, il y aura des tomates ; ici, des haricots et des salades là-bas. Nils ne veut pas s’arrêter, il parle déjà de poules pondeuses et d’arbres fruitiers "mais un peu plus tard quand même". 1.000 m2 de serres, 6.000 m2 en plein champ. Tout, tout seul. Il sait que le challenge est plus de produire que d’écouler sa marchandise. La première récolte n’aura pas lieu avant l’automne et même à raison "d’une heure la ligne de 70 mètres de salades", elle sera rude. "De toute façon, je ne me pose plus de questions. Je voulais m’installer seul, je connais des installations où à deux, ça part en vrille. Moi j’ai toujours aimé travailler seul et 7.000 m2, ce n’est pas non plus la folie." Il rigole: "10 hectares, oui, ç’aurait été chaud." Pour vendre, on l’attend tous les vendredis au marché de Levens. Ce n’est pas ce qui lui plaît le plus, ça prend du temps, mais c’est une condition et il la comprend: "Les gens du village ont le droit de manger les produits de leur village."

La plateforme "06 à table", montée par le conseil départemental et la chambre d’agriculture pour approvisionner les cantines scolaires en denrées locales lui assure aussi un débouché régulier.

>>Lire: Et si les cantines des collèges du département aidaient à préserver l'agriculture dans les Alpes-Maritimes

Il s’interrompt, en contrebas, les pelleteuses de Force 06 s’activent. Quelques semaines plus tôt, les analyses de sol ont livré une mauvaise nouvelle: "Ici la terre est riche, mais là, il y a eu les travaux de la gendarmerie." Il désigne un petit rectangle de terrain au remblai jonché de gravats que les engins creusent. Nils voulait y installer ses serres. Il hausse les épaules: "Dans le métier, il faut savoir s’adapter et ne pas être trop fier."

L’été, la chaleur use; les hivers sont froids et tristes. Il y a cette statistique effrayante sur les suicides d’agriculteurs, catégorie socioprofessionnelle "la plus à risque". Nils Maniouloux balaye: "Ça touche beaucoup ceux qui dépendent de coopératives qui choisissent les prix, dans le maraîchage, on est plus libre. En plus, certains ne rencontrent pas grand monde." Lui, assure qu’il est bien entouré mais reconnaît "qu’on peut vite se retrouver seul dans l’agriculture" et que "l’endettement, c’est sûr que c’est très important. Si on ne rentre pas dans ses comptes…" Il dit: "mettre la clé sous la paille."

Les Alpes-Maritimes comptent un peu moins de 10 % d’exploitations en bio (ici le Jardin des Asclépiades, à Vence). L’objectif affiché du gouvernement est de 15 % dans chaque région en 2022. A.M.

Alors pour espérer à terme "tirer entre un et trois Smic", Nils a suivi avec assiduité les formations dispensées par la chambre d’agriculture: "Je dois prévoir un plan d’entreprise sur cinq ans, et ne pas m’en écarter de plus ou moins 25 %. Sinon, on peut être forcé de rembourser une partie de la Dotation jeunes agriculteurs et ça peut vite être la catastrophe."

Le soir, Nils bosse encore, sur des livres qu’il annote et qu’il fiche. Ses préférés? Savoir tout faire au jardin, – "la bible" – et La Taille des arbres fruitiers. Il a classé une vingtaine de petits dossiers, "un sur chaque culture principale". Il dévoile ce qu’il appelle sa "technique" comme un secret ancestral: "Ils ne sont pas tous d’accord sur les associations de légumes par exemple, ou la taille des arbres. Sur six, sept livres, j’en cherche au moins trois, quatre qui disent la même chose, ou je cherche à les accorder ensemble."

Sur la route qui redescend dans la vallée, on croise des grands panneaux en 4 par 3. À Saint-Martin-du-Var aussi, la municipalité cherche des jeunes agriculteurs en bio pour reprendre les terres qu’elle a arrachées à la pression foncière. "On a reçu plusieurs dizaines de candidatures", indique la mairie. Deux ou trois maraîchers devraient s’installer en septembre.

14 JEUNES AGRICULTEURS INSTALLÉS EN 3 ANS

Si le Département des Alpes-Maritimes a directement financé l’arrivée de Nils Maniouloux à Levens, la collectivité verse le plus souvent des subventions aux communes rurales pour qu’elles puissent acheter des terres agricoles. Quatorze jeunes agriculteurs ont ainsi été installés en trois ans pour près de 900.000 euros. La Métropole Nice-Côte d’Azur acquiert elle aussi des parcelles afin de les mettre à disposition de nouveaux agriculteurs, 92 entre 2015 et 2017, un peu plus de la moitié ont trouvé preneurs.

Aujourd’hui, Nils Maniouloux habite un logement à l’entrée du village. "C’est temporaire, à la fin de l’année, je serai logé dans un appartement juste en face du terrain. J’ai pas de femme, pas d’enfants, j’ai rien, déménager ici n’était pas un problème." Le corps de ferme ne sera pas occupé, Nils le savait: le conseil départemental l’exclut. "Peut-être qu’ils ont peur que le mec s’installe juste pour la maison?" Il est le dernier locataire du bâtiment, 30 m2 pour 180 euros, tarif très social, cadeau de la Ville. L’immeuble va être détruit. À la place, Nils croit savoir qu’on y construira bientôt "une petite zone commerciale".

Quelques chiffres 

1.675 exploitations
Le dernier recensement agricole (2013) dans les Alpes-Maritimes compte 1.675 exploitations agricoles dont 700 sont considérées comme professionnelles (le précédent recensement, en 2010, faisait état de 1.890 exploitations dont 770 professionnelles).

58 ans
L’âge moyen des exploitants est de 58 ans.

-12 % en 5 ans
Le nombre d’exploitations a baissé de 28 % entre 2000 et 2010, de 12 % de moins entre 2010 et 2015.

70 millions d’euros
Le chiffre d’affaires du secteur représente environ 70 millions d’euros dont 70 % pour la filière horticole (horticulture et pépinière, fruits et légumes) contre 91,5 millions d’euros en 2010.

9,7 % de bio
Fin 2016, le département des Alpes-Maritimes comptabilisait 226 exploitations certifiées bio et en conversion bio (181 en 2013, 214 en 2014, 220 en 2015), soit 9,7% de la surface agricole utile selon Agribio 06, ce qui en fait le 20e département français. Près de 36% sont des maraîchers.