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Michel Richard - Grand débat : le charmant exercice d'Emmanuel Macron

Lancée il y a plus d'une semaine, cette consultation citoyenne s'annonce aussi passionnante qu'indécise. Et le président devra jouer les équilibristes. PAR MICHEL RICHARD

On se souvient du slogan de Mai 68 « Élections, piège à cons ». Aujourd'hui, ce serait plutôt « Concertation, piège à cons ». À écouter ce que disent nombre de Gilets jaunes que relaient volontiers le Rassemblement national et La France insoumise, le grand débat national initié par Emmanuel Macron ne serait qu'enfumage, manœuvre de diversion, un piège cousu de fil blanc. Il s'agirait pour le pouvoir d'étouffer le mouvement des ronds-points et les fièvres des samedis soirs par un semblant d'écoute pour ensuite n'en faire qu'à sa tête. Un grand cirque pour une séance nationale de prestidigitation.

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Les débuts laborieux et pagailleux de ce grand débat aussi inédit qu'improvisé peuvent certes porter à suspicion. Que fera-t-on au juste de ce gigantesque matériau, forcément touffu, désordonné, libératoire, radical ici, comme peut l'être un exécutoire, contradictoire là, ou même déjanté, tel qu'issu de milliers de contributions ? Franchement, on n'en sait trop rien encore. Les responsables multiples de son organisation et les garants de son indépendance inventent en marchant, probablement aussi en trébuchant. Il est évident, par ailleurs, que Macron, par son omniprésence de showman, court le risque d'étouffer ou d'éclipser le débat quand il s'agirait plus d'écouter les Français que pour lui de se faire entendre. Mais ni les cahots de cette procédure ni l'impressionnante évangélisation présidentielle ne suffisent à conclure au pur enfumage.

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Macron ne se soumettra pas ni se démettra

Évidemment, quoi qu'il advienne et quelles que soient les mesures prises à l'issue de cet outing national, les adversaires de Macron n'y verront jamais qu'une supercherie. Ils veulent la démission de Macron et ne l'auront pas. Ils tiennent déjà pour rien, des queues de cerise, les dix milliards d'euros débloqués par l'exécutif pour redonner du pouvoir d'achat aux classes moyennes. Contre toute évidence, ils ne veulent rien entendre ni reconnaître. Rien ne les satisferait, même pas la Lune.

À plus forte raison tiendront-ils pour nulles les décisions finalement prises par le président, car elles ne seront évidemment pas la pure transcription et mise en forme de toutes les revendications recensées. Qui pourrait croire que Macron, en simple scribe, se laisse dicter sa politique par ce qui serait une sorte de cohabitation collective le privant de toute autonomie, de tout jugement, l'obligeant à bien des reniements ? Pas plus qu'il ne se démet, il ne se soumettra. La démocratie participative ne tue ni la représentation nationale (les assemblées) ni la légitimité présidentielle.

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Prendre le pouls de l'opinion

Ce débat n'en est pas pour autant un coup pour rien (ou pour rire). Pas forcément, en tout cas. Ne pas laisser les clés du pouvoir à des consultations populaires tous azimuts, ne pas donner suite à toutes les revendications (« Il y a autant de Gilets jaunes que de sujets de mécontentement », reconnaît même Jean-Luc Mélenchon), ce n'est pas les ignorer. On ne consulte jamais impunément le peuple, fût-ce dans cet exercice original qui tient du défouloir.

Prendre le pouls de l'opinion, connaître sa tension, écouter ce qu'elle veut et ne veut plus, et de tout cela, en prendre et en laisser, en prendre assez pour que l'opération n'apparaisse pas simplement homéopathique, en laisser suffisamment pour que la démagogie n'y trouve pas son compte, c'est le charmant exercice qui attend Emmanuel Macron. Pas d'enfumage, mais du filtrage, oui.

Publié le 27/01/19 à 07h30 | Source lepoint.fr

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