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Jean-Michel Blanquer, un ministre de l’éducation pris dans la tempête Omicron

Les volte-face du gouvernement sur les protocoles sanitaires dans les écoles et une communication approximative ont fragilisé sa position. Sans être lâché, il compte peu d’alliés.

 

La trousse était fermée, le cartable prêt à être rangé. A trois mois de l’élection présidentielle des 10 et 24 avril, Jean-Michel Blanquer gérait en pente douce la fin de son quinquennat au ministère de l’éducation nationale. L’ancien recteur, membre du cercle (restreint) des favoris de l’Elysée, faisait valoir son bilan dans les médias et travaillait à l’édification de son think tank, le Laboratoire de la République, destiné à alimenter la campagne d’Emmanuel Macron sur la laïcité et à combattre le « wokisme », un courant de lutte contre les discriminations, qui fragmente selon lui la société. C’était sans compter la lame de fond Omicron, qui défie toutes les certitudes accumulées depuis deux ans sur l’épidémie de Covid-19, et contribue à faire pâlir son étoile.

 

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Depuis la rentrée du 3 janvier, les établissements scolaires sont plongés dans une pagaille qui met sous tension des millions d’élèves, de parents et d’enseignants. Les images de files d’attente interminables devant les pharmacies et les laboratoires afin de faire tester son enfant ont tourné en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux.

En huit jours, le gouvernement a déjà revu trois fois son protocole sanitaire. Et le ministre de l’éducation nationale subit une déferlante de critiques parmi les plus violentes qu’il ait eue à affronter depuis 2017. Les syndicats enseignants ont appelé à une journée de grève, jeudi 13 janvier, tandis que les parents d’élèves sont invités par leurs représentants à ne pas envoyer leurs enfants en classe ce jour-là.

 

Face à cette bronca, malvenue à l’approche de la présidentielle, le premier ministre, Jean Castex, a été contraint de monter au front. C’est lui, et non Jean-Michel Blanquer, qui s’est rendu sur le plateau du journal de 20 heures de France 2, lundi, pour annoncer une « simplification » du protocole. Désormais, plus besoin de passer par la case pharmacie : trois autotests, réalisés chacun à deux jours d’intervalle, suffiront pour les élèves qui ont été en contact avec un cas positif au Covid-19 dans leur classe. Onze millions de kits d’autotests doivent être acheminés dans les officines afin de répondre aux ruptures de stock, a affirmé le chef du gouvernement.

De plus, les parents pourront finalement attendre la fin de la journée avant de récupérer leur enfant « cas contact ». Et ils n’auront plus qu’une seule attestation sur l’honneur à remettre pour certifier que ce dernier présente bien un test négatif lui permettant de revenir en cours.

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Communication désavouée

Dans les rangs de l’opposition, l’intervention de Jean Castex a été perçue comme un camouflet cinglant à l’égard du ministre. « Après une semaine de cacophonie et de pénurie, Jean-Michel Blanquer est désavoué en direct par son premier ministre. La France a-t-elle encore un ministre de l’éducation nationale ? », s’est interrogé le président du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale, Damien Abad, qui avait dénoncé plus tôt un « protocole kafkaïen ».

« Sa gestion est aussi cacophonique qu’arrogante. Blanquer est devenu un boulet pour Macron », juge le député (La France insoumise) de Seine-Saint-Denis, Alexis Corbière, tandis que le candidat d’Europe Ecologie-Les Verts, Yannick Jadot, a fustigé le « mépris » affiché selon lui envers les enseignants. Le porte-parole du Parti socialiste, Boris Vallaud, est allé pour sa part jusqu’à réclamer la démission du ministre.

 

L’intéressé s’est défendu sur BFM-TV, mardi matin, en se disant « conscient » des difficultés endurées par les familles. « Nous nous adaptons à la situation sanitaire telle qu’elle évolue, a-t-il argué, en rejetant la faute sur les autorités sanitaires. Le protocole, je ne l’ai pas inventé sur un coin de table, c’est la conséquence de ce que le Haut Conseil de la santé publique dit. » « Je veux bien qu’on fasse grève contre le Covid mais ça ne sert pas à grand-chose. Jean-Michel Blanquer fait aussi bien que possible dans un contexte très délicat », plaide le député (La République en marche) du Cher, François Cormier-Bouligeon.

 

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En déplacement dans les Alpes-Maritimes, lundi, Emmanuel Macron a regretté « une situation très difficile pour tout le monde ». D’après son entourage, le président de la République a poussé en faveur de l’allégement du protocole. « Il faut de la clarté et de la lisibilité », a réclamé M. Macron, selon des propos rapportés par un proche. Le locataire de l’Elysée avait déjà désavoué, il y a quelques jours, la communication de son ministre, qui avait dévoilé le contenu du protocole à seulement quelques heures de la rentrée dans un entretien (payant) au Parisien. « Il faut plus d’anticipation et plus de temps aux rectorats pour communiquer avec les écoles en amont », avait convenu Emmanuel Macron auprès du journal, le 5 janvier, « donnant le point » à une enseignante qui se montrait agacée sur le sujet.

M. Blanquer n’en était pas à sa première avanie. Une semaine plus tôt, il avait été contredit par les propres services de son ministère après avoir annoncé, à tort, que les élèves cas contacts devraient présenter plusieurs tests négatifs avant de pouvoir revenir à l’école.

 

Appétence pour les médias

Sans être lâché, le ministre compte peu d’alliés. Ils ne sont pas nombreux, au sein du gouvernement, à se ruer sur les micros pour défendre le soldat Blanquer. Depuis le début de la crise liée au Covid-19, il a eu maille à partir avec les tenants d’une ligne dure sur le plan sanitaire, que ce soit le ministre de la santé, Olivier Véran, ou les locataires successifs de Matignon, Edouard Philippe et Jean Castex.

« Je ne suis pas un grand confineur », reconnaît parfois celui qui aime être décrit comme le « ministre des écoles ouvertes ». Certains de ses collègues ne cachent pas leur gêne face à un homme qui, malgré le contexte, a pris le temps de participer à un colloque décrié à la Sorbonne, le 7 janvier, contre le « wokisme ». « Nous devons déconstruire la déconstruction », a lancé à cette occasion M. Blanquer, décrivant une France « attaquée » par ce courant d’idées importé des Etats-Unis. Un « virus », selon ses mots, qui trouverait sa source dans la « French Theory » des années 1970, celle des Gilles Deleuze, Jacques Derrida et Michel Foucault. « Après avoir fourni le virus, nous devons fournir le vaccin », a-t-il affirmé.

 

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En privé, Jean-Michel Blanquer se targue d’avoir contribué à ancrer le macronisme dans une ligne ferme sur la laïcité et contre l’islamisme. « Nous sommes La République en marche, pas le communautarisme en vadrouille », répète souvent l’ancien directeur général de l’enseignement scolaire sous Nicolas Sarkozy, étiqueté homme de droite au sein de la majorité. Lors de sa nomination, en 2017, il avait suggéré à Emmanuel Macron de rebaptiser l’éducation nationale en « ministère de l’instruction publique », comme sous la IIIe République. Une idée aujourd’hui remise au goût du jour par Eric Zemmour.

Au sommet de l’Etat, certains critiquent l’appétence un peu trop marquée du ministre pour les médias, qui masquerait selon ses contempteurs une forme de vanité. Sa connaissance approximative de certains dossiers est aussi soulignée. En plein conseil des ministres, le 15 décembre 2021, Jean-Michel Blanquer s’est emmêlé les pinceaux, évoquant la loi recherche au moment de parler de Parcoursup. Puis, inversement.

A la case bilan, le ministre se targue du dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones d’éducation prioritaire. « Les mesures les plus sociales du quinquennat viennent de ce ministère », a-t-il récemment vanté auprès d’un proche. A son débit, les voix critiques rappellent que le niveau des élèves en mathématiques s’est effondré pour les élèves de CM1 et de 4e, comme l’a révélé l’enquête Timss en 2020.

 

Ambitieux – son nom avait circulé un temps pour Matignon –, Jean-Michel Blanquer cherche une circonscription en Ile-de-France où se présenter aux élections législatives de juin. A 57 ans, il se verrait bien continuer à son poste en cas de réélection d’Emmanuel Macron. Il lui faudra d’abord sortir indemne de la tempête Omicron.