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L’essor des apparthôtels en ville, ou comment les hôteliers industrialisent le concept du Airbnb

Les résidences d’apparthôtels se multiplient dans les grandes villes, en particulier dans des bureaux reconvertis. Elles surfent sur l’attrait grandissant des voyageurs pour des appartements avec cuisine, de type Airbnb.

Par Jessica Gourdon

Publié le 08 juillet 2025

Le premier hôtel parisien Zoku, construit à Porte de Clichy, à Paris, en octobre 2022.

 Le premier hôtel parisien Zoku, construit à Porte de Clichy, à Paris, en octobre 2022. XAVIER POPY/REA

 

Démodés, voire ringards, il y a quelques années, les apparthôtels connaissent, en France, une nouvelle jeunesse. Le nombre de ces résidences proposant des studios ou des appartements avec cuisine est passé de 500 à 700 en dix ans, d’après la Fédération nationale des résidences de tourisme (FNRT), et le nombre de nuitées est passé de 18 à 28 millions sur la même période.

« C’est un marché qui croît deux fois plus vite que celui des hôtels en Europe », résume Xavier Desaulles, directeur d’Adagio, une coentreprise d’Accor et de Pierre & Vacances qui dispose de 130 résidences, dont 84 en France. « On a encore de la marge, ajoute-t-il. Aujourd’hui, les apparthôtels représentent environ 3 % de l’inventaire des chambres hôtelières. Aux Etats-Unis, c’est 10 %. »

 

Si ce secteur progresse, c’est d’abord parce que le tourisme s’est fortement développé dans les grandes villes au cours des vingt dernières années, que cela soit à Paris, mais aussi à Lyon, Nice, Marseille, Bordeaux… C’est aussi parce que l’offre s’est renouvelée. Les « vieux » acteurs, comme Appart’City et Adagio, se sont lancés dans des grandes opérations de rénovation et ouvrent des résidences plus modernes. De nouveaux entrants viennent les bousculer, comme Edgar Suites, Pepper & Paper, Hife, Locke, Zoku, avec une image jeune, une décoration travaillée, des espaces de coworking, des apéros avec DJ…

 

Si ces résidences se développent, c’est aussi parce que, pour les hôteliers, elles sont plus rentables que l’hôtellerie classique. Les séjours sont plus longs (trois ou quatre nuits, au lieu d’une ou deux), ce qui limite les besoins en ménage. Les parties communes réduites : il n’y a souvent pas de restaurant. Les besoins à l’accueil sont moins importants… « On a deux fois moins de charges de personnel qu’un hôtel classique, type Ibis, résume Xavier Desaulles, d’Adagio. On peut dégager un bénéfice (avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) de 15 %, quand l’hôtellerie est en dessous de 10 %. »

« Voyages intergénérationnels »

Si les voyageurs se tournent de plus en plus vers ces résidences, c’est aussi parce qu’Airbnb a popularisé le concept d’appartements avec cuisine. Qu’ils soient en déplacement professionnel ou en vacances avec leur famille, les touristes ont pris goût à disposer de plusieurs pièces. « Ces apparthôtels se prêtent bien aux voyages intergénérationnels, à une époque où la famille n’a jamais été autant valorisée comme lieu de ressourcement », explique Rémy Oudghiri, sociologue à l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, qui a mené une étude pour Appart’City. Surtout, cette formule permet d’éviter d’aller au restaurant matin, midi et soir. « L’apparthôtel permet de maîtriser ce qu’on mange et de réduire ce budget quand on est en vacances, quand on a déjà beaucoup dépensé pour l’hébergement », poursuit-il.

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Airbnb les a remis sur orbite… Mais désormais, les acteurs des apparthôtels se frottent les mains, car ils pourraient profiter du durcissement de la réglementation sur les locations meublées touristiques issu de la loi Le Meur du 19 novembre 2024 qui pourrait bien faire dégonfler ce marché. « Cette régulation est une très bonne chose. Nous offrons le meilleur des deux mondes ; la sécurité de l’hôtellerie, et le concept d’Airbnb, sans les nuisances », affirme Vincent Compagnon, le président d’Appart’City, une société rachetée par le fonds canadien Brookfield et qui possède 94 résidences.

 

La croissance des apparthôtels est aussi liée à la chute d’un autre marché : celui des bureaux. En effet, la vacance croissante de ces immeubles, en particulier depuis la pandémie de Covid-19, a incité certains acteurs à les transformer en apparthôtels. « C’est plus facile de convertir un immeuble de bureaux en apparthôtel qu’en hôtel. Il y a plus de flexibilité, sur les tailles des appartements, sur les plans. Mais tout ne marche pas. La clé, c’est qu’il ne faut pas trop de profondeur. Les grands plateaux, ça ne marche pas », remarque Xavier O’Quin, cofondateur d’Edgar Suites, l’un des nouveaux acteurs de l’apparthôtel.

Sa société grossit très vite. A Paris, elle vient d’inaugurer deux résidences dans le 15arrondissement, rue de l’Eglise et rue du Hameau, dans deux anciens immeubles de bureaux – l’un abritait le siège de l’enseigne de prêt-à-porter Caroll. La prochaine ouvrira à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Appart’City surfe sur la même vague et inaugurera en 2026 une résidence d’une centaine de studios, rue Paul-Barruel, à Paris (15e).

Situations ubuesques

Au vu de cette croissance, les financements pour lancer des projets sont plus faciles à monter qu’auparavant. « Désormais, la majorité des nouvelles résidences d’apparthôtels ont un propriétaire unique », précise Clémence Favereau, déléguée générale de la FNRT. Une banque, un fonds d’investissement, une foncière… A l’origine, ces résidences urbaines se sont développées avec des particuliers qui achetaient les appartements pour y investir leurs économies, dans une stratégie d’optimisation fiscale, et signaient un bail avec un établissement Adagio, Resid’Home, Citadines ou Appart’City.

 

Ce mécanisme, qui a connu son heure de gloire dans les années 1980 et 1990, est aujourd’hui en déliquescence. Il crée des conflits entre les exploitants et les particuliers, dès lors qu’il s’agit de financer des travaux de rénovation. Au terme de leurs baux, de plus en plus de propriétaires souhaitent sortir du système, quitte à payer de lourdes indemnités d’éviction, et s’occuper eux-mêmes de la location, sur Airbnb ou Leboncoin.

On voit ainsi apparaître des situations ubuesques où une résidence d’apparthôtels est gérée en partie par un hôtelier, en partie par des particuliers, avec des conflits autour des parties communes, des boîtes à clés… Et, au milieu, des clients un peu perdus, qui ne savent pas s’ils ont le droit de s’adresser à la personne à l’accueil ou d’utiliser la salle de gym. Dans le jargon des hôteliers, on les appelle les « résidences mitées ».

 

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