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Que peuvent (encore) les maires ?

Source ALTERNATIVES ECONOMIQUES N°399 par VINCENT GRIMAULT27/02/2020

 

7e77193a664fc8089803cc15aa2af7a1.jpg « A chaque élection, on entend le même refrain, et on nous promet que la crise des vocations va être catastrophique. Mais la plupart des élus “repartent”, et c’est surtout l’âge qui les dissuade, pas les risques juridiques ou la faible indemnité », selon le politiste Sébastien Vignon.

 

Contraints par l’Etat, bousculés par l’intercommunalité, parfois dépités, les maires font triste mine à la veille des élections. Malgré des marges de manœuvre encore réelles.

#BalanceTonMaire. A l’automne 2018, le mot-clé détonne sur les réseaux sociaux. Lancé par des militants de La République en marche (LREM), il vise alors les maires ayant usé de leur marge de manœuvre fiscale pour augmenter le taux de taxe d’habitation, de quoi effacer en partie dans certaines communes la baisse de la taxe d’habitation décrétée au niveau national par Emmanuel Macron. Une anecdote qui résume assez bien l’évolution des relations entre le pouvoir central et l’échelon communal.

La commune constitue, depuis la Révolution de 1789, une institution centrale de l’organisation politique française. Et les compétences spécifiques qui lui sont attribuées restent encore nombreuses, entre école primaire, routes communales, urbanisme, transports, logement, équipements collectifs (sport, culture…), déchets, eau, ou encore sécurité et état civil. La commune est en outre le seul échelon territorial qui détient encore la « clause générale de compétence », ce qui lui permet de se saisir librement d’autres dossiers, comme la santé, l’action sociale ou le développement économique. Malgré tout, les élections municipales qui vont se dérouler les 15 et 22 mars dans les 34 841 communes françaises se font dans un climat plutôt lourd, entre remise en cause de l’échelon communal et « blues » des maires.

Dans l’œil du viseur

Les communes, et notamment les plus petites d’entre elles, sont dans l’œil du viseur. L’Etat veut réduire la spécificité française de l’émiettement communal. Une commune tricolore abrite un peu moins de 1 800 habitants en moyenne, contre 7 300 en Allemagne, 18 600 en Belgique ou encore 145 000 au Royaume-Uni ! Les lois territoriales successives (notamment 1992, 1999, 2010, 2015, et 2019 avec la toute récente loi Engagement et proximité) ont cherché à regrouper les communes au sein de grandes intercommunalités, voire à fusionner des communes entre elles. Avec un effet certain : toutes sont désormais regroupées dans des communautés de communes 1, et près de 2 000 communes ont disparu lors de la dernière décennie.

Dans la même logique, les réformes territoriales ont transféré une partie de leurs compétences à ces « com’com’ », à l’image du plan local d’urbanisme, du développement économique, ou encore de la gestion de l’eau. Le transfert de cette dernière compétence a d’ailleurs entraîné une passe d’armes entre l’Association des maires de France et l’Etat, Paris acceptant finalement de rendre le transfert obligatoire en 2026 seulement, au lieu de cette année. Les lois successives ont donc été claires (et cohérentes) ces trente dernières années : rassemblez-vous pour grossir, et c’est désormais le couple région-communauté de communes qui structurera l’organisation territoriale, et non plus la commune (ni le département).

A ce contexte s’ajoutent des décisions nationales « prises depuis là-haut » auxquelles les maires doivent se plier. A l’image de la réforme des rythmes scolaires dans les écoles municipales (2013) qui a obligé les communes à mettre en place des activités périscolaires supplémentaires. Ou encore de la réduction drastique du nombre de contrats aidés (100 000 l’année dernière, contre 460 000 en 2016), qui a fragilisé les petites mairies qui en bénéficient directement ou les associations qu’elles soutiennent : « tout un ensemble de services locaux est ainsi voué à s’éteindre : de l’épicerie communale au gîte d’étape qui vient redonner un attrait touristique à une commune », observe le sénateur (PS) et directeur de recherche au CNRS Gilles Kerrouche, qui s’inquiète dans une étude du « blues des maires » 2.

Incontestablement, le moral des édiles n’est pas au beau fixe, nombre d’entre eux s’estimant empêtrés dans plusieurs contradictions. La première concerne leur place. « La situation des maires ressemble aux compressions du sculpteur César : ils se sentent pris en tenaille entre un Etat central omniprésent, de nouvelles intercommunalités de plus en plus omnipotentes et des citoyens de plus en plus exigeants », résume Martial Foucault, directeur du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po). Malgré des décennies de décentralisation, l’Etat reste en effet le maître du jeu, entre des lois et des normes qui s’empilent et des marges de manœuvre financières qui se réduisent. Autre choc exogène face auquel les maires se sentent souvent impuissants : les mutations économiques (métropolisation de certaines activités ou délocalisations à l’étranger). Ce qui, selon l’urbaniste Philippe Estèbe, explique le discours tenu notamment par les maires ruraux sur l’abandon des petites communes par l’Etat. « La rhétorique de l’abandon est en fait un habillage de celle de l’impuissance face à une situation qu’on ne maîtrise pas. Beaucoup d’élus ont l’impression de subir leur situation sans pouvoir faire quoi que ce soit. »

Contradictions

D’autant que simultanément, une forme de consumérisme citoyen individualiste se développe, estiment les maires. Les habitants, notamment les néo-ruraux et néo-périurbains, exigeraient de leurs élus un haut niveau de services (équipement, sécurité, propreté), contrepartie qu’ils jugent naturelle avec le fait de payer des impôts. De quoi enlever aux maires l’une des contreparties gratifiantes de leur engagement : la reconnaissance de la population.

Autre contradiction difficile à résoudre : la disponibilité. La montée en puissance de l’intercommunalité a nettement augmenté la charge de travail des maires… sans pour autant réduire celle dans la commune. « Les administrés sont attachés à ce que le maire soit présent sur le terrain pour les permanences, les litiges, les accidents, mais les édiles savent qu’ils doivent aussi être présents à l’interco s’ils veulent pouvoir refaire le terrain de foot ou créer une microcrèche, car en pratique, c’est souvent elle qui détient les moyens de financer de tels équipements », explique le politiste Sébastien Vignon. Près de la moitié des maires déclarent consacrer plus de 35 heures par semaine à leur fonction, avec des conséquences sur leur vie professionnelle et personnelle. Bien sûr, les maires disposent d’indemnités (de 660 à 5 640 euros bruts par mois selon la taille de la commune), et d’autorisations d’absence au travail pour assumer leur fonction. Mais les doubles journées sont usantes, y compris pour les adjoints et les simples élus municipaux.

Le travail d’élu s’est par ailleurs complexifié et technicisé avec le passage à l’intercommunalité. Le pouvoir s’est en effet éloigné des petits conseils municipaux, observe Sébastien Vignon : « La Communauté de communes Somme Sud-Ouest est issue de la fusion de trois communautés de communes. Elle compte désormais 119 communes, avec plus de 80 kilomètres de distance entre les deux les plus éloignées. Là où les élus intercommunaux avaient noué des relations assez fortes dans des assemblées restreintes, ils se retrouvent désormais dans l’anonymat d’une giga-instance dans laquelle il faut oser parler dans des micros pour essayer d’exister au milieu de délibérations techniques. » L’intercommunalité – qui n’a pas de légitimité démocratique directe – ressemble en effet souvent à une arrière-cuisine où chaque maire défend les intérêts de sa commune lors des réunions à bureau fermé qui préparent les séances publiques, plutôt qu’un lieu de débat où les élus inventent l’avenir de leur territoire.

Enfin, 81 % des maires disent s’inquiéter des conséquences juridiques et pénales de leurs choix. Ils gardent probablement en tête la condamnation de leur homologue de La Faute-sur-Mer (Vendée) à deux ans de prison avec sursis après les 29 morts liées aux inondations de la tempête Xynthia en février 2010. Or, les élus peuvent de moins en moins compter sur l’Etat pour les assister techniquement dans la prise de décision, explique le politiste Stéphane Cadiou : « Ses services se sont largement retirés des petites villes au profit des capitales régionales. L’ingénierie à destination des petites communes est donc plus faible, ce qui tend à augmenter la peur du procès. » Gilles Kerrouche confirme que « cette perception [du risque pénal] est particulièrement tenace, principalement dans les zones rurales, quand bien même elle serait décorrélée de la réalité », rappelant que le taux des maires et adjoints poursuivis pénalement reste inférieur à 0,3 %, selon l’Observatoire Smacl Assurances.

Requiem pour la commune ?

Faut-il donc s’inquiéter de ce « blues des maires » et se préparer à la disparition de la commune ? Voilà qui amuse Stéphane Cadiou, qui rappelle que les premières critiques sur l’émiettement communal datent de la Révolution française. Même son de cloche chez Sébastien Vignon : « A chaque élection, on entend le même refrain, et on nous promet que la crise des vocations va être catastrophique. Mais la plupart des élus “repartent”, et c’est surtout l’âge qui les dissuade, pas les risques juridiques ou la faible indemnité. » La commune et les maires ne sont pas morts, insiste Stéphane Cadiou. « Paradoxalement, l’intercommunalité a renforcé leur pouvoir, car les com’com’ sont des instances surtout composées des maires [seules les communes les plus peuplées envoient aussi des élus municipaux, NDLR]. » Une analyse partagée par le sociologue Eric Charmes, qui note que les petites communes ont un pouvoir de blocage important dans les intercommunalités, sur des projets qui auraient dans le passé été décidés par leurs grandes voisines seules 3.

Malgré toutes les remises en cause dont il fait l’objet, le maire reste la personnalité politique à laquelle les Français font le plus confiance et la commune est une échelle toujours très appréciée. L’échelon local semble en fait irremplaçable, comme en témoigne le fonctionnement de la Communauté d’agglomération du Pays basque, agglomération XXL qui regroupe 158 communes, et qui a mis en place dix pôles territoriaux pour se rapprocher des citoyens.

Le malaise des maires vient en fait en bonne partie de l’évolution de leur rôle, comme le résume l’urbaniste Daniel Béhar : « Pendant longtemps, pour être un bon maire, il fallait construire une salle des fêtes, une déchetterie, une zone artisanale et un lotissement. Aujourd’hui, les élus doivent accepter de travailler en intercommunalité, penser le développement et savoir accepter d’accompagner des dynamiques complexes. » Un rôle pas simple à saisir, mais potentiellement très riche. C’est ce que montrent les quinze communes présentées dans ce dossier. Près de 35 000 nouvelles équipes pourront les imiter à partir du 23 mars.

  • 1.  Un terme qui regroupe les communautés de communes rurales, les communautés d’agglomération et autres métropoles.
  • 2.  « Le blues des maires », Fondation Jean-Jaurès, novembre 2018.
  • 3.  La revanche des villages. Essai sur la France périurbaine, La République des idées-Seuil, 2019.