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Bruit, pollution, abandon… à l’entrée de Paris, la lente agonie de l’échangeur de Bagnolet

Par Emeline Cazi et Denis Cosnard

 

FACTUEL Les élus veulent en finir avec l’encombrant échangeur de la Porte de Bagnolet, pieuvre de béton construite à la fin des années 1960. Mais comment s’en débarrasser, et comment s’en passer ? Analyse d’un cas d’école en matière d’urbanisme.

Il est tout perdu, cet homme. Au volant de sa Toyota grise, il hésite. Doit-il monter sur la rampe devant lui ? Descendre sur celle d’à côté ? Prendre la bretelle voisine, qui lui permettra, peut-être, de rejoindre le périphérique ? Ici, les panneaux n’indiquent rien de clair, et même les GPS sont désorientés. Alors, ce vendredi matin très gris, le conducteur avance lentement au milieu du carrefour. S’immobilise. Redémarre. Mord sur le terre-plein central. Recule. Et opte finalement pour le demi-tour, dans l’espoir de revenir au moins à son point de départ.

 

Bienvenue porte de Bagnolet. Une pieuvre de béton. Une « mangrove urbaine », selon l’expression des urbanistes David Mangin et Marion Girodo. Dans un rayon de quelques kilomètres s’enchevêtrent le boulevard périphérique, qui enserre Paris, l’énorme autoroute A3, un centre commercial, d’immenses tours de bureaux presque vides, quelques hôtels, un dépôt de bus, une gare routière à l’abandon, trois étages de parkings, une passerelle fermée, des bretelles en tous sens… Sans oublier un terminus de métro à la sortie duquel les vendeurs à la sauvette proposent des cigarettes « tombées du camion » pour « pas cher, 5 euros le paquet », tandis que les dealeurs sont prêts à conduire les intéressés à leur point de vente voisin.

 

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Un imbroglio déroutant et hostile pour les voitures comme les piétons. Et, au milieu de tout ce béton tagué et vieillissant, un minuscule espace vert. Trois cyprès, deux pelouses, dont nul ne sait qui les entretient. Les rares familiers du lieu l’ont baptisé « l’œil du cyclone ». Ce décor repoussant à la frontière de Paris et de la Seine-Saint-Denis est surtout « l’un des secteurs les plus pollués d’Europe », s’attriste Patrice Bessac, maire communiste de Montreuil (Seine-Saint-Denis) et président d’Est Ensemble, la structure intercommunale qui réunit notamment Montreuil et Bagnolet. Plus de 200 000 véhicules passent chaque jour sous les yeux, les oreilles, le nez et la gorge de quelque 35 000 habitants, pauvres dans la majorité des cas, immigrés bien souvent.

 

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Laid, sale, bruyant, pollué, décati, parfois dangereux : l’échangeur de Bagnolet constitue avec ses alentours un exemple parfait de l’urbanisme des années 1960-1970 dans ce qu’il a eu de plus spectaculaire et de plus brutal. Un objet urbain conçu autour de la voiture, moderne il y a cinquante ans, et aujourd’hui fort encombrant. Que faire de ces monceaux de béton ? Comment s’en débarrasser ? Mais, en même temps, comment s’en passer ? Autant de questions au cœur des discussions en cours entre Paris, les communes voisines, la région, et l’Etat. Un cas d’école sur la façon dont il est possible de repenser la ville, ses accès et la manière de s’y déplacer.

 

Agir sans tarder

Depuis quelques mois, les communes qui partagent le fardeau de cet échangeur – essentiellement Bagnolet, Paris et Montreuil – ont commencé à imaginer un autre avenir pour ces 25 hectares. Avec moins de béton et de bitume, plus de vert, et davantage de mixité sociale. Les plus optimistes veulent en faire « un symbole de la ville de demain ». Prochaine étape-clé : une rencontre au sommet avec le préfet de région, Marc Guillaume. Mais elle vient d’être repoussée, et n’est désormais attendue qu’en juin. La préfecture a besoin de temps pour analyser les trois ou quatre scénarios sur la table, allant d’une simple rénovation jusqu’à l’enfouissement de l’essentiel des infrastructures routières – une vraie révolution.

Les maires concernés espèrent néanmoins qu’un accord sera rapidement trouvé sur les grands principes de la transformation de cette porte parisienne, l’une des dernières à ne pas avoir été réaménagée. Et que l’Etat s’engagera à financer en bonne partie les travaux, évalués au départ à 150 millions d’euros, mais qui coûteront sans doute bien plus. « L’Etat partage l’intérêt de cette démarche visant à reconstruire un quartier de ville accessible, affranchi du bruit et de la pollution dus à la circulation », assure dès à présent la préfecture.

 

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Le coup d’envoi d’une vingtaine d’années de chantier pourrait alors être donné. « A terme, on aurait une ville apaisée, un périphérique recouvert, un échangeur enterré, différents parcs reliés entre eux… », rêve tout haut Tony Di Martino, le maire socialiste de Bagnolet. Mais les élus sont catégoriques : des résultats doivent être visibles dès les prochaines années. « Regardez cette rampe d’accès au parking, il passe à peine trois voitures par quart d’heure, constate Gaylord Le Chequer, premier adjoint au maire de Montreuil et cheville ouvrière du projet. C’est logique : chaque étage de parking est desservi par sa propre rampe, et le parking est aux trois quarts vide. On peut sans problème supprimer quelques rampes d’ici à la fin de ce mandat. »

 

Il faut agir sans tarder, « sinon, dans cinq ans, c’est une friche », appuie l’architecte-urbaniste Clarel Zéphir, chargé des études préalables par Est Ensemble. C’est que, dans ce petit périmètre autour du métro Gallieni, tout vieillit et se vide en même temps. Ce qui offre une occasion en or pour revoir l’ensemble de fond en comble. A un bout, les fières tours des Mercuriales sont en dépôt de bilan. Abandonnées par la Mutualité sociale agricole (MSA), qui occupait une grande partie des bureaux et a préféré s’installer à Bobigny, elles ont ensuite été vidées pour mener des travaux… qui n’ont pas commencé. Elles cherchent à la fois un repreneur et un nouveau projet.

 

Tour bourrée d’amiante

Pas évident, en effet, d’y installer deux grands hôtels, comme c’était envisagé. Il existe déjà sur place plusieurs établissements, 1 920 chambres au total, soit le deuxième parc de Seine-Saint-Denis derrière la zone de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Les tour-opérateurs avaient pris l’habitude d’y loger des touristes brésiliens, chinois et japonais désireux d’avoir une vue sur Paris pour bien moins cher qu’aux Champs-Elysées. Avec la pandémie de Covid-19, l’hôtel Ibis a été transformé en centre d’hébergement d’urgence. Les autres établissements souffrent. « Avant, on était souvent complets, mais, pour ce soir, je n’ai que 35 chambres vendues sur 248 », raconte la réceptionniste de l’hôtel Reseda, ce vendredi de la mi-janvier, tandis qu’arrive une dizaine d’Iraniens.


Un sans abris marche le long du périphérique sous l’échangeur de Bagnolet, à Paris, le 27 janvier 2022. RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »

A l’opposé, l’autre grand immeuble de bureaux, la tour Gallieni, bourrée d’amiante, est en travaux depuis un an et demi. A côté, l’ancienne gare routière internationale n’est plus que l’ombre d’elle-même, depuis la liquidation de la compagnie Eurolines en 2020. La région compte utiliser l’endroit pour installer un dépôt de 100 à 150 bus électriques, malgré des réticences côté politique. « Les élus n’aiment pas les dépôts, mais ils veulent des bus, observe Laurent Probst, directeur général d’Ile-de-France Mobilités, l’autorité régionale des transports. Je suis persuadé que nous arriverons à un accord, car, avec les bus électriques, le dépôt que nous envisageons n’entraînera ni bruit ni pollution, et créera 200 emplois. »

 

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Un peu plus loin, tout un triangle d’anciennes casses automobiles, de commerces et de logements le long du périphérique reste en attente. La mairie de Bagnolet envisage d’y créer une zone d’aménagement concerté (ZAC) et veut éviter d’accueillir trop d’entrepôts ou de sites de logistique. Pas question pour Bagnolet de redevenir la gare routière ou la plate-forme logistique de tout l’Est parisien. De l’autre côté du périphérique, Paris a par ailleurs commencé à réaménager le quartier Python-Duvernois, des HLM particulièrement vétustes. Deux premiers immeubles ont été dynamités en 2021.

 

Mais c’est surtout le cœur de la « mangrove » qui pose problème. Le très bruyant échangeur autoroutier, sorti de terre en 1969 pour relier l’A3 au périphérique, a besoin au minimum d’une révision générale, comme tout ouvrage de ce type au bout de cinquante ans. Et, bloquée au centre des cercles de béton, la galerie commerciale Bel Est se cherche, elle aussi, un avenir. Les bons samedis, Auchan y accueille 70 000 personnes. Les autres commerces n’ont pas attendu le Covid-19 pour commencer à décliner. Au total, 26 % des espaces sont vacants. Quant au « parking d’intérêt régional » de 2 400 places, le « PIR », conçu comme un relais pour les banlieusards incités à prendre ensuite le métro et à rejoindre la station République en quinze minutes, il n’a jamais marché.

 

« Un estuaire »

La porte de Bagnolet est le pur produit d’une époque où l’Etat n’hésitait pas à modifier violemment le paysage. Au milieu des années 1960, il décide de construire l’autoroute A3, et de la relier au périphérique, quitte à couper en deux la ville de Bagnolet. Pour assurer la jonction, l’architecte Serge Lana, au retour d’un voyage d’études à Dallas, aux Etats-Unis, imagine ce nouveau quartier et dessine, avec les équipes de l’Etat, l’échangeur : « Un estuaire, avec une arrivée, un départ, et, au milieu, une île. »

La scénographie est grandiose. Les tours Mercuriales et Gallieni 2 constituent les premières briques de la future « Défense » de l’Est parisien imaginée par la maire communiste de cette petite ville ouvrière. Elles doivent pouvoir être vues en roulant à 100 kilomètres par heure.Mais les financements manquent et, au début des années 1970, le projet s’arrête net, alors même que la RATP vient d’inaugurer la station Gallieni. La suite est une succession de projets inaboutis. Sur l’« île » centrale, le palais des sports de 10 000 places qui devait donner son âme au lieu tombe à l’eau. Même sort pour la patinoire, le vélodrome, la salle de rock, ou encore l’Aquaboulevard un temps envisagés. Pendant vingt ans, la dalle reste vide. A la fin des années 1980, Serge Lana arrive à faire accepter l’idée d’un centre commercial. Cela donnera au moins une raison d’utiliser le parking.

Aujourd’hui, que faire de tout cela ? En 2019, les élus locaux ont commencé à cogiter sur la meilleure façon de réaménager le centre de la pieuvre après la faillite d’Eurolines. « Mais, très vite, on a compris que les infrastructures routières étouffaient tout, bloquaient tout, et qu’il fallait les repenser aussi », raconte l’architecte Clarel Zéphir. Pour chaque bretelle, chaque tentacule du monstre, les urbanistes s’interrogent alors : peut-on le supprimer ? « Puis, en 2021, on s’est dit : “Une restructuration a minima ne sera pas à la hauteur de l’enjeu. Il faut revoir tout le quartier, en incluant les Mercuriales et Python-Duvernois », et même le quartier voisin de La Noue.

 

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C’est ainsi qu’a été élaboré un scénario radical, mais assumé par les élus : l’échangeur est détruit ou très réduit, et les voitures sont reléguées au sous-sol. L’espace libéré permet d’aménager un nouveau quartier, des galeries marchandes à ciel ouvert, des espaces verts. Les pelouses du parc départemental Jean-Moulin-Les Guilands, installé sur une butte à l’est du quartier, pourraient se prolonger jusqu’à la gare routière, franchir le périphérique, et rejoindre la « ceinture verte » parisienne. Enterrer la circulation permettrait aussi de recoudre la ville de Bagnolet, dont le centre a déjà commencé sa mue « bobo » : sur la place de la mairie, entièrement rénovée, l’enseigne bio La Vie claire, les surgelés Picard et la toute jeune librairie De beaux lendemains voisinent avec un supermarché Lidl.

« Pansement sur une jambe de bois »

A deux pas, Morning Coworking, la filiale de Nexity qui propose des bureaux à partager, plutôt habituée aux arrondissements chics de Paris, loue ses emplacements en open space 230 euros par mois dans les anciens locaux de Veolia. Aux beaux jours, des petits concerts s’organisent dans la cour de l’immeuble, après le travail. Un peu plus au sud, au cœur du triangle de Gallieni, les anciens terrains du marché à la ferraille attirent les investisseurs. Une petite dizaine d’immeubles de bureaux doivent sortir de terre, le long du boulevard périphérique, ces prochaines années.

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« Dans les cinq ans qui viennent, ce site n’aura plus rien à voir », veut croire Joachim Azan, le patron de Novaxia, une entreprise d’investissement dans le recyclage urbain, qui attend d’ici à un an son immeuble à 130 millions d’euros dessiné par Thomas Coldefy. Rentré il y a deux ans de Chine et de Russie, le nouveau directeur d’Auchan, Richard Denneulin, a aussi des ambitions pour son magasin – une garderie, des cabinets médicaux, de la verdure –, implanté dans l’une des zones de chalandise les plus importantes de France, rappelle-t-il. Il en a même pour le parking, qu’il transformerait bien en showroom pour la vente de voitures d’occasion, avec aide à la rédaction de l’acte de vente, et sur lequel il ferait aussi venir les loueurs.

Une des bretelles de l’autoroute au périphérique par l’échangeur, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), le 27 janvier 2022. RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »

Mais le scénario le plus ambitieux suppose que la réglementation « Mont-Blanc » et ses normes drastiques pour les tunnels routiers ne fassent pas exploser les coûts. C’est la raison pour laquelle l’Etat a demandé que des solutions alternatives soient étudiées. La première consiste à enterrer l’A3 par petits tronçons, « une cote mal taillée », estime Clarel Zéphir. Un autre scénario, encore moins coûteux, se limiterait à rénover l’échangeur. Cela reviendrait toutefois à poser « un pansement sur une jambe de bois », selon Gaylord Le Chequer. Ou alors, il faudrait réduire fortement le nombre de voitures passant à la porte de Bagnolet, afin de résoudre les problèmes de pollution atmosphérique et sonore.

 

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Cela pourrait impliquer de réduire la vitesse et de diminuer le nombre de files de l’A3, pour réorienter sur l’A86 et sur la Francilienne les innombrables voitures qui ne font que circuler entre le nord et le sud de l’Ile-de-France, sans entrer dans Paris. A ce stade, rien n’est arbitré, mais les élus sont déterminés. « On va mettre une pression de folie pour transformer ce quartier, promet Cédric Pape, l’adjoint à l’aménagement et à l’urbanisme de Bagnolet. L’Etat nous doit bien cela, après avoir imposé cet échangeur qui coupe notre ville en deux. »

 

 

 

A Paris, les tours Mercuriales à la recherche d’un repreneur

Les deux tours iconiques de la porte de Bagnolet, dans l’Est parisien, sont en dépôt de bilan depuis novembre 2021. Les visites ont débuté pour leur trouver un nouveau propriétaire.

Par Denis Cosnard

 

Les tours Mercuriales vues depuis l’échangeur de la Porte de Bagnolet, à Paris, le 24 janvier 2022. Les tours Mercuriales vues depuis l’échangeur de la Porte de Bagnolet, à Paris, le 24 janvier 2022. RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »

Vous avez toujours rêvé d’être propriétaire d’une tour d’où l’on domine la ville et le monde ? N’attendez plus. Les Mercuriales, les Twin Towers parisiennes, sont à vendre. Les sociétés à qui appartiennent ces deux tours qui surplombent l’Est parisien ont déposé le bilan, puis elles ont été placées en redressement judiciaire, le 7 novembre 2021. Depuis, les deux administrateurs judiciaires chargés du dossier cherchent un repreneur. Un mandat de vente a été confié à BNP Paribas, qui a sollicité 150 investisseurs et promoteurs, et débuté les visites.

 

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Mais rien n’est encore conclu pour ces deux phares plantés au bord du périphérique, porte de Bagnolet. « Et on ne laissera pas faire n’importe quoi »,prévient le maire (Parti socialiste) de Bagnolet, Tony Di Martino. En juin 2019, à l’occasion d’un changement de propriétaire, un impressionnant plan de rénovation avait été promis pour ces tours de 33 étages, parmi les plus hautes de la région parisienne. « Les Mercuriales sont une icône oubliée de l’Est parisien depuis des années. Nous avons l’intention d’en faire le point de repère de la nouvelle vision de Paris », avait annoncé le Britannique David Zisser, PDG de la société immobilière anglo-israélienne Omnam et grand organisateur du projet.

 

Son idée ? Vider les tours jumelles de leurs derniers occupants. Les désamianter. Les réhabiliter de fond en comble. Remettre des bureaux dans l’une, et installer dans l’autre deux hôtels destinés avant tout aux touristes asiatiques. Ajouter en bas un grand espace en verre, une sorte de rue intérieure où se trouveraient l’accueil des hôtels, le hall des bureaux ainsi que des commerces. Puis revendre le tout, et gagner rapidement pas mal d’argent.

 

« Divers recours ont tout bloqué »

Rien ne s’est passé comme prévu. Le calendrier a un peu dérapé. Après des discussions serrées avec les autorités, notamment l’architecte des Bâtiments de France, le permis de construire a été accordé par la mairie de Bagnolet, en février 2020. Puis « divers recours ont tout bloqué, une fois de plus », relate Olivia Michaud, une des avocates d’Omnam. Un dernier recours doit encore être traité par les juges avant que le permis soit valide.

Dans le même temps, la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a bousculé le marché de l’hôtellerie comme celui des bureaux. Le groupe américain Marriott a renoncé aux 842 chambres qu’il comptait exploiter sous les marques Sheraton et Moxy. Les candidats intéressés par des bureaux se sont faits aussi plus rares.

Résultat, de sérieuses difficultés financières. En 2021, les sociétés propriétaires des tours, Capena Office, Capena Hotel et Capena Parking, derrière lesquelles se trouvaient des investisseurs internationaux à travers des entités chypriotes, n’ont pas pu payer ce qu’elles devaient au propriétaire précédent, le fonds European real estate debt (ERED). Si bien que celui-ci a repris le contrôle des Mercuriales. N’ayant pas non plus les moyens de financer le chantier, le fonds a préféré stopper tout, et déclarer la cessation des paiements le 30 septembre.

« Du jour au lendemain, il n’y a plus eu de chauffage, plus de ménage, presque plus de gardiennage », raconte Myriam de Grandmaison, de la coopérative Plateau urbain, qui loue deux étages d’une des deux tours et y héberge temporairement des artistes, des graphistes, des sociétés d’insertion solidaire. La filiale d’Omnam en France, de son côté, a cessé toute activité et été radiée du registre du commerce le 27 décembre. Au lieu de faire fortune, tous les acteurs du projet y ont laissé des plumes.

 

« Les investisseurs ont rebroussé chemin »

« Un processus de reprise est maintenant lancé », confirme Antonia Raccat, une autre avocate d’Omnam. Cependant, « tous les investisseurs qui ont regardé le dossier en 2021 ont rebroussé chemin, donc le prix ne sera pas énorme », glisse un initié. Il pourrait être divisé par deux ou trois par rapport aux près de 100 millions d’euros de 2019.

D’en haut, il y a évidemment une vue exceptionnelle. Les Invalides, la tour Eiffel, la Défense d’un côté. Toute la banlieue est, de l’autre. Au 25e étage, les quatre créateurs de la société d’effets spéciaux Cousin Bizarre n’en reviennent pas d’être installés temporairement dans un lieu aussi rare, grâce à Plateau urbain. « Et pour deux fois moins cher qu’un coworking plus petit ailleurs ! », précisent-ils. Mais dans ces tours qui ont accueilli quelque 3 000 salariés, notamment de la Mutualité sociale agricole, BNP Paribas, Eiffage ou Darty, le silence règne en maître.

Les entreprises sont parties les unes après les autres. L’une des tours est entièrement vide. Dans l’autre, seuls 10 étages sur 33 sont confiés à des occupants au bail précaire, en attendant le début du grand chantier. C’est que l’architecture est élégante, mais datée. Les tours jumelles, inspirées de celles de New York, ont été conçues par Serge Lana et Alfred H. Milh, au début des années 1970. Les travaux à venir sont énormes pour les mettre aux normes, et au goût du jour.

 

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Leur emplacement, entre le périphérique, l’autoroute A3 et un quartier très populaire qui risque d’être en transformation pendant vingt ans, peut aussi rebuter les investisseurs. Est-ce vraiment là qu’il faut ajouter des hôtels, alors que ceux existant sont assez vides ? Des bureaux, quand tant de mètres carrés sont inoccupés dans la région ? Nicolas Ledoux, le PDG d’Arcadis France, qui a travaillé pour Omnam sur le sujet, reste dubitatif : « Le potentiel est là, mais il faut trouver un acquéreur qui croie vraiment au renouveau de l’Est parisien. »