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Les gamines à la dérive de Barbès

Elles s’appellent Hana, Soraya ou Célia et font partie de ces dizaines d’adolescents – jeunes migrants isolés ou filles souvent mineures en rupture familiale – qui zonent depuis 2016 dans les rues de ce quartier parisien, survivant dans la violence et la débrouille sans rien attendre du lendemain.

 

Hana* marche d’un pas assuré rue de la Goutte-d’Or, même quand elle tangue. Ce soir de décembre, à Barbès, dans ce quartier populaire du 18e arron­dissement de Paris, tout le monde la salue – commerçants, policiers, passants… Ils le font plus ou moins gentiment. A ceux qui crachent « pute » à son passage, elle adresse un doigt d’honneur et un regard plein de colère. Même geste envers le groupe qui la traite de « Pokémon » – elle est toute petite.

 

Hana est drôle et entraînante. Elle a de grands yeux verts, des joues rebondies couvertes de taches de rousseur et la peau encore veloutée de l’enfance. Elle porte une grande balafre sur la joue. Un coup de couteau donné par un garçon dans un squat. « C’est pas tout », rigole-t-elle en retirant son écharpe : elle dévoile deux entailles profondes au niveau du cou, tout juste suturées.

 

Son objectif du moment : rejoindre la laverie plus bas, celle dont les tambours sont d’un jaune un peu décati et où la chaleur humide est agréable. Trois copains sont déjà là, ils se tombent dans les bras. Hana veut qu’on lui roule un joint. Un garçon s’exécute. Il a la coupe de cheveux en vigueur auprès des gamins de son âge : tempes rasées et petite houppe au sommet du crâne. Bientôt, un adulte, blouson noir et barbe de trois jours, passe une tête. Deux euros le cachet de Rivotril. Cette benzodiazépine – aux effets sédatifs et anxiolytiques – à laquelle les jeunes se shootent et qui les rend méchamment accros, les jeunes la couplent systémati­quement au Lyrica, un antiépileptique également utilisé pour les troubles anxieux. Un cocktail médicaments-joints-alcools qui les laisse hagards, désinhibés et vulnérables.

Ballottée depuis ses 2 ans

Hana achète. La plaquette rouge en main, elle avale un premier cachet qu’elle arrose de Coca-Cola. Dix minutes plus tard, elle en reprend un. « Oh ! Hana, c’est pas des bonbons ! », lui hurle un copain depuis son tambour. A mesure que l’heure tourne, le regard et la voix d’Hana se voilent : « Rivotril, mon amour. » Elle se lève d’un bond : « J’ai faim. » Elle reprend un cachet – le quatrième – et file au snack, à vingt mètres de la laverie. Elle ne fait pas la queue, commande des brochettes et un sandwich. Elle veut encore du Coca-Cola et un joint. Retour à la laverie. « S’ils ont tout fumé sans moi, je vais les niquer. » A un SDF venu se réchauffer dans la laverie, elle donne la moitié de son sandwich, ses gants, un cachet de Rivotril et tout ce qu’elle a de pièces jaunes. « Le pauvre, faut bien l’aider. »

La veille, elle a un peu raconté sa vie. Elle a 13 ans. On vient de lui trouver une place en foyer à Paris, elle qui dépendait de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de son département de naissance. Française, elle a des origines marocaines. Sa mère est à l’hôpital, elle l’adore. Elle a aussi un grand frère et une petite sœur, mais elle ne sait pas ce qu’est la vie de famille. Elle ne connaît que les foyers et les familles d’accueil où on la ballotte depuis ses 2 ans. Elle préfère la rue, où elle traîne depuis deux ou trois ans, elle n’est pas douée pour retenir les dates. Elle se souvient qu’un mec l’a accostée après sa première fugue, elle l’a suivi à Barbès et elle n’est jamais repartie. « Je suis tombée dans le délire. »

 

Depuis quelques années, comme Hana, une dizaine de filles de l’aide sociale à l’enfance, qu’on appelait autrefois les enfants de la DDASS, la plupart européennes d’origine maghrébine, ont rejoint les enfants et adolescents isolés d’origine marocaine qui vagabondent depuis 2016 dans Barbès, leur quartier de ralliement. Ce groupe, constitué de plusieurs dizaines de mineurs, se fait et se défait selon les arrivées et les départs, les incarcérations et les placements en foyer. Ils ne sont jamais les mêmes, mais ils forment une bande, comme une famille qui ne cesserait de s’élargir. Parfois très jeunes (le moins âgé a 9 ans et demi, les plus vieux ont 20 ans), ces petits Marocains et leurs copines françaises, sans attaches familiales, polytoxicomanes et SDF, ont bouleversé la vie du quartier.

Enfuie, à peine sa plaie recousue

La délinquance est devenue leur métier : des vols à l’arraché dans le secteur, ils sont passés aux cambriolages de pavillons et de commerces dans la petite couronne. Ces gamins ont fait de la Goutte-d’Or leur base arrière. Trois rues qu’ils arpentent la journée entière – rue des Islettes, rue de la Goutte-d’Or et rue de Chartres. Trois rues dont les trottoirs sont perpétuellement occupés par ces gosses et des adultes venus traîner ici. Pourquoi la Goutte- d’Or ? « Parce que c’est comme au bled », répondent les gosses. On y parle arabe et on y trouve plus facilement qu’ailleurs des épiceries et des restaurants marocains et algériens.

« Il est comme mon frère, il ne m’a jamais rien demandé en échange, pas de rapports sexuels, rien, je te jure. » Hana, 13 ans, à propos de l’homme qui l’héberge.

Sa plaie au cou la fait souffrir, mais Hana endure. Cinq jours plus tôt, elle a voulu dévaliser une pharmacie avec un copain. Le copain a balancé une plaque d’égout contre la vitrine. Elle a voulu le suivre à l’intérieur, mais le verre lui a entaillé le cou. La police a déboulé. Elle a eu le temps de s’enfuir, son comparse s’est fait prendre. Elle a couru jusqu’à la gare, elle ne sait pas comment elle a tenu. Sur le quai, elle s’est évanouie. Elle se vidait de son sang. Hana s’est réveillée à l’hôpital. À peine recousue, elle s’est enfuie. Elle raconte ça comme une péripétie un peu marrante. « Khatar », commente un copain niché dans un séchoir. Ça veut dire « dangereuse », en arabe. Elle en rajoute : elle dit « zebi » [« ma bite » en dialecte marocain] tout le temps et elle écoute du gros rap, Soso Maness : « Je porte le brassard de la zone, j’suis captain/Sers-moi du Dom Pé’et garde ton lait Lactel/Et je marche calibré parce qu’on est sûr de rien. »

D’un coup, elle se redresse et sort de la laverie. Elle doit appeler le type qui l’héberge parfois dans son appartement à Barbès, à trois cents mètres d’ici. Elle a oublié le code de l’immeuble. Et le portable pourri qu’on lui a prêté après le vol de son iPhone ne marche plus. « Il est comme mon frère, il ne m’a jamais rien demandé en échange, pas de rapports sexuels, rien, je te jure. » Il est une exception.

La vie plus trépidante de la rue

Le commerçant, un vieil Algérien qui ferme sa boutique à l’heure de la prière, est désolé pour Hana : il ne peut pas l’aider, sa batterie est morte. Il lui vend pour 12 euros un vieux téléphone. En attendant qu’il soit chargé, elle roule un joint dans un coin. Le vendeur secoue la tête. Il la voit traîner là depuis des années, « ça ne s’arrange pas ». Comme beaucoup d’habitants du quartier, il a pris ces jeunes en pitié et les aide comme il peut. Une autre fille patiente dans la boutique. Brune, cheveux bouclés. « Je lui parle pas, c’est une nouvelle. Elle est algérienne. » Hana évite les Algériens et les Tanjaouis (les habitants de Tanger). « Je ne les aime pas, pas mon délire, c’est eux qui m’ont volé mon téléphone. » Elle traîne avec les garçons de Fès et de Salé. Elle raconte qu’ils se regroupent comme ça. Sur Facebook, chacun ajoute le gentilé de sa ville d’origine après son prénom. Ça donne : « Ahmed Slaoui », « Célia Lfassiya », etc. Dans la rue, ils s’appellent comme ça, « Hey Casaoui ! », et affichent leurs blases sur les murs.

« Les foyers sont réticents à accueillir ces jeunes filles sous substance et en état d’hébétement. » Aurélie de Gorostarzu, de l’association Hors la rue

Le lendemain, Hana, de retour à la laverie, a l’air plus en forme. Elle porte sur elle une petite sacoche pleine de maquillage. Elle attend son copain. Elle pense être enceinte. Ce serait lui le père. Quand il arrive, elle l’embrasse à pleine bouche. Ayman* sort du tribunal, il a obtenu un hébergement, dans le 15e arrondissement. Ces foyers de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse (lorsque les mineurs ont commis des infractions), les adolescents passent leur vie à en fuguer.

 

Deux associations, alertées par la Ville de Paris, tentent de les convaincre de s’arracher à la rue. Le Centre d’action sociale protestant (CASP), qui dispose d’un accueil de nuit, suit exclusivement les garçons, une cinquantaine, dont une vingtaine de mineurs. L’association Hors la rue s’est vu confier en 2019 le suivi des filles isolées. Celles qui traînent entre la Goutte-d’Or et Aubervilliers sont une quinzaine. « Elles font corps avec les garçons, ce sont des groupes intrinsèquement liés. Et, comme eux, certaines ne demandent aucune protection et peuvent refuser les foyers, qui paraissent fades à côté d’une vie qui leur semble trépidante », expose Aurélie de Gorostarzu, la directrice de l’association.

Lorsque des hébergements leur sont trouvés – c’est parfois difficile tant les « foyers sont réticents à accueillir ces jeunes filles sous substance et en état d’hébétement » –, les filles finissent immanquablement par partir. « Elles fantasment l’horreur de ce qu’elles vivent en existence folle et libre, poursuit la directrice. Mais elles sont victimes de violences graves et d’abus, elles sont dans un état d’addiction très avancé. Elles sont dans la survie. On a un rôle de déconstruction, on doit les ramener vers leur situation d’enfant. »

En quête de cachets

Ayman regarde l’heure, inquiet, il ne doit pas arriver après 19 heures. S’il caresse l’idée de partir en Suède, là, il veut surtout arriver à temps au foyer et ne pas merder. Venu du Maroc sept mois plus tôt, il est clean et il veut s’en sortir. Il accepte la bague que lui tend Hana, un petit anneau qu’elle portait au pouce. Il tente de la convaincre : « Va au foyer, Hana. » Elle rechigne avant de finir par l’envoyer balader. Il caresse ses cheveux avant d’éclater de rire : « Pourquoi tu as des rastas ? » Elle est vexée, de quoi il se mêle ? Elle l’aime bien et elle pourrait l’embrasser des heures, ce garçon de 17 ans à la mâchoire carrée et au regard doux. Elle le trouve beau mais « con comme ses pieds ». Finalement, elle n’a pas parlé de sa grossesse.

 

Quand Othman* arrive dans la laverie avec son énorme doberman noir, Hana exulte : elle adore ce chien. Pendant qu’elle le caresse, le serre dans ses bras et lui bricole une balle avec le papier d’aluminium de son sandwich, Othman s’allume une clope. Il est l’un de ceux qui ont réussi. Arrivé à 15 ans, il en a 19 aujourd’hui. Il est serveur et il vit avec sa copine dans un petit appartement en banlieue. Il revient voir les copains dès qu’il a le temps.

 

Quand les garçons quittent la laverie, la rue est déjà plongée dans l’obscurité. Hana a besoin de cachets. Trois adultes qu’elle connaît vaguement lui proposent d’aller au square. Ils ont des « Madame Courage » et du « saroukh » (« fusée », en arabe), les petits noms du Rivotril et du Lyrica. Un type demande des nouvelles de Célia* en mimant qu’il la baise. Hana renonce à les suivre. Des nouvelles de Célia, elle en a régulièrement. Elles s’écrivent sur Facebook et WhatsApp. Célia est aux Pays-Bas, où elle a fait croire qu’elle était mineure d’origine marocaine. On l’a placée en foyer. Elle n’a pas l’air si mal, commente Hana.

Des vies confuses et fragmentées

La première fois qu’on a croisé Célia, c’était au mois d’octobre 2020. Comme ses copines, elle n’avait pas l’air d’une marginale, elle ressemblait à une fille de son âge. Ce sont leurs mains, épaisses, aux ongles noircis, les engelures et les croûtes sur les phalanges, leurs dents abîmées qui trahissent leur vie dans la rue. Célia réclamait des cigarettes aux passants de la rue des Islettes. Elle faisait ça poliment et en souriant, avec sa grande copine Soraya*, une adolescente robuste. Elles dansaient aussi au pied des immeubles. Puis elles ont disparu.

 

Célia a grandi à Fès, à Bensouda, un ­quartier où s’entassent les familles précaires. Elle y a vécu longtemps avec ses grands-parents marocains avant de débarquer à Paris, à 12 ans, avec son grand frère, un an de plus qu’elle. Leur mère, française, était toxicomane, ils ont grandi dans les foyers. Son frère, surtout. Célia a très vite préféré la vie dehors. Elle se souvient que « la première fille à la Goutte-d’Or », c’était Sophie*, une Colombienne qu’elle a rencontrée au foyer de la Croix-Nivert, dans le 15e arrondissement, et qu’elle a suivie à Barbès. Sophie a eu une fille avec un Marocain qui s’est barré aux Pays-Bas. Elle l’élève chez sa mère. Célia, elle, ne peut plus voir sa fille, Janna, née il y a deux ans et placée en famille d’accueil. Des gens bien, il paraît.

Ces biographies, décourageantes, sont difficiles à reconstituer tant les récits, comme les vies de ces ados, sont confus et fragmentés. Ce qu’ils racontent d’eux n’est pas toujours vrai. Ni forcément faux. Les garçons disent peu combien ils ont cru mourir durant leur périple entre le Maroc et l’Espagne – ou alors ils n’ont pas conscience des risques énormes qu’ils ont pris. Les filles parlent souvent de telle ou telle copine qui a été victime de violences sexuelles, mais elles ne disent rien de ce qui les concerne. Des vidéos d’elles circulent pourtant dans le quartier. Du « revenge porn » et aussi le viol filmé d’une des petites. « Ces jeunes filles sont sous l’emprise sentimentale et financière des garçons, y compris de majeurs. La prostitution est un élément qui est avéré, souligne la directrice de Hors la rue. Elles prennent goût à cette vie dehors, mais la réalité, c’est qu’elles sont perdues et exploitées sexuellement par les adultes. »

Un pied dans la délinquance organisée

Aucune plainte n’a été déposée. Les filles donnent du fil à retordre aux enquêteurs en taisant les violences qu’elles subissent, en protégeant les adultes qui les ont violées ou livrées à la prostitution. Les garçons non plus ne dénoncent pas. Pourtant, personne n’ignore que des adultes leur vendent de la drogue, les initient à la cambriole et les contraignent à des actes de délinquance. Et aussi à des actes sexuels. Un réseau ? Pas de la mafia sophistiquée, répondent les professionnels de terrain, mais, oui, de la traite de gosses, de la misère qui se nourrit de la misère.

« On sait qu’il y a de la prostitution et des viols, mais les filles ne veulent pas en parler. » Un policier du quartier

Lassée de répondre aux journalistes sur les « mineurs marocains » de la Goutte-d’Or qui « ne sont ni mineurs ni marocains » – de fait, la plupart des jeunes qui traînent là sont majeurs et algériens – Emmanuelle Oster, la commissaire divisionnaire du 18e arrondissement soupire en entendant le mot « traite » : « Aucun service de police parisien n’a jamais présenté de dossier de traite ou de réseau. Ça ne veut pas dire que ça n’existe pas, mais, policièrement, ça n’a aucune réalité. » Des filles, elle n’a pas grand-chose à dire. « Les filles venues zoner dans le secteur, c’est extrêmement marginal. Vous allez me parler des viols ? Il n’y en a pas : elles sont là parce qu’elles ont envie d’être là. »

 

Ce n’est pas ce que racontent ses agents sur le terrain. « On sait qu’il y a de la prostitution et des viols, mais les filles ne veulent pas en parler », confie un policier du quartier, dix ans de Goutte-d’Or au compteur, qui a vu arriver les premiers garçons en 2016, puis les filles par vagues irrégulières. Il affirme aussi que « des dealeurs font travailler les garçons ». Au début, ils les poussaient surtout à voler des portefeuilles et des téléphones portables. Maintenant, « ils leur ont mis un pied dans la délinquance organisée ».

Les gamins, une main-d’œuvre bon marché, inépuisable et fiable, sont devenus guetteurs et vendeurs. « Ils ne dénoncent pas, ils ne se plaignent pas et ils sont relâchés rapidement par les juges », commente le fonctionnaire de police. Il observe que les responsables de l’immense violence dont ils sont victimes – ils ont toujours un œil au beurre noir ou une lèvre enflée – ne sont pas des gens du quartier mais ces adultes pour qui ils « travaillent ». « Les filles, on les connaît aussi très bien malheureusement, poursuit-il. Célia, ça fait bien trois ans qu’elle est là. C’est la plus ancienne sur le secteur. Et Hana, la plus jeune, elle avait 11 ans quand elle est arrivée. » Quand il les escorte jusqu’au foyer de la porte des Lilas, où elles ont leurs habitudes, elles le saluent d’un « à demain ! ». Ça le fait rire, à force.

Pattex, Rivotril, ecstasy…

En cinq ans, la situation s’est aggravée, souligne un autre fonctionnaire de police. « Au départ, c’étaient les produits ménagers, de la Pattex qu’ils sniffaient, ou du white-spirit, bref tout ce qu’ils trouvaient. Puis ils se sont mis aux joints et au Rivotril… C’est presque mignon par rapport à ce qu’ils ont maintenant : de l’ecstasy et de la cocaïne… L’autre jour, Soraya a fait un malaise parce qu’elle avait pris sept ou huit ecstasys et d’autres produits, elle ne savait même pas ce que c’était. » La nuit, tous dorment dans des squats en banlieue, des pavillons à l’abandon, sans eau ni électricité. Depuis qu’ils ne peuvent plus fracturer d’Autolib’pour y dormir au chaud, ils se reposent dans des voitures dont ils forcent les portières dans des parkings près du périphérique. « Ils ont une accoutumance à la rue. Bizarrement, ils s’y sentent bien, ils sont entre eux », dit le policier.

 

Ce soir, les rues grouillent de monde au pied de la bibliothèque de la Goutte-d’Or, qui a fermé ses portes en novembre – communiqué laconique : « Le personnel n’était plus en mesure d’assurer dans de bonnes conditions l’accueil du public et se sentait lui-même en insécurité. » Devant les snacks et les boulangeries, des hommes, des hommes, des hommes et les fugueuses de l’ASE. On mange, on discute, on se croise : c’est la place du village de la Goutte-d’Or. Et on deale. Au milieu des « Marlboro, Marlboro, Marlboro ! », un type propose à la criée « al-hamra, al-hamra ! » (« La rouge, la rouge ! »). On croit d’abord à une erreur, peut-être qu’il propose des Marlboro Red, mais, non, ce sont bien des cachets de Rivotril qu’il vend à l’unité. Des garçons cachent des couteaux sous un muret. Quelques minutes plus tard, trois autres les récupèrent, les glissent dans leurs chaussettes. Des armes courantes dans le quartier, ce que la commissaire explique ainsi : « C’est très maghrébin, ça, les couteaux, et ça n’est pas raciste que de le dire. »

 

Pas loin du snack préféré des gamins, là où ils s’achètent ou se font offrir des œufs durs, des paninis et des barquettes de frites, trois jeunes entourent une nouvelle venue. Soigneusement maquillée, les cheveux collés au crâne et enserrés en queue-de-cheval haute, elle ressemble aux filles d’Instagram dans son jogging gris moulant. Elle toise les garçons de ses yeux agrandis par des faux cils en faisant une drôle de moue, mi-effrayée, mi-déterminée. Elle crie « Pousse-toi ! » au plus grand qui s’approche d’elle. Il place sa main derrière sa nuque et fouille ses poches. Il fait deux têtes de plus qu’elle. Le grand s’énerve : où est le couteau ? Elle crie encore : « J’ai pas le couteau. » Il fouille encore les poches de son hoodie avant de tourner les talons, suivi par ses deux copains.

« La vie, c’est de la merde »

Elle s’appelle Farah* et elle ne marche plus très droit. Elle a pris des ecstasys avec son amoureux, dans un studio dans le quartier de La Chapelle. Elle dit « mon copain », mais elle l’a rencontré la veille. Ses parents sont kabyles. Elle a longtemps vécu en Espagne avec sa mère avant de partir avec des garçons marocains rencontrés là-bas. Avant ça, elle ne connaissait pas Barbès. Son récit est ponctué de soupirs et de « la vie, c’est de la merde ». Elle salue des gars qu’elle connaît. L’un d’eux tente de l’embrasser, elle le repousse. Il insiste et colle ses lèvres contre les siennes. Elle se dégage. Ça lui arrive tout le temps, ces gars qui la touchent et l’embrassent alors qu’elle n’a pas envie. Ou qui l’insultent, l’air dégoûté. Les filles ont l’habitude de ces remarques. À leur passage, un agent municipal avait lancé à une riveraine : « C’est même plus des filles. » Farah mâche son chewing-gum, « la vie, c’est de la merde ».

Quand les portables sont chargés, elles s’écrivent sur Facebook, mais le plus souvent, elles s’échangent des notes vocales sur Snapchat et WhatsApp.

Les garçons reviennent à la charge. Quand ils l’écoutent raconter qu’elle ferait bien une formation, l’un d’eux lance en se collant à elle : « Dommage que tu aies une gamine. » Elle explose et le repousse de toutes ses forces : « Moi, j’ai une gamine ? Moi, j’ai une gamine ? » Lui : « Je tape pas les filles. » Il s’éloigne. Elle lui hurle : « Alors laisse-moi tranquille ! » Farah, en larmes, ne sait pas si cette nuit elle rejoindra son foyer, au bout du RER B. Ça dépend un peu de qui elle croise rue de la Goutte-d’Or. « Vous n’avez pas vu Hana ? » Elle aime beaucoup Hana, c’est sa meilleure amie. Et Célia aussi, mais elle est à Amsterdam. Quand les portables sont chargés, elles s’écrivent sur Facebook, mais le plus souvent, elles s’échangent des notes vocales sur Snapchat et WhatsApp. Sur les réseaux sociaux, elles postent des photos de leurs voyages et de leur vie. Les garçons de la laverie ont aussi des comptes qui ne racontent pas la misère mais la vie comme un éternel spring break : les soirées arrosées, les baignades l’été, les cafés en terrasse… Leurs clichés préférés : les poses tout sourire devant les monuments des grandes capitales européennes.

 

Ah, voilà Hana. Assise contre les rebords des fenêtres de La Poste avec ses copains. Ils sont serrés les uns contre les autres, une rangée de poussins. Les heures passent, ils déroulent leurs vies en fumant joint sur joint et en débouchant des bouteilles de bière et des mignonnettes de mauvais whisky ou de vodka. Ils boivent aussi du lait fermenté, comme au Maroc. On en trouve des briques de toutes les marques dans les commerces de la rue.

« Tu te souviens la Hollande ? rigole Hana. On avait rendu les flics fous. » Mohamed* se souvient. En permanence sur le qui-vive, ils peuvent interrompre une conversation et traverser la rue parce qu’ils ont repéré un pote ou qu’ils se sont brutalement souvenus d’un truc à faire. Il se passe pour ces gosses en vingt-quatre heures ce qu’il n’arrivera jamais en une vie au quidam du quartier : des vengeances à échafauder, des coups à monter, des embrouilles à n’en plus finir… Ce mardi soir, comme tous les jours, quatre policiers les contrôlent. Ils reviendront une demi-heure plus tard : mêmes gestes, mêmes mots. Ils regardent dans les casquettes, tâtent les poches, vérifient les chaussettes. « Je vais me le faire, lui », lâche l’un des fonctionnaires en tâtant Ayoub*. Il vide sa bouteille de bière dans le caniveau.

Ayoub est le plus bavard ce soir. Le regard perpétuellement étonné, sa houppette de cheveux châtains recouverts d’un bonnet violet au sommet d’un corps élancé le fait ressembler à Bip Bip, l’oiseau pourchassé par Coyote. Ça n’a pas échappé à ses copains qui lui donnent parfois du « Mickey » – un terme générique pour désigner tous les cartoons. Ce soir-là, Ayoub est bavard autant que déprimé. Il sort de l’hôpital, il ne sait pas comment il y a atterri. Ça devait être tard le soir. Il se souvient qu’il était défoncé et bourré. Il a dû s’effondrer. Là, il tremble comme une feuille. Il a perdu sa doudoune ou on la lui a volée, il ne sait plus.

Les filles, tabassées « comme des mecs »

Ayoub est arrivé de Tanger il y a trois ans. Il avait 11 ans. Il dit que Paris, c’est trop dur. Où voudrait-il aller ? Il se frappe la poitrine : « Vraiment ? Je te jure, au paradis. Regarde-moi : je n’ai pas mangé depuis l’hôpital, je dors dehors ou à l’hôtel. » Appuyé contre un mur, il ne s’arrête plus : « Eh ! oui, je vole, je peux le dire, mais, si je ne vole pas, je ne mange pas. Les riches ne peuvent pas comprendre, ils ont la belle vie. » Il se met à pleurer : « Je vole, je suis un sale voleur. Mais on m’a aussi volé 2 000 euros. J’essaye d’économiser pour envoyer de l’argent à mes parents. »

 

Hakim*, 1,50 mètre à tout casser, l’interrompt : il cherche des baskets. On lui a volé les siennes au squat, pendant qu’il dormait. La rue les abîme en un rien de temps. Les insensibilise. Ayoub en tire une sorte de fierté un peu amère : « Comment on supporte tout ça ? On a le cœur dur. Pas comme les enfants français. Ils ont 14 ans, on les voit quand ils sortent de l’école, ils ne sont pas comme nous. Ils ont papa, maman, des manteaux et des petits pains au chocolat. Ils ne tiendraient pas une minute dans la rue. Est-ce qu’ils ont voyagé comme nous, partout ? » Il vient de rouler un joint. « Ça ne te gêne pas ? » Il l’allume.

« La question, c’est : pourquoi ils sont là ? Ce n’est pas à moi de répondre. On n’a pas la base légale pour être efficaces. On est un peu démunis, quoi. » Emmanuelle Oster, commissaire du 18e arrondissement

Depuis leurs fenêtres, les habitants filment et photographient depuis des années ce groupe d’enfants à l’abandon. Les garçons, torse nu, qui se lavent dans le caniveau en pleine canicule. Le petit bidonville monté place de l’Assommoir il y a quatre ans, quand les gosses dormaient sur des matelas dehors. Les bagarres qui explosent à 16 h 30 devant l’école et qui ont poussé la mairie à placer l’établissement sous protection policière depuis septembre. Les filles qui parfois se font tabasser « comme des mecs » par les mecs. Le jeune qui s’est pris un coup de couteau à la mi-octobre. Les bagarres quotidiennes, souvent en pleine nuit : des gamins que des adultes fracassent. « Que fait la police ? » « Pourquoi les flics du commissariat situé en plein milieu de la rue n’interviennent pas ? » « La police ne fait rien. »

Emmanuelle Oster la connaît, cette musique : « Nous, on gère les conséquences de ce phénomène, pas les causes, explique-t-elle dans son bureau du commissariat de la rue Marcadet, l’un des plus importants de France. La plus grande partie de leur journée, ils ne sont pas dans la délinquance. Ils stagnent. Ce qui génère de l’exaspération, c’est leur comportement : ils crachent, ils ne portent pas de masque, ils vivent d’expédients. Mais si les jeunes ne font rien, sur quelle base légale je les fais bouger ? Ils n’ont pas d’adresse, pas de papiers d’identité. On ne va pas leur dire “rentrez chez vous”. La question, c’est : pourquoi ils sont là ? Ce n’est pas à moi de répondre. On n’a pas la base légale pour être efficaces. On est un peu démunis, quoi. »

En une minute, le chaos

La laverie ne ressemble plus à rien. Le sol est encore plus sale que d’habitude : mégots, canettes, traces noires de semelles de baskets, traînées d’eau. Une bassine pleine a été déposée près d’une machine à laver : le plus jeune du groupe, en caleçon bleu, assis dans un tambour, y trempe ses pieds noirs et abîmés par des baskets étroites qu’il porte sans chaussettes. Houppette blonde, yeux étirés, joues rondes : son joli visage est intact. Il ne peut pas avoir plus de 13 ans : il a des petites cuisses rondes d’enfant.

 

Des clients de la laverie se glissent entre les mômes et la fumée épaisse pour récupérer leurs draps et leurs vêtements. L’odeur prenante du shit se dégage jusque dans la rue. Ils ont les yeux rivés vers le sol comme s’ils craignaient de provoquer une bagarre simplement en croisant leurs regards. En réalité, les jeunes ne les voient même plus. Un passant exaspéré saisit les sacs de sandwich par terre et les balance de l’autre côté de la rue. Les garçons courent récupérer ce qu’ils peuvent.

Il est autour de 20 heures quand un employé de la laverie pousse brutalement la porte. Il est encadré par deux gros bras du quartier. Il hurle que ça n’est plus possible. En une minute, c’est le chaos. L’homme, la quarantaine bien tassée, est massif. Il saisit Ayoub par les épaules, le sort du tambour et le secoue très fort. Il hurle qu’il va le tuer. Les autres gamins tentent de s’interposer, il les pousse violemment, l’un est projeté contre une machine, un autre par terre. Ayoub proteste – « j’ai rien fait, je lavais mes vêtements » (ce qui est exact).

 

L’adolescent fait le mouvement de s’avancer vers son agresseur, comme pour s’expliquer. L’autre n’y tient plus : « Tu n’as rien fait ? Et ça ? » Il saisit des sacs en plastique pleins de vêtements et de nourriture qu’il balance dehors avant de lui coller une gifle, puis une autre. Ses deux amis, jusque-là passifs, comprennent qu’il est à un rien du coup de trop. Ayoub saigne, il y a des traces de sang par terre. Ils raisonnent leur pote : « Allez, c’est un gosse. » L’autre continue : « Je vais le tuer, je vais le tuer. » Ayoub hurle et répète qu’il n’y est pour rien. Il voulait juste laver son pantalon. Debout pieds nus et en caleçon, il a le visage trempé et en sang. Il est terrorisé et pleure comme un enfant : « Je lavais juste mes vêtements, je lavais juste mes vêtements. » Sa voix se perd dans le boucan et les cris des adultes qui menacent : « Si on vous revoit là, on vous défonce. » La dizaine d’adolescents sortent. Ils stationnent dehors autour de la laverie. Ayoub s’en va – il dort dans un squat à Aubervilliers ces jours-ci.

Des habitants exténués

Dix minutes plus tard, l’incident est oublié. « Des bastons, il y en a tout le temps », observe Hana en sirotant son lait fermenté, pas du tout impressionnée par la scène à laquelle elle vient d’assister. Un peu plus tard dans la soirée, un Algérien qui s’était pris une bouteille en verre sur la tête en pleine journée au milieu des riverains effrayés est revenu le visage toujours ensanglanté, un tesson à la main : Hicham* s’est fait défoncer le crâne. On ne compte plus les pétitions, lettres ouvertes et suppliques envoyées jusqu’à l’Elysée par les habitants du quartier, exténués de voisiner avec ces jeunes livrés à eux-mêmes et d’assister à leurs rixes quotidiennes. « Il y en a même une qui a écrit à l’Elysée en se plaignant qu’ils crachent, explose de nouveau Emmanuelle Oster à l’évocation de ces courriers. Mais qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Un Maghrébin, ça crache dans son pays et ça crache en France ! Je ne vais pas faire l’éducation des Maghrébins ! Ça n’est pas raciste que de dire ça ! »

Quelques jours plus tard. 14 décembre. Laverie du bas de la rue. « Allez, qui veut naviguer ? », supplie Hana. Les garçons ne sont pas chauds, pas ce soir. Elle hausse les épaules, elle trouvera bien quelqu’un d’autre. Naviguer, c’est trouver de l’argent. « Moi, c’est l’argent, le flouze qui m’intéresse », dit-elle. Elle repart pour rejoindre la laverie du haut de la rue, celle qui est près de l’école élémentaire. De loin, elle aperçoit Farah qui ne marche pas droit. Elle est bien coiffée, habillée coquettement, jeans moulant, pull rouge, ceinture de contrefaçon et petit sac en cuir. Son visage, soigneusement maquillé, est strié d’une dizaine de hachures noires, comme des croisillons, sur le front et les joues. Elle lève ses manches : ses bras portent les mêmes traces.

 

La veille, Farah s’est lacéré elle-même le corps et le visage. Autour du poignet, elle porte un bracelet d’identification en plastique. « Je sors de l’hôpital. » Elle s’exprime avec peine, les mots ne sortent pas, sa mâchoire dévie à gauche : « Ma langue est lourde. » À peine sortie, elle a repris de l’ecstasy et des « saroukh ». Elle fume quelques cigarettes avec Hana, pleure en demandant si son visage « restera comme ça toute la vie », puis se dit partante pour naviguer. Mais elle est trop mal en point : il faut appeler les pompiers. Quelques jours plus tard, renvoyée de son foyer, elle est partie à Bruxelles avec un groupe de jeunes rencontrés sur Instagram. Eux quittaient l’Espagne.

20 h 30, dans la laverie d’où ils se sont fait débarquer quelques jours plus tôt. Parce que les rues sont maintenant vides, la musique que crachotent les smartphones paraît de plus en plus forte. Il y a le rap qu’écoutent Hana et quatre garçons au fond de la laverie. Les vidéos que regarde Ayoub, allongé au fond d’un tambour en caleçon. Il attend à nouveau que son unique pantalon sèche.

 

Un petit couple est là : Inès* et Younès*, qui ne se déplacent qu’ensemble. Italienne d’origine marocaine, elle a 13 ans. Craintive et discrète, elle a été victime d’un viol collectif il y a quelques mois. Lui a 16 ans. Il est arrivé de Casablanca il y a un an. Une voiture part pour Bruxelles le lendemain soir. Ils sont pressés d’y être. Comme leurs copains, ils voyagent. Un peu partout en France mais aussi en Belgique, en Allemagne, en Suède… Ils franchissent les frontières, en voiture ou en train, au gré des saisons et des plans, pour aller retrouver un cousin ou un ami ou s’éloigner de Paris parce qu’ils sentent que ça chauffe pour eux.

 

Trois garçons déboulent. On étreint l’un d’eux, bonnet bleu. Ça faisait longtemps qu’il n’était plus venu. Croyant avoir affaire à une avocate, il nous tend sa fiche de sortie d’une maison d’arrêt de la région. Wassim* a volé un portefeuille. Récidive, ça n’a pas loupé : deux mois. Il a quitté la prison le matin même avec ce qu’il avait sur le dos. Personne ne l’attendait nulle part : il est revenu à Barbès. Deux heures plus tard, après avoir fumé suffisamment de joints pour avoir les yeux rouges, il est allé « naviguer » avec deux autres garçons. On ne l’a pas revu. Hana non plus, qui cette nuit est rentrée se coucher sagement dans son squat de Seine-Saint-Denis.

Accro au quartier

Février 2021. Célia est de retour à la Goutte-d’Or. À la mi-décembre, elle a fugué de son foyer aux Pays-Bas. « C’était dans un endroit où il n’y avait rien, pas de magasins, pas de cafés, rien… La campagne, mais il n’y avait même pas de chèvres ou de poules. Rien ! » Elle est d’abord allée en Allemagne, où elle a récupéré sa grande copine Hana. Hana, qui en avait marre de Paris, s’est barrée après Noël. Ensemble, elles sont retournées à Amsterdam. La police les a arrêtées. Hana a été conduite en centre fermé en attendant son rapatriement en France.

 

Célia, majeure, a pu rentrer sans encombre. Et la revoilà à la Goutte-d’Or, par - 2 °C, sans manteau sur son jogging noir. Devenue accro au quartier, son chez-elle depuis ses 14 ans, elle ne cesse d’y revenir. Elle y a pourtant traversé le pire, ce qui arrive à toutes ces filles : la drogue, les viols, les grossesses non désirées, la délinquance. Et elle est à nouveau dans le pétrin. Il y a quatre jours, elle s’est fait embarquer pour outrage à agent. Un flic a cassé sa bouteille de vodka, alors elle a pété les plombs, elle lui a dit « nique ta race de keuf ». Il a tout filmé avant de l’embarquer en garde à vue. Elle ne peut pas s’empêcher de rigoler en racontant ça. Quelques nuits plus tôt, le campement situé dans des tunnels sous la gare de Lyon où elle s’était trouvé une place a été évacué. Elle y dormait avec deux autres filles et des dizaines de migrants, des hommes. Depuis, elle s’est trouvé une place dans un squat.

 

Célia aura 19 ans dans quatre jours, mais, pour elle, l’avenir est devenu un concept flou. « Je ne peux rien prévoir. Je ne sais pas ce qui va se passer tout à l’heure ou ce soir… » Elle sait juste qu’elle ne veut plus dormir dans son squat de Saint-Ouen. La veille, ils étaient quinze à vouloir « la forcer ».