JustPaste.it
sciencetonnante.wordpress.com

 

Aux origines de l’homme : de Lucy à Toumaï

 

6-7 minutes

Avec ses 3.2 millions d’années, Lucy est longtemps restée la plus ancienne représentante connue de la lignée humaine. Pourtant, elle a maintenant perdu ce statut au profit de Toumaï, dont le crâne (ci-contre) a été découvert au Tchad en 2001, et dont on estime l’âge à 7 millions d’années environ.

Un fossile dont la découverte est lourde d’implications et de controverses paléontologiques.

La lignée humaine

Comme tous les écoliers le savent maintenant, l’homme ne descend pas du singe, mais nous sommes cousins. Cela signifie qu’il y a plusieurs millions d’années, les grands singes et les humains ont eu un ancêtre commun. Ce dernier a ensuite évolué dans différentes directions, une de ces directions donnant la lignée humaine, les autres donnant les chimpanzés, les gorilles, les orang-outangs.

On a d’abord pu penser que l’homme s’était détaché des singes, puis que ces derniers s’étaient différenciés (voir ci-contre). Grâce aux méthodes dites de classification phylogénétique, on sait maintenant que la séparation s’est faite plus progressivement.

L’arbre phylogénétique montre notamment que les singes les plus proches de nous sont le chimpanzé et le bonobo, et qu’ils sont d’ailleurs plus proches de nous que du gorille, puisque ce dernier s’est séparé plus tôt dans l’arbre. D’après des analyses de biologie moléculaire, la séparation hommes-chimpanzés, se serait produite il y a environ 5 à 6 millions d’années.

La théorie de l’East Side Story

Pour expliquer la divergence hommes-chimpanzés, le célèbre paléontologue Yves Coppens a popularisé en 1982 la théorie dite de l’East Side Story. Cette théorie décrit l’apparition de la lignée humaine comme la conséquence d’un changement climatique qui serait intervenu dans une région bien précise : la partie la plus orientale de l’Afrique de l’Est.

Il se trouve en effet que jusqu’à une époque récente, tous les fossiles humains les plus anciens (près de 3000 !) avaient été retrouvés dans cette région, qui est délimitée par une formation géologique appelée la Vallée du Grand Rift. La carte ci-contre en montre la position, ainsi que les principaux lieux de découvertes des fossiles humains : l’Ethiopie, le Kenya et la Tanzanie.

La vallée du Grand Rift est une limite instable entre deux plaques tectoniques, et son évolution fut responsable de l’apparition de nombreuses formations naturelles comme les grands Lacs Victoria et Tanganyka, ou encore le mont Kenya et le Kilimandjaro.

Yves Coppens a alors suggéré qu’il y a plusieurs millions d’années, l’effondrement de la vallée du grand Rift l’a érigée en limite infranchissable pour les espèces ainsi qu’en barrière climatique : une forêt humide à l’Ouest et une savane sèche à l’Est. Selon la théorie de l’East Side Story, c’est la nécessaire adaptation à ce changement climatique à l’Est du Rift qui aurait entraîné l’émergence de la lignée humaine, et notamment de la bipédie, plus adaptée aux conditions alimentaires exigeantes de la savane.

La découverte de Toumaï

Mais le 19 juillet 2001, une équipe dirigée par le paléontologue français Michel Brunet met à jour au Tchad, en Afrique centrale, plusieurs ossements fossiles dont un reste de crâne  [1]. L’équipe baptise ce fossile « Toumaï », qui signifie « espoir de vie » en langue Goran.

Après une analyse minutieuse de la morphologie du crâne de Toumaï, l’équipe conclut qu’il partage avec l’homme un certain nombre de caractéristiques qui poussent à le rattacher à notre lignée. Un de ces caractères est un trou occipital décalé vers l’avant (voir ci-contre, sur une vue de dessous du crâne de Toumaï), une caractéristique de la station bipède.

En utilisant deux méthodes de datation différentes, les auteurs estiment son âge à 7 millions d’années environ. Toumaï dernier accède alors au titre envié de plus ancien représentant de notre lignée, et sa mise à jour « fait l’effet d’une bombe nucléaire dans le milieu de la paléontologie »,  pour reprendre les mots de Dan Lieberman de l’Université de Harvard.

Bouleversements et controverses

Si Toumaï est bien un homme et qu’il a bien 7 millions d’années, il remet en question la date estimée de la divergence homme-chimpanzés. Celle-ci serait alors forcément antérieure à 7 millions d’années, or nous l’avons dit les estimations précédentes la plaçaient plutôt il y a 5 ou 6 millions d’années.

Toumaï remet également en question la théorie de l’East Side Story. Il a en effet été découvert au Tchad, donc très à l’ouest de la Vallée du Grand Rift (voir la carte précédente). Cela signifie que contrairement à l’explication d’Yves Coppens, l’apparition de l’espèce humaine ne se serait pas faite d’une manière cantonnée à la partie orientale de l’Afrique de l’Est.

Yves Coppens fut d’ailleurs cosignataire de la publication originale sur Toumaï, acceptant la remise en question de son explication. Ce ne fut pas le cas de toute la communauté scientifique ! En effet plusieurs paléontologues renommés ont pris position contre le choix de l’équipe de Michel Brunet de classer Toumaï comme membre de la lignée humaine [2], considérant que Toumaï était vraissemblablement plutôt un singe, ancêtre des gorilles actuels.

Comme souvent dans l’histoire des grandes découvertes, le débat entre les scientifiques des deux camps est animé. Les auteurs qui contestent le travail de l’équipe de Michel Brunet ne sont toutefois probablement pas dénués d’arrières-pensées : avant la découverte de Toumaï, ce sont eux qui détenaient le record du plus vieux fossile humain ! (Orrorin, découvert en 2000 au Kenya)

Mes connaissances limitées ne me permettent évidemment pas de me forger une opinion sur cette question, mais pour ceux que cela intéresse, la controverse scientifique et les arguments des deux groupes sont très bien exposés sur la page wikipédia consacré à Toumaï, dans l’esprit de neutralité qui sied à notre encyclopédie préférée.

[1] M. Brunet et al., A new hominid from the Upper Miocene of Chad, Central Africa, Nature 418, p145 (2002)

[2] M. Wolfpoff et al., Sahelanthropus or Sahelpithecus ?, Nature 419, p581 (2002)