JustPaste.it
mediapart.fr

 

Après les Soulèvements de la Terre, la FNSEA cible la Confédération paysanne

Karl Laske
10–12 minutes

Depuis l’annonce de la dissolution des Soulèvements de la Terre (SLT), la FNSEA fait profil bas. Son président Arnaud Rousseau fuit les interviews, et ses responsables départementaux ont pour consigne de ne « pas commenter la décision » prise contre le mouvement écologiste. « L’[échelon] national a été entendu là-dessus. Nous, on a juste demandé que les faits de vandalisme [survenus lors des manifestations contre les carrières de sable, les 10 et 11 juin – ndlr] soient condamnés, affirme Sébastien Berger, président de la fédération départementale (FDSEA) de la Vienne à Mediapart. Notre président national a fait remonter les informations au ministère en disant qu’il fallait des actes. Après, M. Darmanin est assez grand pour prendre ses décisions tout seul. »

« Des actes », Arnaud Rousseau en a demandé publiquement au gouvernement, jeudi 15 juin, dans les colonnes du Point. Il précise qu’un rendez-vous est pris avec le ministre de l’intérieur « dans les prochains jours ». Et puis, mystère. La rencontre, si elle a eu lieu, demeure confidentielle. Les agendas, vides. Le 15 juin, Arnaud Rousseau a rencontré le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, à l’inauguration des Journées nationales de l’agriculture, au marché de Rungis. « Mais Fesneau, il le voit tous les jours », signale avec humour l’attaché de presse du syndicat.

Comment se fait-il qu’on n’ait pas dissous la FNSEA lorsqu’elle a détruit et saccagé le ministère de l’écologie ?

José Bové, ancien porte-parole de la Confédération paysanne

Le 11 juin, en marge de la manifestation appelée par les SLT, un cortège bifurque pour deux opérations « coup de poing ». Des plants de muguet sont arrachés sur une exploitation maraîchère agro-industrielle, puis des serres expérimentales sont dégradées sur un site de la fédération des Maraîchers nantais. Les SLT dénoncent les dégâts environnementaux de l’extraction du sable par les carrières Lafarge et GSM, mais aussi l’utilisation du sable par le maraîchage intensif.

Ces actions symboliques rappellent d’anciennes opérations menées par la Confédération paysanne, comme le démontage de la laiterie de la ferme des mille vaches, en 2014, ou encore le démontage du chantier d’un McDo à Millau par José Bové, en 1999. Mais plusieurs fédérations de la FNSEA, déjà engagées dans la défense des mégabassines face aux SLT, montent au créneau lors d’un comité fédéral du syndicat. La « fédé » de Loire-Atlantique exige « la dissolution de cette officine et des satellites qui la soutiennent »

Des membres de la FNSEA déposent du fumier devant la direction régionale de l'environnement, à Lyon le 21 février 2023.

La « Conf » est visée, même si elle n’a pas directement participé aux deux actions en cause. Son logo figure sur les appels à manifester. « À Sainte-Soline, les drapeaux [de la « Conf »] étaient là », remarque un militant FNSEA. En mars, la FDSEA de la Vienne écrit au préfet pour demander « l’exclusion pure et simple » du syndicat de gauche de la chambre d’agriculture et des instances représentatives, compte tenu de ses « prises de position » et « des actes commis à Sainte-Soline ». « Un syndicat agricole qui appelle à une manifestation interdite, enfreint trois à quatre arrêtés préfectoraux, cautionne les dégradations et les blessés, ce n’est plus un syndicat agricole », avait dénoncé Sébastien Berger. Les démarches d’exclusion de la « Conf » par les FDSEA se multiplient, mais sont rejetées par les préfets.

Vers « la guerre civile »

« Après le démontage de la pompe de Cram-Chaban [en novembre 2021 – ndlr], on a eu des messages très violents contre la Conf, qui demandaient de nous exclure des instances, et de toutes les chambres d’agriculture, se souvient Laurence Marandola, actuelle porte-parole du syndicat. C’est juste illégal. » La fédération de Charente-Maritime accuse alors la Confédération paysanne de « soutenir des actions terroristes ».

Après l’action du 11 juin sur les exploitations maraîchères, la FDSEA 44 juge qu’« une ligne rouge a définitivement été franchie ». « Si aucune décision n’est émise et si aucune sanction n’intervenait, les élus et le préfet prennent le risque que la justice soit rendue différemment auprès des responsables de ce mouvement et des personnes identifiées dimanche dernier à piétiner les cultures », avertit la fédération. « On ne va pas aller faire des milices pour s’en occuper, pondère le président de la FDSEA 44, Mickaël Trichet, auprès de Mediapart. Ce qui va se passer c’est qu’un jour, des gens dérapent. Voilà ce qui va se passer. »

« Aujourd’hui, l’impunité est totale, et va conduire tout le monde à la guerre civile », traduit Arnaud Rousseau, dans Le Point. « Je ne suis pas sûr de tenir longtemps mes troupes, ajoute-t-il. J’espère que ce qui s’est passé dimanche va sonner la fin d’une forme de mansuétude. Car un incident peut arriver. »

Pour José Bové, ancien porte-parole de la Confédération paysanne, la dissolution des SLT témoigne « d’une dérive autoritaire » qui n’a « absolument aucun sens », si ce n’est « d’imposer les intérêts d’une minorité d’agri-managers ».

Des manifestants dans une serre expérimentale à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu pour dénoncer l'exploitation du sable à des fins industrielles, le 11 juin 2023. © Photo Sébastien Salom-Gomis / AFP

« Comment se fait-il qu’on n’ait pas dissous la FNSEA lorsqu’elle a détruit et saccagé le ministère de l’écologie ? », questionne l’ancien leader. (En 1999, la cour du ministère est dépavée et le bureau de Dominique Voynet vandalisé, quatre mis en cause écopent de peines d’amende.) « N’oublions pas des saccages de centres-villes, de préfectures... Tout ça aurait pu justifier pourquoi pas une dissolution de la même manière. Jamais je ne demanderais la dissolution d’une organisation syndicale, mais il faut remettre les choses à l’endroit. La FNSEA cherche à empêcher toute contestation de son modèle, en faisant peur à tous ceux qui s’y opposent, en demandant la dissolution des mouvements. Demain, ils vont demander la dissolution de la Confédération paysanne, pourquoi pas ? »

La dissolution des SLT, Mickaël Trichet était pour. « Il y a eu Sainte-Soline, les maraîchers, et demain ce sera autre chose, soutient-il. Les Soulèvements de la Terre demandent l’assèchement de toutes les structures, et visent la FNSEA, et vous croyez qu’on ne va rien dire ? » La campagne « 100 jours pour les sécher » appelle à « cibler directement les institutions, les entreprises et les infrastructures qui accaparent et empoisonnent l’eau », du 13 juin au 21 septembre.

L'appel des « 100 jours pour les sécher » s'accompagne d'un mode d'emploi. © DR

« Il y a eu des ateliers pour expliquer comment on démantèle une pompe d’irrigation, comment couper une bâche dans une réserve de substitution. Et c’est partout en France. On voit qu’il y a eu des attaques de réserves un peu partout », dénonce Sébastien Berger, le président de la FDSEA 86. 

L’enjeu du modèle agricole

Signe des temps, la « Fédé » a signé, avec les Jeunes agriculteurs, en décembre 2019, une « convention de partenariat » avec le ministre de l’intérieur – alors Christophe Castaner – et la direction de la gendarmerie pour la « sécurisation des exploitations ». L’accord, aujourd’hui suspendu par le tribunal administratif, prévoit que les deux syndicats « communiquent des renseignements » à la gendarmerie, et qu’une cellule spécialisée, Demeter, protège aussi « le milieu agricole » des « actions à caractère idéologique ».

La pomme de discorde, « c’est le modèle agricole qu’on veut », concède Mickaël Trichet, qui a subi l’intrusion de militants antispécistes sur son élevage. « C’est une question de dimension, que ce soit sur l’eau, sur le modèle de production, sur l’élevage. Qu’on ne soit pas d’accord, pas de souci, mais qu’on aille sur des exploitations, commencer à démonter du matériel, c’est pas du symbolique. Vous rentrez chez quelqu’un. Rentrer dans une exploitation, pour moi, c’est inexcusable. »

Pourtant, les responsables de la FNSEA sont obligés de l’admettre, leur organisation a elle aussi son histoire de contestation violente, d’affrontements, de destructions ou de sabotages. L’historien Édouard Lynch, auteur d’Insurrections paysannes (éditions Vendémiaire, 2019), signale que l’action d’arrachage des muguets du maraîcher industriel nantais « s’inscrit dans une tradition de ce qu’a pu faire la FNSEA, qui avait symboliquement arraché des plantations de sapins pour montrer que le modèle ne lui plaisait pas ».

« Je ne dis pas que c’est mieux d’aller péter une préfecture, poursuit Mickaël Trichet. Quand il y a un gros ras-le-bol, ça peut déraper. Nous, en général, quand on sort, c’est qu’il y a une situation de crise, et c’est vrai que c’est ce que les gens qui sortent aujourd’hui considèrent aussi. La seule différence, c’est qu’on s’attaque à l’État, on s’attaque à l’institution. Après, quand on brûle une préfecture, je vous garantis que celui qui est président de la structure, de la fédé, je vous garantis qu’il mange. Et ceux qui ont fait dans l’excès, en général, ils s’en souviennent, parce qu’il y a des amendes. Et si, à une époque, ça se réglait sur le bureau du ministre, c’est bien fini. »

Ce qui a changé dans l’affrontement en cours, c’est « la radicalité », analyse le syndicaliste. « Il y a une radicalité de plus en plus forte, les gens montent en puissance. Il faut qu’on fasse gaffe. »

« Ça se radicalise, approuve une ancienne cadre syndicale. Des deux côtés. Le sujet des bassines, il a vingt ans. Plein d’agriculteurs ne trouvent pas ça normal de faire des bassines. La FNSEA n’a pas fait sa révolution écolo, et c’est pas avec Arnaud Rousseau qu’elle va la faire. C’est plus facile de s’en prendre à des écologistes un peu radicaux que de se remettre en question. » « Je crains que cette décision de dissolution n’exacerbe la violence, juge Laurence Marandola, la porte-parole de la Confédération paysanne. Si le gouvernement et les décideurs politiques ne choisissent pas le dialogue sur la planification écologique et le plan eau, on va continuer à aller dans le mur sans répondre à aucune question. »