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Mais au fait que serait la France insoumise sans Jean-Luc Mélenchon

ou les mille et une contradictions d’un mouvement qui est loin de correspondre à ce qu’il revendique par Sylvain Boulloque historien de la gauche radicale avec Atlantico

 

Atlantico : Alors que Jean-Luc Mélenchon se trouve pris dans une spirale médiatique particulièrement défavorable pour son image, comment imaginer ce que serait le fonctionnement de la France Insoumise sans son "chef" charismatique, d'un point de vue démocratique ? Le mouvement pourrait-il continuer à exister sans lui ?

Sylvain Boulouque : D'abord, je ne suis pas sûr que la séquence le desserve tant que ça, dans la mesure où elle peut très bien resserrer les troupes, coaguler les mécontentements en considérant que le système s'en prend à ceux qui sont contre le système. Il peut donc y avoir un effet inverse à celui que présente les médias de manière générale. Ce n'est pas parce que beaucoup de gens ont été choqués que les électeurs le sont forcément. Il peut même y avoir un effet de décrochage momentané puis de remontée – c'était un peu la stratégie de ce que faisait le père Le Pen dans un autre genre il y a quelques années. Ce n'est donc pas forcément négatif pour Mélenchon.

Ensuite, Mélenchon incarne l'image de la France Insoumise, et plus encore du parti de Gauche, il n'est donc pas sûr du tout que le groupe arrive à survivre à sa mise en échec. La France Insoumise s'est coagulée grâce à sa campagne, à sa capacité d'intervention médiatique, grâce à son charisme et sa personnalité. Mélenchon a construit le mouvement autour de lui. Autant en 2012, s'il avait pensé à se faire remplacer, il y avait son bras droit, Alexis Corbière, qui était un peu son successeur désigné ; autant aujourd'hui, on ne voit pas de têtes qui émergent réellement, ni de personnes qui seraient à même de le remplacer. Pour l'instant, personne ne s'impose naturellement.

Affaires financières, mépris des institutions, perte de contrôle…  Si le parti se vante d'être un modèle de démocratie et de ne pas avoir de hiérarchie, la réalité semble-être toute autre. Que masque donc la figure de Mélenchon ?

La France Insoumise est un parti de type, entre guillemets, léniniste, ou post-léniniste, un parti qui fonctionne encore sur le principe du centralisme démocratique avec l'unité de la direction et le fait que le chef, ou les chefs, décident à peu près de la totalité de l'action politique. Voilà pour l'organisation interne. En ce qui concerne le rapport à l'institution, on est aussi dans une stratégie très léniniste, c'est-à-dire que le discours met en avant le respect des institutions, mais comme la France Insoumise est quand même en partie un parti révolutionnaire, peut-être pas au sens léniniste cette fois, mais un parti qui veut transformer de fond en comble la société, il y a donc cette dimension d'instrumentalisation des institutions jusqu'au moment où il sera possible de les renverser. Enfin, les affaires, c'est un peu la même chose, s'il y a eu contournement des règles, c'est parce qu'il y avait peut-être un besoin matériel immédiat mais c'est aussi que les institutions sont très secondaires par rapport à l'utilisation réelle que veut faire ce parti de la politique. Mais, en ce qui concerne ce dernier point, ce n'est pas forcément propre à la FI. Le contournement des institutions, on le retrouve à peu près chez tous les partis de la gauche et la droite, de l'extrême droite à l'extrême gauche. Détourner les fonds publics n'est pas spécifique à l'un ou à l'autre.

Dans le cas d'un Jean-Luc Mélenchon déconsidéré comme a pu l'être partiellement Marine Le Pen, qui serait la Marion Maréchal de la France Insoumise ?

C'est très difficile à comparer car les Le Pen, c'est un label. La France Insoumise, c'est d'abord une personnification et une identification à Mélenchon, et c'est tout de même un mouvement fédéré derrière lui. Il n'est pas du tout sûr que des gens aussi antinomiques que Corbière et Autain arrivent à poursuivre ensemble dans un mouvement sans Mélenchon. Je vois mal Ruffin obéir à un Corbière, ou ce genre de choses. Il n'y a donc pas du tout la même culture, et pas du tout le même rapport à la filiation.

Durant la dernière campagne présidentielle, le succès de Jean-Luc Mélenchon s’auto-alimentait car son poids électoral rendait plus efficace de voter pour lui que pour Benoît Hamon ou les Verts. En revanche, si le leader de FI et son parti paraissent voués à l’échec, la donne pourrait changer. L’électorat venu du PS peut-il longtemps tolérer les écarts du mouvement et de son chef ?

Pour le coup, la réponse ne vient pas uniquement de Mélenchon. On peut penser que l'électorat socialiste pourrait se détacher de Mélenchon s'il ne représente plus un potentiel gagnant. Reste à savoir si ce serait dans une autre formation de gauche ou bien dans l'abstention, car ce n'est pas du tout sûr qu'ils continuent à aller voter.

Pour aller encore plus loin dans les hypothèses, existe-t-il une autre personnalité qui serait susceptible d'émerger à gauche et de faire la synthèse de tous les courants de la gauche ? Pour l'instant, je ne veux pas dire, mais l'encéphalogramme est un peu plat. Et je suis bien incapable de vous dire cela va changer ou non.

La situation actuelle a-t-elle de quoi alarmer selon vous ?

Systématiquement dans ces cas-là, on est dans le syndrome de forteresse assiégée. C'est ce qu'a bien fait le parti communiste des années 1930 aux années 1950 : si on nous attaque, c'est qu'on a raison, alors on va accuser à notre tour. L'avocat communiste Marcel Willard avait une formule à l'époque, il écrivait " la défense accuse ". Donc si on est attaqué, c'est que les institutions nous attaquent. C'est un renversement systématique de la chose, qui permet de se dire victime.  Dans l'état actuel il n'y a donc pas de risque d'explosion de la FI. C'est plutôt : on va regrouper les troupes et on va défendre le château. Après, si les affaires se prolongent un peu. S'il y a de véritables pièces, des enregistrements, etc., là ça peut changer la donne. Mais si on en reste là, à mon avis, ça ne posera pas de problème majeur à la FI. Sur le plan militant, ça va même les renforcer. Et s'il y a un effet repoussoir pour certains électeurs, je ne suis pas sûr qu'il dure très longtemps parce que l'actualité tourne très vite.

Qu'il s'agisse des européennes ou des présidentielles, dans le cadre d'une circonscription nationale la France Insoumise parvient à capter des voix. Mais à quoi doit-on s'attendre pour les élections locales en 2020 ? 

Pour l'instant, contrairement au Parti Communiste qui avait une véritable base électorale, la FI n'en a pas. Les Communistes étaient un archipel qui par la suite s'est constitué en terre importante, et qui continue aujourd'hui d'avoir un appareil municipal encore relativement important. La France insoumise au niveau local ne représente rien. A partir de là, c'est la réalité de cet appareil politique : il doit réussir à se construire pour avoir un rôle important, et s'il n'y arrive pas, ce qui a été le cas jusqu'à maintenant, alors il n'y aura que des militants, quelques conseillers municipaux, et ça s'arrêtera là. Pour l'instant, il n'y a pas de structuration de l'appareil politique au sens des vieilles structurations républicaines de la chose.