JustPaste.it

Cotta - La France s'enfonce dans la crise politique

De ces sinistres journées, on retiendra sans doute deux évidences : la faiblesse de l'exécutif et l'irresponsabilité de l'opposition. 

PAR MICHÈLE COTTA Le Point

8b64b68b536cde87ccf9a50ce5a2fd97.jpg

Du président de la République, on attendait avant tout, après le choc de samedi dernier, une réponse sécuritaire. La réunion d'urgence réunie dimanche matin à la demande du chef de l'État a débouché sur une demande faite au ministre de l'Intérieur « d'adapter le dispositif du maintien de l'ordre dans les jours à venir ». C'est-à-dire, entre les lignes, d'être plus efficace. C'est bien le moins. Un troisième samedi de violences, de guérilla urbaine, il faut bien le dire : de haine aussi, serait inacceptable. On comprend certes que le chef de l'État ait choisi dans un premier temps de rendre hommage et de faire une visite aux forces de l'ordre sérieusement mises à mal. Mais cette compassion ne suffit pas. Comment sécuriser d'abord, bien sûr, le périmètre « sacré », des Champs-Élysée au palais présidentiel, de l'Assemblée nationale à Matignon, du ministère de la Justice à celui de l'Intérieur ? On a bien vu que quatre mille CRS étaient souvent contraints de reculer, forcés dans leurs retranchements ou même poursuivis par ceux qu'il est convenu d'appeler des casseurs, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils étaient approuvés, aidés, même, par des Gilets jaunes moins pacifiques qu'ils ne le disent. Mais bien d'autres lieux peuvent également être vandalisés, incendiés, pillés dans Paris. Inutile d'en donner les noms et d'en préciser les itinéraires. Les Gilets jaunes ont l'air d'être assez bien renseignés, quoique venant pour la plupart de province. On retrouvait d'ailleurs samedi dernier dans les propos des uns et des autres, au milieu des grenades assourdissantes, une hostilité à la capitale, d'où vient selon eux tout le mal, hostilité caractéristique des jacqueries paysannes de l'ancien régime.

Lire la tribune de Sophie Coignard : « Édouard Philippe, droit dans ses bottes » 

Le silence présidentiel accroît l'angoisse des Parisiens

Interdire les manifestations en en tirant toutes les conséquences ? État d'urgence ? Appel à une partie de l'armée ? Le président n'a rien dit. Le silence présidentiel accroît, comment en serait-il autrement, l'angoisse des Parisiens. Un nouveau samedi d'émeutes serait un coup fatal à l'autorité d'Emmanuel Macron.

Lire également le billet de Beranrd Quiriny : « Pitié pour les lampistes »

Mais parlons de l'opposition. Triste spectacle que ces chefs de parti, balayés il y a moins de deux ans par le « dégagisme » et le suffrage universel, montant les marches du perron de Matignon pour y trouver un Édouard Philippe moins droit dans ses bottes, mais assez politique pour tendre la main à ceux qui le débinent depuis des semaines. Ah, ce serait assez plaisant, si ce n'était sinistre, d'entendre Oliver Faure, premier secrétaire du PS faire remonter le malaise des travailleurs à la création, typique d'une dérive libérale, du CICE, par François Hollande en 2014. On aurait envie de sourire en entendant Laurent Wauquiez, qui jadis dénonçait le « cancer de l'assistanat » se faire l'apôtre des ceux qui ne peuvent pas finir leurs fins de mois. La comédie de Nicolas Dupont-Aignan claquant la porte de Matignon, sous le prétexte qu'Édouard Philippe ne l'avait pas autorisé à filmer, pour les réseaux sociaux, sa rencontre avec lui, aurait pu égayer la journée si elle ne montrait les limites du personnage. Ségolène Royal et François Hollande auraient, eux, sûrement mieux fait de se taire. Comme si chacun tentait de se refaire une santé, sinon une virginité, sur la crise qui ébranle aujourd'hui l'Élysée.

Pour aller plus loin, lisez l'analyse de Said Mahrane : « Gilets jaunes : ce qu'il a manqué à Macron »

Marine Le Pen, la grande gagnante

Sans doute n'y parviendront-ils pas : les Gilets jaunes ne les écoutent pas plus qu'ils n'écoutent les syndicats, ils ne sollicitent pas l'aide des vieux partis, pas plus que celui des nouveaux, ils les englobent dans le même mépris. Si les hommes politiques de « l'ancien monde » espèrent surfer sur le désespoir ou la violence des Gilets jaunes pour récupérer leurs places, ils se trompent. Leur irresponsabilité ne peut profiter qu'à une personne, qui – comme elle le dit – « soutient le mouvement depuis la première heure », Marine Le Pen. En dehors d'elle, personne – ni chez les Républicains ni chez ce qu'il reste des socialistes – n'est en mesure de récupérer la mise. La France insoumise, dans sa permanente surenchère avec le Rassemblement national, ne parviendra pas à ses fins, François Rufin aura beau, revêtu de son écharpe de député, apostropher Emmanuel Macron, cela ne changera sans doute rien : entre l'original et la copie, les Gilets jaunes préféreront l'original.

On retiendra de ces tristes journées que la classe politique, loin de s'interroger sur les moyens de sortir de cette crise, la plus grave depuis 1968, par le haut, a privilégié ses petits calculs et ses petites ambitions. Quitte à donner le beau rôle à Marine Le Pen. Bravo.

Publié le 04/12/18 à 09h02 | Source lepoint.fr