Assemblée nationale : qu'a vraiment dit Greta Thunberg ?
VIDÉO. Réchauffement climatique, budget carbone, émissions de CO2... Nous avons repassé les faits et chiffres évoqués par la Suédoise au tamis de la science. PAR OLIVIER PÉROU
Greta Thunberg n'était pas là pour donner des bonnes nouvelles. La fin du monde ? « Ce ne sera pas pour dans onze ans », lance-t-elle en guise d'introduction. Comme une espièglerie à ces adultes qui l'accusaient tout le moins de « semer la panique ». De cette « bonne nouvelle », ils se contenteront. Car la militante suédoise n'est pas seulement venue à l'Assemblée nationale pour quelques formules-chocs, dont se seraient tout autant régalés ses soutiens. Non, Greta Thunberg – à qui n'avait pas échappé la polémique qui précédait sa visite – est venue avec son livre de chevet, d'aucuns diraient sa bible : le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). « On nous accuse, nous les enfants, d'être des alarmistes, lance la jeune oratrice de 16 ans. Mais avez-vous seulement lu le dernier rapport du Giec ? » Comme un maître d'école, face aux députés et journalistes parfois médusés, elle fait la classe : « Page 108. Tout y est. Nous n'avons plus que huit ans et demi avant d'avoir épuisé notre crédit carbone. »
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Qu'en est-il vraiment – scientifiquement – de ce « budget carbone » de la page 108, dont parle Greta Thunberg ? Si le concept n'est pas nouveau, il est devenu depuis le 5e rapport du Giec (publié en 2014) un outil scientifique cardinal permettant de « temporaliser » plus précisément le réchauffement climatique. Le budget carbone est, écrit le Giec, « l'estimation des émissions mondiales nettes cumulées de CO2 anthropique [c'est-à-dire issues des activités humaines, NDLR] depuis une date de début donnée jusqu'au moment où les émissions anthropiques de CO2 atteignent un niveau net nul, ce qui aurait pour effet de limiter le réchauffement planétaire à niveau donné ». Concrètement, ce crédit délivre deux informations : le délai auquel il convient de ramener les émissions de dioxyde de carbone à zéro et, ajoutent les scientifiques du Giec, « les implications potentielles d'un avenir marqué par des contraintes carbone ». Plus ces dernières deviennent nécessaires, plus le volume de réduction des émissions de CO2 imposé par les États européens à leurs industriels devient important.
Conséquences climatiques
C'est d'ailleurs dans ce chapitre 2 du rapport du Giec, dit Greta Thunberg, que l'on retrouvera « [ses] opinions résumées ». Et quel résumé… Les scientifiques de l'institution y démontrent – sur de nombreuses pages agrémentées de graphiques – que de nombreux dégâts impactant les écosystèmes et les êtres humains peuvent être évités si le réchauffement climatique est contenu à 1,5 °C. Chance, s'il en est une, la fenêtre pour respecter ce seuil est plus importante que prévu, abondent les scientifiques de l'institution. Cette fameuse bonne nouvelle dont parlait Greta Thunberg dans son propos introductif. Mais, s'appuyant toujours sur le rapport, elle affirme : « 420 giga tonnes de CO2, c'est tout ce qu'il nous restait à émettre, au 1er janvier 2018, pour avoir 67 % de chances d'atteindre l'objectif de 1,5 °C d'augmentation de température mondiale. » Une chance qui se réduit au regard de la hausse des émissions mondiales de dioxyde de carbone liées aux activités humaines qui sont reparties à la hausse en 2018 avec un niveau historique de 33,1 milliards de tonnes.
Quelques minutes après les mots de Greta Thunberg, c'est la vice-présidente du Giec, Valérie Masson-Delmotte, qui a réexpliqué les répercussions d'une telle situation : « Nous vivons déjà avec les conséquences du réchauffement climatique avec, en France, l'intensification des jours chauds – 4 à 6 de plus chaque décennies, des canicules plus fréquentes sur terre comme en mer, l'intensification des pluies torrentielles, des sécheresses particulièrement frappantes tout autour de la Méditerranée, la fonte généralisée des glaciers, la montée du niveau des mers. Au rythme actuel de 0,2 °C de plus chaque décennie, le réchauffement planétaire atteindra 1,5 °C entre environ 2030 et 2050. Quand nos enfants auront notre âge. Plus tôt si les émissions de gaz à effet de serre [dont le CO2, NDLR] continuent à augmenter. »
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De cette page 108, Greta Thunberg tire le reste de son message aux échos bien plus politiques. « Voici les chiffres qui comptent. Voici la seule science valable pour l'heure [...]. Certains ont décidé de ne pas venir nous écouter aujourd'hui. Ce n'est pas grave, nous ne sommes que des enfants... Mais vous devez écouter le consensus scientifique. Et c'est tout ce que nous demandons », a ensuite décoché la jeune Suédoise à l'attention de ses détracteurs, dont certains ont remis en cause sa légitimité. « Ce n'est clairement pas la tonalité de propos apocalyptique », défend le député LREM Gaël Le Bohec qui en fait une traduction : « Que dit-elle ? Que ce ne sera pas la fin du monde, que par contre il y aura des points de basculement. Personne d'autre que des enfants et des scientifiques n'ose le faire. Le message de tous ces jeunes est clair : respecter la science, comprenez la science, unissons-nous derrière les scientifiques. »
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Publié le 24/07/19 à 09h18 | Source lepoint.fr