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Analyse.

Pourquoi l'empathie de Jacinda Ardern est un cas unique

Publié le 09/05/2019 - 14:45
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Jacinda Ardern lors du festival ASB Polyfest 2019, qui célèbre la culture polynésienne, le 14 mars à Auckland. 

Phil Walter/Getty Images

Pour cet anthropologue australien, si la Première ministre néozélandaise nous redonne foi en la politique, c’est qu’elle fait montre d’un amour rare, capable de dépasser les barrières culturelles. En cela, on ne peut l’imiter sans un minimum de sincérité.

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RÉSERVÉ AUX ABONNÉS

À l’époque où je travaillais sur le terrain aux côtés de combattants chrétiens libanais en pleine guerre civile, j’ai été témoin d’un échange concernant le sort de prisonniers capturés après la prise d’un camp de réfugiés palestiniens.

Les combattants discutaient tranquillement tout en prenant leur dîner dans un endroit bien connu des militants, situé sous un monastère maronite, au milieu des collines au nord de Beyrouth. C’est là qu’une femme aimante, prénommée Salma et réputée pour son extraordinaire dévotion envers les combattants, avait ouvert un refuge où elle leur préparait à manger, les servait et nettoyait après eux.

Au milieu de la conversation, un des hommes suggéra de relâcher les prisonniers sur la ligne de front, comme cela avait été fait auparavant. À cet instant, Salma, qui posait une cruche d’eau sur la table, se retourna et déclara posément :

Pourquoi ? Pour qu’ils puissent revenir nous tuer ? Ce sont les enfants du diable, achevez-les !”

Dépasser les barrières culturelles

Ce souvenir est resté gravé dans ma mémoire. Impossible d’oublier l’image de cette femme débordante d’amour et d’affection et en même temps animée de désirs toxiques et profondément destructeurs.

J’en ai gardé une forme de désillusion, une conception peut-être trop désenchantée et dévalorisante des vertus faciles de ceux qui “aiment les leurs”.

Il me semble que l’amour qui mérite notre attention et notre admiration est plus difficile que cela : je veux parler de l’amour qui est capable de dépasser les barrières culturelles et d’embrasser la différence et la diversité au lieu de se cantonner au périmètre de ses propres limites.

Cette vérité me revient aujourd’hui en mémoire quand je pense aux nombreuses propositions et mesures politiques annoncées par Jacinda Ardern au lendemain du massacre de Christchurch. Comme tant d’autres, j’admire les multiples facettes et l’aspect salvateur de la politique qu’elle met en place. Je suis surtout impressionné parce que le type d’amour qu’elle manifeste et qui s’exprime dans tout ce qu’elle a fait est précisément le type d’amour que j’ai appris à valoriser.

L’obstacle du racisme

La plupart des gens qui étudient les mouvements racistes des suprémacistes blancs savent que, comme tous les racismes ethnonationalistes, ce mode de pensée a en effet puissamment destructeur. Même lorsqu’il ne s’agit pas de violence physique, il peut anéantir le mental des gens qui en sont victimes et briser des communautés. C’est une force centrifuge, source de fragmentation.

Il ne fait aucun doute que les racistes ethnonationalistes utilisent consciemment cette arme pour détruire. Ils cherchent à casser la psyché et les constructions sociales des individus et des communautés qu’ils prennent pour cibles.

En Australie, il suffit de contempler les effets du racisme des colonisateurs sur les peuples aborigènes pour voir que ce racisme n’est pas seulement un instrument de spoliation économique, mais également une arme de destruction psychologique massive et de désintégration sociale.

L’amour pour réconcilier

C’est pour cette raison qu’il est si difficile de s’attaquer aux effets du racisme structurel, ce racisme qui exerce encore et toujours son pouvoir de dissolution sur les individus et la société. Ce combat nécessite plus que de superficielles mesures de “réduction des inégalités”.

Il requiert la mise en œuvre d’une authentique politique de restitution, menée sur la durée et visant à libérer toutes les forces économiques, concrètes et émotionnelles susceptibles de contrebalancer les effets délétères des politiques de désintégration qui ont si longtemps dominé le paysage politique. Mais, et c’est tout aussi important, il exige aussi un sentiment particulier d’amour.

Si l’amour seul ne suffit pas, il est néanmoins nécessaire qu’il soit au cœur d’une politique de restitution bien faite ; il faut un amour capable de dépasser les barrières culturelles plutôt que de les renforcer et de réconcilier plutôt que de creuser les divisions.

Les économies du don

C’est sur ce point que la politique menée par Jacinda Ardern est si essentielle. À une époque où les responsables politiques sont mus par un pragmatisme sans âme qui transforme même leurs manifestations de sympathie en interventions vides et aseptisées, la Première ministre néo-zélandaise nous redonne foi en une politique capable de lutter contre les effets destructeurs du racisme et de l’ethnonationalisme.

Reste qu’il n’est pas facile d’imiter ce genre de politique lorsqu’on n’est pas sincèrement animé par ce même sentiment d’amour. Les anthropologues du monde entier étudient ce que l’on appelle les “économies du don” : ces sociétés essentiellement fondées sur l’échange de cadeaux plutôt que sur la circulation des biens.

Dans ces sociétés, les offres et les cadeaux comportent un hau – un concept emprunté à la culture maori. Le hau représente l’esprit du donateur, présent dans le cadeau qu’il fait. C’est là que l’on en vient à la raison pour laquelle il n’est pas facile d’imiter la politique de Jacinda Ardern.

Une sincérité indispensable

Il n’est pas possible de la copier parce que cette politique est une offre, un cadeau, et en tant que tel, elle est habitée par l’esprit de la Première ministre. Si un autre responsable politique tentait de faire comme elle sans ressentir sincèrement cet amour salvateur et multiculturel, quelle que soit son offre, l’esprit du donateur, son hau, transparaîtrait entre les lignes.

Résultat, ce cadeau ne posséderait pas le même potentiel de guérison et de rassemblement. Il suffit d’écouter Scott Morrison [le Premier ministre australien] parler des Aborigènes d’Australie et des musulmans pour comprendre de quoi je veux parler.

Le hau présent dans l’offre de Jacinda Ardern ne lui appartient pas exclusivement. Il représente également l’esprit des diverses forces sociales qu’elle incarne aujourd’hui. Si elle est empreinte d’une telle volonté de guérison sociale, c’est parce qu’elle fait appel à ce qu’il y a de meilleur dans la société néo-zélandaise.

Encore du chemin à faire en Australie

Nul doute qu’il existe en Australie une même combinaison de forces sociales dont les représentants, blancs et autres, peuvent ensemble constituer un mouvement de transformation sociale salvateur et antiraciste. Ils ne sont malheureusement pas nombreux au sein de la classe politique australienne à vouloir se rallier à ces mouvements.

Et voilà pourquoi le genre de politique menée par Jacinda Ardern reste quelque chose de pratiquement inédit en Australie.

Même lorsqu’ils tiennent le bon discours, les responsables politiques ne peuvent entièrement dissimuler leurs arrière-pensées. Et malheureusement pour nous, cet esprit est toujours celui d’un amour narcissique, l’amour d’une culture australienne blanche qui n’aime qu’elle-même.

Ghassan Hage

L'auteur : Ghassan Hage

Né au Liban, Ghassan Hage, professeur en anthropologie et théorie sociale à l’université de Melbourne, est connu dans le monde anglo-saxon en tant que spécialiste de la blanchité (Whiteness studies). Le Loup et le musulman (Wildproject, 2017) est à ce jour son seul ouvrage traduit en français.

SOURCE

L’indépendance et la qualité caractérisent ce titre né en 1821, qui abrite certains des chroniqueurs les plus respectés du pays. The Guardian est le journal de référence de l’intelligentsia, des enseignants et des syndicalistes. Orienté au

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