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nouvelobs.com Claude Soula 30 août 2018

 

Prélèvement des impôts à la source : la réforme qui fait peur à Macron

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Tous les calculs que vous aviez commencé à faire pour profiter au mieux de cette année 2018, blanche fiscalement, qui devait être purement et simplement supprimée, ne vous serviront peut-être à rien.

Le rétropédalage sur la plus grande réforme économique de l’année, celle qui devait concerner 38 millions de foyers français, a commencé. Finalement, l’an prochain, nous paierons sans doute encore nos impôts sur nos revenus de 2018, plutôt que par une retenue à la source sur nos salaires 2019. Confirmant ce que son Premier ministre et ses conseillers à l’Elysée disaient depuis des jours, le président a déclaré à Helsinki :

"J'ai plutôt l'intention de conduire cette réforme à son terme mais j'ai demandé aux ministres compétents de répondre à toutes les questions qui se posent encore, avant de donner une directive finale."

"Le président de la République prendra  la décision lui-même", confirme-t-on à l’Elysée. Une réunion aura lieu avant le 15 septembre pour faire le point sur les aspects techniques et politiques de l'opération : "Il ne peut pas y avoir de bug. Les Français n'accepteront pas le moindre problème technique", explique la présidence. Autrement dit, Emmanuel Macron ne confirmera le bouleversement fiscal que s’il est sûr à 100% que tous les processus informatiques fonctionneront... Et comme cela semble quasi impossible, le président semble bien sur le point de repousser cette réforme.

Quels sont les problèmes et les potentiels risques qui ne sont toujours pas résolus ?

1 Le pays est-il prêt ?

La réforme fiscale fait partie de l’héritage de François Hollande : c’est l’ancien président qui l’avait décidée, initialement pour répondre au "ras-le-bol fiscal" qui se manifestait alors dans le pays, mais aussi pour simplifier le travail des fonctionnaires de Bercy. Il s'agissait aussi d'aligner la France avec la plupart des autres démocraties. Sur le fond, payer nos impôts à la source sur nos revenus réels, ceux de l’année, est une idée qui ne semble pas stupide, et qui faciliterait considérablement la vie de tous ceux dont les revenus chutent brutalement, à commencer par les retraités et les chômeurs.

Aucun économiste n'est contre. Pourtant, avec son bon sens politique, l’ancien président avait préféré reculer in extremis, et laisser le bébé à son successeur. Il avait sans doute compris qu’aligner la France sur les standards internationaux, sans avoir changé auparavant la façon dont on calcule l’impôt sur le revenu dans l'Hexagone était trop risqué : c’est d'ailleurs ce qu’avaient dit les représentants syndicaux de Bercy lors des réunions préparatoires de la réforme il y a plus de deux ans maintenant.

"D’abord notre modèle actuel marche très bien : nous prélevons parfaitement bien les impôts des Français, et rien ne dit que le rendement sera aussi bon si on change les paramètres", explique Anne Guyot-Welke, la porte-parole du syndicat Solidaires Finances publiques. "Ensuite, le prélèvement direct sur les salaires n’est pas compatible avec le système fiscal français : il y a chez nous trop de niches et de choix fiscaux fait en faveur des familles, qui ne sont pas ceux des autres pays et qui compliquent trop le système. S’il s’agissait de simplifier le prélèvement, il suffisait de rendre obligatoire le prélèvement mensuel automatique. On aurait abouti au même résultat, sans soulever aucun problème."

Champion des niches fiscales

Mais voilà : le gouvernement et l’administration n’ont pas écouté leur personnel, ils ont avancé quand même, sans tenir compte de cette profonde originalité française : la France est la grande championne des niches fiscales et des dégrèvements en tous genres, dont la liste est quasiment surréaliste... Or, tous ces cadeaux ne peuvent être intégrés dans les nouveaux taux de prélèvement : les multiples niches (dons aux œuvres médicales ou sociales, cotisations syndicales, dons politiques, employés à domicile, rénovation de demeures historiques, rénovations énergétiques des logements, investissements dans les DOM-TOM ou dans la production de films...) constituent une usine à gaz qui ne pourra pas être prise en compte dans le taux de retenue à la source.

Beaucoup de ménages se retrouvent ainsi sous la barre de l’impôt aujourd’hui, et ne le seront plus demain. Ils devront attendre plusieurs mois avant d’être remboursés, ce qui posera problème aux plus fragiles et promet déjà des polémiques politiques effarantes, un boulevard pour l’opposition de droite et de gauche.

La politique familiale normative

Autre originalité française : la politique familiale normative, qui incite à se marier et faire des enfants, est intégrée dans le mode de calcul de l’impôt. Ceux qui ont des enfants ont des parts supplémentaires. Et ces enfants vont compliquer le calcul de l’impôt new-look. Un exemple ? Pour les contribuables qui ont eu un bébé en début d'année, il n’a pas pu être intégré à la déclaration fiscale du mois de juin dernier, puisqu’elle portait sur les revenus de 2017. Donc cette demi-part ne sera pas prise en compte par Bercy dans le calcul de leur taux de prélèvement de janvier prochain... et ils devront attendre l’automne 2019 pour être remboursés.

La fiscalité qui diffère selon que l’on est marié, pacsé ou en union libre complique un peu plus les calculs. Pourquoi les personnes mariées ont-elles droit à un taux de prélèvement différent de celui des célibataires ? Si leurs revenus respectifs sont très différents, le mieux payé peut y gagner beaucoup, mais avec la réforme apparaît un aspect négatif : l’employeur du "mal" payé saura désormais que ce dernier vit avec un privilégié, et il pourra donc avantager d’autres salariés lors des augmentations. C’est un problème qui concernera notamment tous les couples où l’un est salarié, et l’autre exerce une profession libérale, "et ils sont nombreux" souligne Anne Guyot-Welke, pour Solidaires Finances Publiques.

Le taux neutre

Du coup, Bercy a prévu une mesure qui permet aux salariés de dissimuler les revenus de leur foyer à leur employeur, et de déclarer un "taux neutre" à l’administration fiscale... mais cela va diablement compliquer l’existence de tout le monde. En fait, il existe même une catégorie de Français qui ne peut simplement pas profiter de la réforme : les employés à domicile, payés par des particuliers. Impossible de faire le calcul de la retenue dans leur cas. Ils sont donc exclus un an de plus, ce qui pourrait remettre en cause la légalité de la réforme : la Constitution stipulant que tous les Français doivent être égaux devant l’impôt, il est donc impossible de dissocier un salarié d’un autre.

Avant de réformer le mode de paiement de l’impôt, il aurait donc été bien plus logique de transformer son mode de calcul, d’autant que l’impôt sur le revenu pèse bien moins lourd chez nous que dans la plupart des autres grands pays : depuis la création de la TVA, ce sont les prélèvements  indirects, qui ont la réputation d’être indolores à défaut d’être égalitaires, qui constituent l’ossature fiscale du pays. Puis Michel Rocard a mis en place un autre impôt peu visible, qui était la préfiguration de ce nouvel impôt sur le revenu : la CSG.

Conclusion ? A priori, tant que le mode de calcul de l’impôt n’aura pas été radicalement simplifié et unifié, le pays ne sera pas prêt pour cette réforme.

2 Bercy est-il prêt ?

"Depuis deux ans, c’est notre priorité numéro un. Tous les moyens de Bercy ont été affectés au projet, alors que nos enveloppes budgétaires restent orientées à la baisse. Pour être prêts à temps, nous avons dû décaler toutes les autres dépenses et tous les investissements : de nombreux logiciels ne sont plus à jour, par exemple. Nous étions déjà surchargés de travail, nous le sommes encore plus. Et contrairement à ce qu’on pouvait penser, rien ne dit que nous pourrons ensuite réduire le personnel du ministère : certes ce sont les entreprises qui seront désormais chargées de collecter les impôts à notre place, mais nous devrons ensuite aller les contrôler", explique la syndicaliste Anne Guyot-Welke.

La réforme aura donc coûté cher : alors que l’Etat supprimait 2.100 postes par an dans les services de Bercy, le chiffre est tombé à 1.600 pour tenir compte de la mise en place de cette usine à gaz chronophage. 

Aujourd’hui, Bercy a mené les premiers tests de collecte pendant l’été, et estime être prêt à passer à la phase nationale. Mais cela ne suffira pourtant pas à éviter tous les problèmes, même si c’est sur les entreprises, qui s’en plaignent amèrement, que repose la collecte. Les grandes entreprises ont déjà fait les changements nécessaires sur leurs logiciels de paye. Mais ce n’est pas encore le cas pour les TPE, les toutes petites entreprises. "Leur représentant nous a dit qu’elles ne sont pas prêtes", dit-on à Bercy. Or, bien entendu, il y a plus de Français employés par des artisans, des commerçants ou des TPE que salariés par les géants du CAC 40. Alors même si Bercy est effectivement prêt, il est moins sûr que le tissu économique soit raccord, d’autant que les patrons des petites entreprises font savoir depuis des mois qu’ils estiment que ce n’est pas à eux de collecter les impôts.

3 Macron est-il prêt ?

Là encore, ce n’est pas certain, comme il vient, enfin, de le dire lui-même – même s’il serait ravi de moderniser ainsi l’administration fiscale. Certes, ce nouveau mode de perception présente de multiples avantages : pratique, rapide, moins coûteux, en théorie pour l’Etat, il s’adapte aux changements de situation au cours de la vie et il sera in fine utile à tout le monde... mais en attendant, il va engendrer de nombreuses rancœurs, qui vont s’ajouter à toutes celles liées aux autres réformes du gouvernement et aux couacs à répétition. Un proche du président explique :

"C'est une bonne réforme. Mais les facteurs psychologiques sont difficiles à maîtriser : la réaction des salariés ne sera pas la même selon qu'ils regardent leur fiche de paie ou l'évolution de leur compte en banque."

Ce qui fait le plus peur à l’Elysée ? L’effet psychologique. Quand les Français verront leur salaire de janvier, défalqué des impôts, même si dans les faits il reste le même que celui de l’an dernier, ils vont râler. Jusqu’ici, les contribuables rusaient : ils payaient à la dernière seconde, épargnaient de l’argent de côté et encaissaient les intérêts... tout cela sera fini, et chacun aura l’impression de s’appauvrir.

La consommation, donc la croissance, donc l’emploi, pourraient en souffrir. C’est exactement l’inverse de ce que veut Macron. Alors certes Gérald Darmanin, le ministre des Finances, et la direction de son administration fiscale feront tout ce qu’ils peuvent pour lancer la réforme envers et contre tout, mais politiquement, ils ne sont plus en position de force. Bercy avait mis sa charrue, la perception directe, avant ses bœufs :  transformer l’impôt. C’était une erreur. Rien n’oblige le gouvernement à poursuivre le mouvement.