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À la suite :« Aucune étude n’a jamais établi de lien de causalité entre assurance-chômage et explosion des contrats courts »,  Mathieu Grégoire, sociologue ; « La réforme de l’assurance-chômage va clairement dans le bon sens », Cahuc and co

 

 

« La meilleure connaissance des paramètres de l’assurance-chômage exerce bien un effet d’enfermement dans le chômage »

TRIBUNE

Pierre Cahuc, Professeur à Sciences Po, Stephane Carcillo, Professeur affilié au département d’économie de Sciences Po, François Fontaine, Professeur à la Paris School of Economics. Les trois économistes répondent dans une tribune au « Monde » aux critiques du sociologue Mathieu Grégoire et affirment de nouveau le lien qui existe entre assurance-chômage et contrats courts. Publié le 01 juin 2021

 

Tribune Dans une tribune, Emploi : « Aucune étude n’a jamais établi de lien de causalité entre assurance-chômage et explosion des contrats courts », publiée dans Le Monde le 25 mai, Mathien Grégoire critique la logique qui sous-tend la réforme de l’assurance-chômage en affirmant qu’aucune étude n’a établi de lien de causalité entre l’accroissement des contrats courts et les paramètres qui déterminent le montant et la durée d’indemnisation.

Cette affirmation nous étonne de la part d’un chercheur dont les compétences lui ont valu d’être sollicité par la CGT pour rédiger une volumineuse étude sur l’assurance-chômage. En effet, il existe de nombreux articles de recherche mettant en évidence, depuis fort longtemps, le lien entre assurance-chômage et contrats courts, et il nous semble utile de la porter à la connaissance des lecteurs du Monde.


Tout d’abord, les contributions de Martin Feldstein ont souligné, dès les années 1970 aux Etats-Unis, la tendance des entreprises à utiliser l’assurance-chômage pour proposer des périodes d’emploi de courte durée entrecoupées de périodes d’inactivité. Ces travaux ont été confirmés par de nombreuses études ultérieures, comme celle de Louis Christofides et Christopher McKenna en 1995, ou celle de Michael Baker et Samuel Rea en 1998, qui ont montré qu’au Canada, les entreprises offrent très souvent des contrats justes assez longs pour ouvrir des droits à l’assurance-chômage.

L’exemple des Etats-Unis

C’est pour éviter le développement de ces périodes de « chômage temporaire » que les Etats-Unis ont institué un système de bonus-malus sur les cotisations des employeurs en fonction de la durée des contrats qu’ils offrent. Et de fait, grâce à ce système, les Etats-Unis ne sont pas confrontés à un accroissement du chômage temporaire, contrairement à ce qui se passe en France. La mobilisation d’une partie du patronat français qui bénéficie du développement des CDD de courte durée a bloqué la mise en place d’un tel système en France.

La réforme de l’assurance-chômage ne prévoit en effet de l’instituer de façon embryonnaire que dans un nombre limité de secteurs. ‬‬‬‬ De même, en France, plusieurs travaux récents de Laura Khoury documentent comment les entreprises et les salariés prennent en compte les paramètres de l’assurance-chômage pour déterminer les durées d’emplois. Laura Khoury et ses coauteursmontrent notamment que la baisse du seuil d’éligibilité de 6 à 4 mois de travail pour ouvrir des droits à l’indemnisation instituée en 2009 a diminué la durée des contrats de travail et accru les transitions dans le chômage.

 

Enfin, une expérimentation auprès d’environ 150 000 allocataires de l’assurance-chômage nous semble aussi apporter un éclairage intéressant. Cette expérimentation a consisté à donner des informations sur le système d’activité réduite qui permet de cumuler indemnisation chômage et revenu d’activité. Ce système a été mis en place par les partenaires sociaux pour accélérer la sortie du chômage, mais son paramétrage est susceptible de favoriser de fait l’enchaînement de contrats courts en alternance avec des périodes d’inactivité, comme l’a souligné une note du Conseil d’analyse économique en 2015.

Assurance-chômage et accroissement des emplois instables

Dans cette expérimentation, initiée en janvier 2017, des personnes récemment entrées au chômage ont été réparties aléatoirement en deux groupes. Dans le premier, elles reçoivent des emails les informant du fonctionnement du système de cumul emploi chômage. Dans le second, qui sert de groupe de contrôle, aucune information n’est envoyée. Les personnes qui ont reçu des informations sur le système d’activité réduite ont davantage travaillé en contrats courts tout en continuant à être partiellement indemnisées.


Mais cette hausse de la propension à travailler pendant la période d’indemnisation est associée à une baisse du taux de sortie du chômage. Une personne qui travaille sur des emplois de courte durée du fait de la réception du message a 25 % de chances en plus d’être au chômage à la date qui aurait été celle de l’épuisement des prestations en l’absence de travail pendant la période d’indemnisation.

La meilleure connaissance des paramètres de l’assurance-chômage exerce donc bien un effet d’enfermement dans le chômage. Et cet effet est de grande ampleur. Ce phénomène n’est pas nécessairement la conséquence de comportements optimisateurs. Il est possible que les personnes induites à travailler sur les emplois précaires aient moins de temps pour chercher des emplois stables et s’enferment, malgré elles, dans la précarité.


Il est donc erroné d’affirmer qu’aucune étude n’apporte la preuve d’un impact important des paramètres de l’assurance-chômage sur l’accroissement des emplois instables. Il nous semblait important de mentionner les études existantes, passées sous silence par Mathieu Grégoire, pour éclairer l’ensemble des tenants et aboutissants du débat sur la réforme de l’assurance-chômage.

 

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« Aucune étude n’a jamais établi de lien de causalité entre assurance-chômage et explosion des contrats courts »

Le sociologue Mathieu Grégoire conteste, dans une tribune au « Monde », les arguments des économistes Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et François Fontaine en faveur de la réforme de l’assurance-chômage.

Publié le 25 mai 2021

 

Tribune. La tribune de Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et François Fontaine en soutien à la réforme de l’assurance-chômage a un incontestable mérite : elle démontre que l’objectif de la réforme n’est pas de faire évoluer les seuls paramètres de l’indemnisation du chômage, mais bien d’en modifier les « principes », et ce alors même que le législateur – qui « devrait être en première ligne sur ce sujet », selon eux – n’a pas été sollicité pour légiférer.

 

Selon leur analyse, ces principes en vigueur depuis 1958 (assurer un revenu de remplacement du salaire à des salariés privés involontairement d’emploi) engendrent aberrations et iniquités.

 

En particulier, ils impliquent qu’un salarié en CDI à mi-temps n’a pas les mêmes droits qu’un salarié à temps plein mais au chômage la moitié du temps. Par exemple, une femme ayant travaillé à mi-temps pour 750 euros mensuels a droit à une indemnisation fondée sur ce demi-smic, alors que son mari, qui a travaillé à temps plein au smic, a droit à une indemnisation supérieure, même s’il a été au chômage six mois sur les douze derniers mois.

Pas de corrélation chronologique

Cette salariée a signé un contrat de travail mentionnant une quotité de travail de 50 %. Son temps non travaillé n’est pas systématiquement assimilable à une privation involontaire d’emploi, mais on peut trouver injuste que son indemnisation soit basée sur ce mi-temps peut-être subi. Ce n’est pas du tout l’avis des auteurs et du gouvernement pour qui, tout au contraire, c’est le modèle de justice qu’il faut généraliser à tous ceux qui n’ont pas été pleinement en emploi.

 

Lire aussi Des écarts de 1 à 47 selon les bénéficiaires : la réforme de l’assurance-chômage en six questions

 

La réforme consiste ainsi à calculer une indemnisation basée sur le demi-smic pour le mari en s’alignant sur le cas le plus défavorable, comme si ce salarié à temps plein avait délibérément décidé de ne pas travailler pendant la moitié du temps. C’est ce qui légitime l’introduction d’un nouveau « principe d’équité : à quotité de travail (sic) et revenus moyens égaux, allocation et droit égaux ».

Le diagnostic sur lequel serait fondée la réforme est aussi simple que dénué de fondements empiriques : l’assurance-chômage serait « devenue une machine à fabriquer de la précarité » et serait responsable d’une « explosion » des contrats courts. Aucune étude n’a jamais établi un tel lien de causalité. Et pour cause, comme le montre un rapport récemment publié par la Dares (le service de recherche du ministère du travail) sur les usages des contrats courts, il n’y a pas même de corrélation chronologique.

L’introduction des règles de l’activité réduite et les modes de calcul de l’indemnisation datent de 1979-1983. Les données de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) montrent par ailleurs que la part des contrats de moins d’un mois dans les embauches a surtout augmenté dans la décennie 2000 – c’est-à-dire avant les réformes de 2009 et de 2014 que les auteurs incriminent –, au moment où les règles d’éligibilité étaient les plus strictes. Cette part s’est presque stabilisée au début des années 2010 et a même commencé à refluer à partir de 2015.

Fantasme

L’étude montre aussi que l’augmentation des contrats courts a d’autres causes que l’assurance-chômage. Un tiers des salariés concernés par les contrats courts ne sont pas même inscrits à Pôle emploi.


Inversement, parmi les chômeurs qui sont en « activité réduite », seul un tiers est effectivement indemnisé. La hausse des contrats courts s’explique d’abord par le dynamisme de certains secteurs historiquement utilisateurs comme le spectacle.

Elle s’explique aussi par le recul du travail informel dans l’hôtellerie-restauration (et ailleurs) qui rend visibles statistiquement des emplois jusqu’alors invisibles. Elle s’explique aussi par une logique de plus en plus répandue de cumul d’emplois, y compris par des salariés en CDI ou fonctionnaires par ailleurs. Elle s’explique enfin par des pratiques d’employeurs indépendantes de l’assurance-chômage. La thèse du chômeur optimisateur et de l’employeur complice est davantage une figure de fantasme théorique qu’une réalité tangible.


Enfin, cette réforme génère des inégalités de traitement que les auteurs peinent à admettre. Ils s’en prennent ainsi à l’Unédic qui a étudié, à la demande de la CGT, des cas-types révélant des inégalités d’indemnisation, à emploi égal et salaire égal, bien supérieures au niveau qui avait justifié la censure d’une première version de la réforme par le Conseil d’Etat. La question est simple : les exemples donnés par le gouvernement – tous fondés sur un épisode de chômage de trente jours calé sur un mois civil – sont-ils généralisables, ou sont-ils des cas particuliers ?

Une baisse de 97,2 %

Le résultat est sans équivoque. Pour un même épisode de trente jours de chômage non calé sur les mois civils, deux salariés au smic peuvent bénéficier d’indemnisation allant du simple au quadruple, selon que leur emploi antérieur est fractionné ou continu. Pire, à salaire égal de 2 800 euros et emploi égal, deux salariés au chômage trente jours, du 16 avril au 15 mai, bénéficient de 1 144 euros ou… de 32 euros, selon que leur emploi antérieur est fractionné ou continu, soit une baisse de 97,2 % !

A l’instar du gouvernement, les auteurs dénoncent un biais de méthode : en cas d’activité réduite, il ne serait pas scientifique d’étudier les seules inégalités d’indemnisation sans tenir compte « du cumul avec le salaire ». Or, par hypothèse de départ, ces salaires sont identiques : les prendre en compte ne change donc rien aux écarts observés. Les cas de baisse de 97 % de l’allocation leur ayant peut-être échappé, ils concentrent leur concession et leur raisonnement sur un cas pour lequel cette baisse n’est que de 18 %. Mais, rassurent-ils, « lorsqu’on tient compte du cumul avec le salaire, le revenu total diminue en réalité de 7 % ».


Certes. A un détail près : tout à leur leçon de rigueur morale et d’honnêteté scientifique, ils ne se sont pas rendu compte que ce cas si rassurant est précisément un cas dans lequel… il n’y a aucune activité réduite. Dans un flagrant déni de réalité et une involontaire démonstration par l’absurde, ils se rassurent ainsi sur les inégalités d’indemnisation du mois d’avril, en y additionnant le salaire du mois de mai !

En 2006, Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, qui défendaient alors les bienfaits du contrat première embauche (CPE), écrivaient : « Pour que la discussion soit constructive, encore faut-il sortir de l’idéologie. » On ne saurait mieux dire.

 

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« La réforme de l’assurance-chômage va clairement dans le bon sens »

 

Les trois économistes Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et François Fontaine défendent, dans une tribune au « Monde », la réforme de l’indemnisation des chômeurs qui entrera en vigueur le 1er juillet et soulève de vives protestations

Publié le 09 mai 2021

 

Tribune. L’assurance-chômage a joué un rôle essentiel durant cette crise en protégeant les ménages. La couverture exceptionnelle de ce régime en France ne doit cependant pas faire oublier ses dérives. A la faveur de réformes successives voulues par les partenaires sociaux, le régime est aussi devenu une machine à fabriquer de la précarité, source de chômage et de déficits quasi permanents.

L’introduction du système d’activité réduite permet de travailler tout en étant indemnisé. Associé à l’ouverture de droits dès quatre mois de travail, à la règle de « 1 jour travaillé 1 jour indemnisé », à l’instauration du rechargement des droits dès qu’on reprend un emploi, ainsi qu’à un mode de calcul de l’allocation très favorable aux contrats courts, ce système a favorisé l’explosion des emplois précaires.

Il est désormais possible de gagner presque autant en travaillant la moitié des jours dans le mois qu’en travaillant à temps plein, et cela sans limitation de durée. Les employeurs le savent et n’ont plus aucun frein à offrir ce type de contrat. Depuis dix ans, le nombre de CDD de moins d’un mois a augmenté de 150 % ! On y recourt désormais dix fois plus qu’en Allemagne et cinq fois plus qu’au Danemark.

Une indemnisation qui reflète mieux la quotité de travail

La réforme du gouvernement, âprement contestée, vise à freiner cet emballement aussi coûteux qu’inéquitable. Le système actuel contrevient à une règle fondamentale qui veut qu’on ne gagne pas plus au chômage qu’en travaillant. L’allocation versée un mois donné est calculée actuellement sur la base des seuls jours travaillés, si bien qu’il est possible de percevoir à la fin du mois une allocation deux à trois fois plus élevée que son ancien salaire, à condition de n’accepter que des contrats courts !

Prenons une personne travaillant à mi-temps en CDI pendant un an, et une autre travaillant 15 jours par mois en CDD courts pendant un an. Dans ces deux configurations, la quotité de travail est la même. Une fois au chômage, l’allocation mensuelle est de 64 % du salaire mensuel antérieur pour la personne à temps partiel mais passe à 128 % – le double – dans le cas du CDD par intermittence. Et l’augmentation de revenu en entrant au chômage peut être encore plus élevée pour des durées de contrat plus courtes.


La réforme vise à instituer une indemnisation qui reflète mieux la quotité de travail et le revenu antérieurs des allocataires de l’assurance chômage. À cette fin, il est désormais tenu compte de tous les jours, y compris ceux non travaillés, dans la limite d’un plancher, afin de définir un revenu du travail moyen comparable pour tous. Avec cette méthode, le montant des allocations devient identique dans les deux cas cités précédemment.

La durée d’indemnisation passe de 6 à 10,5 mois

En contrepartie, la durée de versement de l’allocation s’allonge pour les titulaires de contrats courts et rejoint celle du CDI, suivant un principe d’équité simple : à quotité de travail et revenus moyens égaux, allocation et droit à l’assurance chômage égaux. En parallèle, la réforme instaure un bonus-malus pour les employeurs en modulant leurs cotisations au régime en fonction du nombre de fin de contrats qu’ils génèrent.

Cette réforme, qui va clairement dans le bon sens, ne s’appliquera qu’à partir de la reprise du marché du travail et uniquement pour les nouveaux inscrits. Pourtant, la note publiée le 3 mai par l’Unédic suggère, avec des exemples soigneusement sélectionnés, qu’elle crée des inégalités et des diminutions d’allocations pour certains demandeurs d’emploi.


Elle cite notamment le cas d’une personne ayant eu deux CDD de trois mois espacés de trois mois sans emploi et qui s’inscrit au chômage puis reprend un CDD d’un mois dans le cadre de l’activité réduite. Certes, l’allocation de cette personne baisse de 18 %, mais lorsqu’on tient compte du cumul avec le salaire, le revenu total diminue en réalité de 7 %. Par ailleurs, la durée d’indemnisation passe de 6 à 10,5 mois grâce à la réforme, ce qui la rend plus favorable à ceux qui resteront plus longtemps au chômage.

Une quasi-absence de contrôle de l’Assemblée nationale

Enfin, les calculs de l’Unédic ne tiennent pas compte des autres prestations. Or, le RSA compense les pertes de ceux qui ne travaillent pas et perçoivent de faibles allocations, tandis que la prime d’activité complète les revenus de ceux qui travaillent. Le système de redistribution vient donc limiter les pertes de revenu, mais d’une manière mieux ciblée que ne pourrait le faire l’assurance-chômage, car il prend en compte la situation familiale.


Le fait que l’Unedic ne tienne pas compte de l’ensemble des transferts dans son évaluation de l’effet de la réforme est révélateur d’un problème fondamental : la protection sociale est gouvernée par plusieurs pilotes qui visent des objectifs différents, avec une quasi-absence de contrôle de l’Assemblée nationale, qui devrait pourtant être en première ligne sur ce sujet, d’autant qu’une partie significative de l’assurance-chômage est financée par l’impôt.