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Face à l’extrême droite, le combat ou l’abîme

Face à l’extrême droite, le combat ou l’abîme

Dans une configuration politique inédite, l’extrême droite est aux portes du pouvoir en France. Seul un front commun des gauches sociales et écologistes, que les partis ont commencé à esquisser lundi soir, est à même d’écarter la menace du RN aux législatives. Il revient à la société civile de se mobiliser pour s’assurer que les divergences ne prendront pas le dessus. 

 

Lénaïg Bredoux et Carine Fouteau

11 juin 2024 à 09h45

 

Plus que dix-neuf jours pour éviter l’abîme. Pour la première fois dans l’histoire de notre pays en temps de paix, un parti raciste, antisocial et réactionnaire pourrait accéder au pouvoir, avec un premier ministre chargé de constituer un gouvernement, dans une cohabitation de tous les dangers qui défigurerait profondément notre pays. L’espoir suscité par l’accord de principe conclu par les principaux partis de gauche lundi soir doit être à la hauteur de la gravité de la situation.

En décidant de dissoudre l’Assemblée nationale, et en appelant dans la foulée les Français·es aux urnes les 30 juin et 7 juillet, Emmanuel Macron fait le choix de la terre brûlée, après avoir créé les conditions de la catastrophe. Depuis qu’il a été élu président, en 2017, sa stratégie, non seulement perdante électoralement, mais surtout démocratiquement mortifère, a consisté à faire du Rassemblement national (RN) son meilleur ennemi, le légitimant et l’installant comme la seule alternative politique en France.

On ne peut, certes, lui reprocher un déni de démocratie, même si, plutôt que de congédier les député·es du Palais-Bourbon, il aurait pu endosser la responsabilité de son incapacité à faire barrage à l’extrême droite en démissionnant et en remettant en jeu son mandat de président de la République.

 

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Lors du rassemblement place de la République, à Paris, le 10 juin 2024. © Photo Isa Harsin / Sipa

Mais, en convoquant dans la précipitation, et en toute verticalité, des élections législatives anticipées, il fait payer à tout le pays le prix de son incurie. Et, dans une inconscience synonyme de faute politique et morale, il fait prendre à la France le risque du RN au pouvoir, et de ses périls : atteintes aux libertés et droits fondamentaux, mise au pas de la justice et de la presse, brutalisation du corps social, fragilisation des plus précaires, exclusion des étrangers et étrangères, stigmatisation des personnes racisées, régression des droits des femmes et des minorités, déni de l’ampleur du dérèglement climatique...

L’irresponsabilité du pouvoir

Lors de la dernière élection présidentielle, Mediapart avait fait l’inventaire des premières mesures qui ne manqueraient pas d’être votées en cas d’accession aux affaires (lire ici: dans toute leur violence, elles montrent, derrière la longue tentative de « dédiabolisation », le vrai visage de ce parti fondé en 1972 par des néofascistes et d’anciens collabos et membres de la Waffen-SS, celui d’une famille politique antidémocratique dont l’inégalité naturelle, c’est-à-dire le privilège de naissance, est le credo, en rupture totale avec la Constitution qui pose l’égalité de toutes et tous devant la loi sans distinction d’origine, de condition, de croyance, d’appartenance, de sexe ou de genre.

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Nous n’avons cessé de le chroniquer depuis sept ans, mais, maintenant que nous sommes au pied du mur, comment ne pas le marteler : le chef de l’État est l’une des données cardinales du désastre actuel. Lorsqu’il a soutenu, coup sur coup, un projet de loi sur (contre) l’immigration promouvant la préférence nationale et une réforme du droit du sol à Mayotte, Emmanuel Macron a achevé de transformer le macronisme en un lepénisme. À force de reprendre ses formules et ses idées, les digues ont sauté.

« Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir », écrivait Victor Klemperer, auteur de LTI, la langue du IIIe Reich, paru en 1947, dans lequel il décrivait la banalisation du totalitarisme et la contamination par la langue des modes de pensée.

Pourtant, contre la réalité des faits, le chef de l’État continue tête baissée. Entre aberration et cynisme, la dissolution de l’Assemblée nationale repose soit sur le pari que, pour la troisième fois, les électrices et les électeurs choisiraient la Macronie contre la Lepénie, soit sur le pari qu’une cohabitation avec le RN permettrait de révéler sa vacuité jusqu’à le décrédibiliser en vue de l’élection présidentielle de 2027. Dans les deux cas, ce choix revient à accepter consciemment de mettre les valeurs principielles de notre pays en danger, ainsi que la vie des personnes minorisées et des plus précaires, qui seraient les premières à en subir les conséquences.

Une alliance des gauches impérative

Pour faire dérailler ce sinistre scénario, que peuvent les gauches ? tout ! Compte tenu de la stabilité de leurs scores aux derniers scrutins (légèrement supérieurs à 30 % des suffrages exprimés aux européennes de 2024 et 2019 et à la présidentielle de 2022), elles détiennent l’occasion historique d’empêcher le pire d’advenir.

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Sans ambiguïté, des voix pour l’unité se sont fait entendre, dès le soir des résultats. Dans la rue, déjà, où des centaines de jeunes ont manifesté dans plusieurs villes de France. Lorsqu’ils ont annoncé, lundi soir, être parvenus à un accord de principe « pour faire front populaire », les chef·fes de parti des gauches et des écologistes ont été accueillis par les cris de la foule rassemblée à la sortie de leur réunion : « Ne nous trahissez pas ! » L’appel à l’union résonne puissamment.

C’est aussi le sens d’une tribune publiée dans Le Monde signée par plus de 350 personnalités de la société civile, parmi lesquelles Julia Cagé, Ludivine Bantigny, Esther Duflo, Annie Ernaux, Didier Fassin, François Héran et Dominique Sopo.

Il faut que les citoyennes et citoyens s’en mêlent pour qu’une dynamique de mobilisation voie le jour.

« Seule l’union des gauches et des écologistes peut contrer cette effroyable perspective [de l’extrême droite au pouvoir] et ouvrir l’espoir d’une vie meilleure. Seule cette union peut permettre de fédérer les classes populaires et les classes moyennes des bourgs et des banlieues, des villages et des métropoles, comme cela s’est fait dans le passé. Seule cette union peut agir sérieusement face à la triple urgence climatique, sociale et démocratique », écrivent-ils.

« Nous savons que ces combats […] doivent être portés par une force pluraliste, sociale, culturelle, politique. Les partis politiques n’y arriveront pas seuls. Il faut que les citoyennes et citoyens s’en mêlent pour qu’une dynamique de mobilisation voie le jour. Une mobilisation pour l’union. Aujourd’hui et maintenant », insistent-ils.

Dans le milieu associatif, des réunions ont lieu depuis dimanche soir. Des personnes de bonne volonté tentent d’organiser des discussions. Plusieurs organisations syndicales, malgré leur attachement à la charte d’Amiens, ont choisi de mener la bataille frontale contre l’extrême droite. La CFDT, la CGT, l’Unsa, la FSU et Solidaires ont appelé lundi à « manifester le plus largement possible ce week-end pour porter la nécessité d’alternatives de progrès pour le monde du travail »

Il est urgent que le mouvement s’amplifie et prenne forme, sous l’impulsion d’une vaste mobilisation syndicale, associative et citoyenne. Il nous appartient à toutes et tous. Chacun·e à sa place, chacun·e dans son registre. Ce combat est aussi le nôtre, comme journal, engagé depuis ses débuts contre les inégalités, les discriminations et l’injustice sociale.

Surmonter les trahisons et les désaccords

Ne laissons pas les appareils politiques accaparer l’enjeu démocratique auquel nous faisons face. Plaçons-les devant leur responsabilité historique, de LFI au PS, en passant par les Verts et le PCF. En reprenant les mesures de la Nupes ou en s’accordant sur un socle commun (reconstruction des services publics, abrogation de la réforme des retraites, augmentation du pouvoir d’achat, taxation des superprofits, bifurcation écologique, lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie, etc.), les gauches ont entre leurs mains la possibilité de stopper l’ascension du RN et de prendre Emmanuel Macron à son propre piège.

À une condition : qu’elles renoncent à leurs dissensions et partent unies aux élections. Le temps n’est plus aux querelles incessantes et aux entêtements narcissiques.

La question n’est pas de savoir qui sera hégémonique à gauche, du PS qui rêve de retrouver son lustre d’antan ou de La France insoumise qui s’est avérée incapable de tout reconstruire après la présidentielle et les législatives de 2022. L’enjeu n’est pas de fixer des conditions dont on sait par avance qu’elles seront insurmontables. Ou de commencer par lister des préalables interminables. Voire de décider qui sera premier ministre. Il ne s’agit pas davantage de déterrer les trahisons passées ou les déceptions d’hier.

Elles ne disparaîtront pas par magie. Le PS et Les Écologistes peuvent à raison se méfier de la pratique du pouvoir de Jean-Luc Mélenchon – les deux formations l’ont douloureusement éprouvée après les bons résultats de la Nupes aux législatives. Des désaccords existent, sur l’Ukraine par exemple. Des fractures, parfois profondes, se sont exprimées à propos du 7 octobre et les ambiguïtés de l’ancien candidat à la présidentielle sur l’antisémitisme.

En ces temps sombres, ne laissons pas la petite musique vallsiste des « gauches irréconciliables » se faire entendre.

Les Insoumis·es se souviennent, quant à eux, des promesses reniées quand le PS fut au pouvoir. Les socialistes, avant les macronistes, ont pavé le chemin de l’extrême droite en agitant la déchéance de nationalité après les attentats de Paris, ou en abandonnant la bataille culturelle sur l’apport de l’immigration au collectif national. Sans parler des renoncements à la conquête de droits sociaux et à l’accommodement libéral d’une gauche gestionnaire que les catégories populaires ne reconnaissent plus comme défendant ses intérêts.

Mais l’heure n’est pas à la dispute. En ces temps sombres, ne laissons pas la petite musique vallsiste des « gauches irréconciliables » se faire entendre et refusons le mensonge macroniste cherchant à opposer, à gauche, les tenants d’un « arc républicain » au camp des « extrêmes ». Réfutons la narration, également macroniste, des « progressistes » opposés aux « populistes ».   

Il n’est plus temps ni de se lamenter ni de tergiverser. Sans appel fort des organisations syndicales et des défenseurs des libertés publiques, et sans mouvement de fond des électeurs et électrices attaché·es aux valeurs progressistes et humanistes, c’est un régime remettant brutalement en cause les valeurs émancipatrices d’égalité des droits et de solidarité, contraire à ce qui constitue la France depuis la Révolution française, qui présidera aux destinées de notre pays. Nous refusons toujours de nous y résoudre.