La veille pourtant, le même s’insurgeait dans les pages de L’Obs : « Le burkini, ça n’a rien à faire dans une piscine ! », lançait-il dans un entretien où il revenait en longueur sur les sujets dits « régaliens » – la République, la sécurité, la laïcité –, prenant, de son propre chef, l’exemple de ce maillot de bain couvrant pour appuyer ses dires.
Une interview qui a heurté la sensibilité de la base militante d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), et même au-delà. Et qui pourrait coûter cher, politiquement, à l’ambitieux eurodéputé : avant de partir en campagne pour 2022, celui-ci devra en effet d’abord passer sous les fourches caudines d’une primaire interne.
« Yannick a été sincère, il n’y avait ni provocation ni maladresse dans ce qu’il a dit à L’Obs, le défend l’un de ses proches, l’élu du Mans, Alexis Braud. Après, si ne pas être dans la doxa écolo-gaucho empêche les militants d’élire le seul candidat crédible à la présidentielle, que voulez-vous que je vous dise ? »
Outre sa sortie sur le burkini, un autre passage, où l’ancien directeur de Greenpeace France évoque les « replis communautaires » qui seraient à l’œuvre en France, a aussi fait tiquer plusieurs écolos : celui où il explique que « les jeunes de banlieue » seraient « instrumentalisés » par les Saoudiens lors des pèlerinages à la Mecque. « Nos sociétés sont tellement crispées et déstabilisées que des groupes tentent de remettre en question la sécularisation, de sortir des lois de la République au nom d’une idéologie ou de principes religieux. C’est inacceptable », poursuit-il. Puis, la fameuse phrase : « Le burkini, ça n’a rien à faire dans une piscine ! »
Jeudi, plusieurs tweets indignés ou sardoniques ont tourné sur la Toile. La commission quartiers populaires d’EELV s’est « désolidarisée publiquement » des propos de Yannick Jadot qui « divise et stigmatise ». Le mouvement des Jeunes écologistes (une organisation qui n’est pas intégrée au parti) a lui aussi accusé la tête de liste des européennes de faire « le jeu des faux débats ».
Il faut dire que, cruel hasard du calendrier, l’interview de L’Obs est parue le jour même où une autre polémique éclatait à propos d’une députée de La République en marche ayant refusé de siéger à une commission d’enquête au prétexte qu’une intervenante portait le voile. La scène a suscité un émoi collectif sur les réseaux sociaux…
Contacté par Mediapart, Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV, condamne clairement : « Qu’on puisse aller taper l’islam radical, c’est une évidence, mais pas en prenant cet exemple. La loi de 1905 est claire, elle concerne les agents et pas les usagers. Le défenseur des droits a d’ailleurs clos la question : on a le droit d’aller à la piscine en burkini. Jadot a essayé de se rattraper ce matin [sur LCI – ndlr], dont acte. »
David Cormand, figure influente et respectée chez les Verts, a, de son côté, opté pour une tranchante ironie : « Perso, je préférais la collection printemps-été 2016 », a-t-il écrit sur Twitter, exhumant une phrase prononcée par Yannick Jadot en août 2016 au micro de l’émission « Les grandes gueules » de RMC : « Ceux qui hurlent contre le burkini sont aussi ceux qui privatisent une plage publique pour [une] famille saoudienne », dénonçait-il alors.
C’est que depuis quelques années, Yannick Jadot n’est plus tout à fait le même, affirment ceux qui le connaissent de longue date. « Cette histoire me fait de la peine : ce n’est pas le Yannick que je connais depuis vingt ans qui était très engagé au côté des sans-papiers et qui ne zigzaguait pas en permanence. Il est passé d’une pensée complexe à une pensée “spectaculaire” », regrette Jérôme Gleizes, conseiller de Paris et membre de l’aile gauche du parti.
« On peut transiger sur la stratégie, sur la tactique, mais pas sur les valeurs », glisse un autre cadre, qui affirme que, contrairement à d’autres thématiques sociétales, comme la prostitution, la question de la laïcité et du rapport à l’islam n’ont jamais fait vraiment débat en interne : « Alors que le reste de la gauche n'a eu de cesse de se déchirer, les Verts ont toujours été un îlot de tranquillité sur ces sujets. »
La direction d’EELV, dont Julien Bayou, et la « numéro 2 », Sandra Regol, mais aussi la sénatrice Esther Benbassa, s’était d’ailleurs affichée à la marche contre l’islamophobie, le 10 novembre dernier. L’absence remarquée de Yannick Jadot – qui avait signé l’appel, mais n’était pas allé défiler, le soupçon du communautarisme montant dans l’opinion – avait déjà provoqué quelques saillies sur son « manque de courage ».
Par la suite, l’eurodéputé, qui n’a jamais été un « homme de parti », a encore pris ses distances vis-à-vis de l’état-major d’EELV. Lors des dernières journées d’été, il a reproché publiquement à la direction du parti sa pusillanimité à s’engager dans la campagne présidentielle à venir.
Par ailleurs, force est de constater que, ces derniers temps, sa défense des maires écologistes empêtrés dans les polémiques sur le sapin de Noël ou le Tour de France – que lui, « adore » – a semblé un peu mollassonne. Et bien qu’il ait appelé à un moratoire sur le déploiement de la 5G, sa proposition de créer un « géant européen avec Nokia et Ericsson » pour contrer le Chinois Huawei dans l’exploitation du réseau a fait grincer chez les écologistes critiques du capitalisme.
Avancer sur une ligne de crête : tel semble désormais le pari de Yannick Jadot. Un pari risqué. « Sur le fond, ses propos dans L’Obs sont en décalage par rapport à ce que portent les Verts, y compris vis-à-vis de la commission féministe, pointe le porte-parole du parti, Alain Coulombel. Il croit renforcer son image de présidentiable et se crédibiliser auprès des médias en adoptant les us et coutumes de ses adversaires. Mais c’est une erreur stratégique : d’abord parce que l’écologie ne peut pas être consensuelle, c’est un champ de bataille. Ensuite, parce que si Jadot a raison de dire qu’on doit s’armer sur les sujets régaliens, il faut le faire dans notre propre langage. » Autrement dit : avant de penser au deuxième tour de la présidentielle, il faut déjà rassembler les siens.
Récemment intégré à la « maison écolo », Benjamin Lucas, porte-parole de Génération·s, le mouvement créé par Benoît Hamon, ne dit pas autre chose : « Jadot a le même problème que plein de mecs de gauche. Mais ils devraient tous comprendre qu’on peut être crédible sur le régalien et la question républicaine sans tomber dans les pièges, sans reprendre les thèmes et les termes de l’extrême droite, sans suivre son agenda. » « Si on commence à lier stratégie électorale et laïcité, c’est un toboggan qui mène forcément à la défaite et au désastre au niveau des valeurs », abonde Julien Bayou.
Elle aussi membre de la coalition écologiste qui s’est formée l’an dernier autour d’EELV, Corinne Lepage, de Cap21, ne l’entend pas vraiment de cette oreille : « Si on pense que l’écologie peut et doit arriver au pouvoir, il faut qu’on se crédibilise, et ça passe par prendre au sérieux notamment notre rapport à la République. Sinon, on va finir comme Eva Joly en 2012 », avertit l’avocate, qui veut prendre modèle sur les Verts allemands dont l’ascension politique serait due, selon elle, à l’influence grandissante des « Realos » (les réformistes) au détriment des « Fundis » (les révolutionnaires).
Le jeu se rejouerait-il de ce côté-ci du Rhin ? Jusqu’à la rupture ? Dans l’entourage de Yannick Jadot, on ne l’exclut plus, même si, pour l’heure, on ne le souhaite pas. « Je suis étonnée que cette affaire de burkini prenne cette ampleur, estime Éva Sas, porte-parole du parti, qui avait porté la motion du député européen au dernier congrès. Certes, pour la grande majorité des militants, le voile n’est pas un sujet, mais le burkini, c’est autre chose, et ce débat traverse tous les partis. Il faut accepter les divergences et les nuances plutôt que s’arc-bouter. »
La députée Delphine Batho, de Génération Écologie – un autre parti satellite –, appelle, elle aussi, à calmer le jeu : « Tout ce qui tourne autour de la question de la République, c’est de la nitroglycérine. Il faut qu’on prenne modèle sur la campagne d’Obama qui avait déminé les “irritants”. Qu’on parvienne à neutraliser ces sujets-là pour avancer soudés. »
En attendant, l’ambiance n’est pas au beau fixe chez les Verts. Ce week-end, le conseil fédéral du parti risque ainsi d’être houleux. Non seulement, « l’affaire » du burkini pourrait se voir invitée dans les débats. Mais le conseil fédéral doit aussi se prononcer sur un autre point épineux : le calendrier de la désignation du candidat à la présidentielle.
Si la direction du parti entend renvoyer la primaire interne après les régionales, plusieurs écologistes, Yannick Jadot le premier, plaident pour accélérer le timing et organiser le vote dès cet automne. Le sujet est si délicat que le trésorier d’EELV, Thierry Brochot, un homme puissant chez les Verts, y a fait référence pour expliquer sa démission, fin août, pour cause de « désaccords politiques » : « La marche [pour accéder au second tour en 2022, ndlr] devient quasi infranchissable si nous multiplions les obstacles et si nous tergiversons sur la désignation de notre candidat », écrit-il, il y a quelques jours, dans un texte, envoyé à plusieurs militants.
Autre revendication : que les écologistes s’emparent des sujets qui fâchent, notamment « du rapport à la République et à la laïcité ». L’ex-« monsieur-finances », aux manettes depuis 2016, ajoute : « Le dérèglement du climat, la sauvegarde du vivant et la transition vers un modèle de civilisation soutenable devraient occuper nos pensées et mobiliser l’essentiel de nos énergies. Au lieu de ça, nous préférons nous écharper sur… je vous laisse le soin de compléter. »