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Monsieur le Président, encore un effort social pour l’unité nationale !

 

En écoutant Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée jeudi, on s’est surpris à rêver. Et si, à l’occasion l’épidémie de coronavirus, notre président de la République avait enfin pris conscience de son rôle, celui de rassembleur de la Nation, et de l’impasse dans laquelle sa politique économique et sociale, et celle de ses prédécesseurs, la menait.

Certaines expressions résonnaient hier soir comme autant de désaveux

Certaines expressions résonnaient hier soir comme autant de désaveux : il faudrait ainsi « interroger le modèle dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour ». Ou encore cette célébration du modèle social français : « La santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe ». A tel point qu’il faudrait non seulement « placer en dehors des lois du marché la santé », mais aussi « rependre le contrôle » sur des pans entiers de l’économie à commencer par l’alimentation.

Tournant du quinquennat ?

Faut-il y voir les prémisses d’un « tournant social » du quinquennat ? Pourquoi pas ? Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’un chef de l’Etat se saisirait d’un événement critique pour réviser sa politique. Du « tournant de la rigueur » en 1983 par François Mitterrand, en passant par le plan Juppé en 1995, par Jacques Chirac, ou l’ouverture des vannes budgétaires par Nicolas Sarkozy en 2009, jusqu’au « choc de l’offre », ou au « pacte de sécurité supérieur au pacte de stabilité » par François Hollande, les retournements de vestes n’ont pas manqué dans notre histoire récente.

Outre la nécessité impérieuse, le changement de pied sous la pression des événements se révèle souvent comme la meilleure manière de rebattre les cartes politiques. Est-ce critiquable si cela permet de ramener le pays sur une trajectoire plus solidaire, plus souveraine, plus efficace ?

Avant de se réjouir du retour de l’enfant prodigue au bercail du modèle social français, on se permettra de lui demander quelques preuves d’amour

Mais avant de se réjouir du retour de l’enfant prodigue au bercail du modèle social français, on se permettra de lui demander quelques preuves d’amour, comme dirait Nicolas Sarkozy. Le gouvernement a ainsi repoussé la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Mais pour le moment « parce que les conditions économiques ne sont pas réunies ». Avec une bourse en baisse de 30 %, c’est certain. Mais après ? D’aucuns parient qu’il s’agit d’un report sine die. Mais, interrogé sur RMC, Bruno Le Maire affirme : « Ma philosophie sur la place de l’Etat dans l’économie n’a pas changé ». Comme si le ministre de l’Economie n’avait rien entendu du discours du patron de l’Elysée…

Ce message du changement de paradigme est-il si clair ? La santé, martèle le Président, « n’a pas de prix ». Mais on peut interpréter le dicton a minima : lâchons la bride budgétaire pour quelques semaines ou quelques mois, on appuiera sur le frein d’autant plus fort l’année prochaine. Ou la chose est-elle prise au sérieux et le gouvernement annonce la reprise totale de la dette des hôpitaux publics – et non le tiers, et sous condition – par l’Etat. Le « pacte de santé », enfin dégagé des contingences du traité de Maastricht, aurait un peu plus d’allure, non ?

Quid des plus précaires ?

Et s’il s’agit dans la crise de protéger les plus faibles, pourquoi s’arrêter aux ménages en voie d’expulsion ? Pourquoi ne pas ouvrir en grand le parapluie du chômage partiel réservé aux salariés actuellement en poste – même s’il s’agit là d’une mesure absolument justifiée et adaptée au choc du coronavirus ? Pourquoi cet oubli pour les chômeurs, ceux qui sont hors de l’emploi et voient toute perspective d’embauche s’éloigner pour au moins plusieurs mois ?

Pourquoi cet oubli pour les chômeurs, ceux qui sont hors de l’emploi et voient toute perspective d’embauche s’éloigner pour au moins plusieurs mois ?

Des milliers d’intermittents du spectacle, d’intérimaires, de CDD en fin de contrat sont déjà retournés à Pôle emploi et consomment leurs droits. La bonne et minimale mesure sociale qui manque à l’heure où sont écrites ces lignes, consisterait à repousser à l’année prochaine au moins l’application de la réforme de l’assurance chômage, qui non seulement durcit les conditions d’accès aux indemnités, mais aussi en réduit le montant. La ministre du Travail Muriel Pénicaud, avait justifié sa réforme par la résorption (lente) du chômage de masse. Les conditions ont changé en deux mois. On nous promet une réponse dans les jours qui viennent.

Dossiers à mettre sur pause

Puisque le président de la République fait appel à l’union nationale, pourquoi se limiter à consulter les organisations patronales et les partis politiques pour assurer aux uns que l’Etat garantirait leurs créances, aux autres que les élections municipales se dérouleront selon le calendrier prévu ?

Les syndicats ne méritaient-ils pas un tel honneur ? Mais sans doute faudrait-il pour qu’ils acceptent d’entrer dans le jeu et que le gouvernement retire son projet de réforme des retraites qui est le plus important ferment de division de l’opinion publique… Ou du moins que l’Etat le repousse à l’automne voire en 2021, de façon à ce que le débat fondamental pour l’avenir du système français de protection sociale, désormais élevé au rang quasi-religieux de « bienfait » national puisse se dérouler convenablement. Il est d’ailleurs possible que le Covid-19 tranche la question. Les sénateurs, dont la moyenne d’âge avoisine les 63 ans, et dont environ 15 % ont dépassé les 70 ans – ce qui suppose qu’ils soient donc écartés des séances –, seront-ils en mesure de siéger ?

ADP, hôpitaux, assurance chômage, retraites : il s’agit bien de défaire une bonne partie de ce que la majorité a construit en deux années et demie de pouvoir

ADP, hôpitaux, assurance chômage, retraites : il s’agit bien de défaire une bonne partie de ce que la majorité a construit en deux années et demie de pouvoir. Oui. Mais la certitude que les « décisions de rupture » promises par Emmanuel Macron ne s’envoleront pas dès que le virus aura disparu avec le vent de l’été est le prix à payer pour une véritable unité nationale.

Les esprits chagrins, en fait ceux qui se réjouissaient de voir Emmanuel Macron appliquer le programme de François Fillon, crieront à la trahison, c’est sûr. Le Président, qui adore les citations, pourra répondre avec cette maxime de l’immortel Edgar Faure : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. »

Rectificatif

Enfin, dans son allocution Emmanuel Macron a affirmé que le coronavirus était « la plus grande crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle ». Une rapide recherche permet d’identifier la grippe de Hong-Kong, avec 33 000 décès en France en 1968, comme détentrice de ce triste record.

La canicule de 2003 aurait aussi provoqué 15 000 morts. Interdite en 1997, l’amiante, fibre mortelle, pourrait entraîner jusqu’à 100 000 à l’horizon 2050, une véritable hécatombe… Le coronavirus de 2019 en est encore loin, fort heureusement. Mais il est bien dommage que le chef de l’Etat ne fasse pas relire ses discours par des personnes qualifiées.

Source alternatives-economiques.fr par Hervé Nathan (je suis abonné digital)