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L’université de Créteil, terrain de prospection pour le groupe d’enseignement supérieur privé Galileo

Les étudiants en échec en licence de la faculté de droit peuvent bifurquer vers une formation d’assistant juridique au sein d’une école privée du groupe Galileo. Inédite, l’initiative suscite des inquiétudes.

Par Soazig Le Nevé

 

Martin Hirsch, actuel vice-président exécutif du groupe d’enseignement supérieur privé Galileo Global Education, ici le 10 novembre 2016.

Martin Hirsch, actuel vice-président exécutif du groupe d’enseignement supérieur privé Galileo Global Education, ici le 10 novembre 2016. JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Le rendez-vous s’est tenu le 14 février. Martin Hirsch était attendu à l’université Paris-Est Créteil (UPEC) par le doyen de droit et son équipe. Comme pour un grand oral, le vice-président exécutif du groupe d’enseignement supérieur privé Galileo Global Education (GGE) a présenté « Cap Réussite », un projet de partenariat entre les deux établissements. Après une discussion nourrie, la réunion s’est conclue par un vote favorable unanime du conseil de la faculté de droit.

« Cap Réussite » est un « parcours alternatif vers les métiers juridiques » proposé aux étudiants en première année de licence de droit en situation d’échec et qui souhaitent se réorienter. Selon la plaquette, il s’agit, dans un premier temps, de « mieux se connaître » pour « devenir acteur de son projet d’études ou professionnel ».

 

Le 4 avril, Martin Hirsch est retourné à l’UPEC à l’occasion d’un « mardi de l’orientation » organisé par les services de l’université. Dans un amphithéâtre clairsemé, il s’est plié au même exercice de présentation, face à des étudiants cette fois.

 

D’avril à juin, sept d’entre eux se sont engagés dans le « parcours ». Outre plusieurs cours à la faculté, ils ont été invités à « prendre conscience de [leurs] atouts », notamment grâce à des exercices d’improvisation du Cours Florent, dont GGE est propriétaire. L’ensemble des écoles du groupe les a accueillis pour une « immersion d’une demi-journée » en vue de leur permettre d’« affiner leur projet d’études ».

« Manne pour les officines privées »

Leur exploration de la galaxie Galileo aura pour terme « l’école de droit » Elije, où ces étudiants pourront intégrer une formation de juriste en alternance en septembre, conduisant à l’obtention du titre professionnel d’assistant juridique, délivré par le ministère du travail. « Cette formation portée conjointement par l’UPEC et Galileo Global Education est d’autant plus avantageuse qu’il vous suffira de vous acquitter des droits de scolarité de l’université pour vous y inscrire », fait valoir la plaquette de promotion.

 

Quand Vérène Chevalier a découvert l’initiative, elle est tombée des nues. « Depuis vingt-cinq ans que j’enseigne, c’est la première fois qu’il y a une telle intrusion d’un groupe privé dans une université, rapporte la maîtresse de conférences en sociologie, qui siège au conseil d’administration de l’UPEC. C’est grave, car il s’agit d’une mise à disposition de personnels et de locaux de l’université au service de l’enseignement privé. Cela concerne non seulement l’UPEC, mais l’enseignement supérieur dans son entier. »

 

L’échec des étudiants en licence crée, selon elle, « un second marché, une manne pour les officines privées ». Lors du conseil d’administration du 2 juin, l’élue a interpellé le président de l’université, Jean-Luc Dubois-Randé. « J’ai demandé si Galileo faisait partie de nos partenaires, il y a eu un grand blanc, relate-t-elle. Le président, d’habitude bavard, a donné la parole au vice-président chargé des partenariats, qui a confirmé qu’il existait une “proto-discussion” entre une composante de l’université et Galileo, sans qu’il existe de convention pour le moment. Aussitôt après, la discussion a été close. »

Depuis son élection comme doyen de la faculté de droit, en 2021, l’avocat Laurent Gamet a placé l’échec en première année – qui touche 80 % de l’effectif – au rang de préoccupation majeure. Au long cours, il conduit une large réflexion avec les étudiants pour évoquer leurs motivations et leurs difficultés, et leur proposer une remédiation avec du tutorat le samedi matin. Contacté par Le Monde, il n’a pas souhaité s’exprimer.

« Le doyen s’est fixé pour objectif d’augmenter de 10 % le taux de réussite avec le tutorat, mais face aux étudiants mal orientés, il ne sait pas quoi faire, argumente Jean-Luc Dubois-Randé. Laurent Gamet a identifié une demande énorme du marché pour recruter des assistants et des secrétaires juridiques qui sont des profils que l’université ne forme pas. »

« Nous sommes très circonspects »

Le pari est le suivant : l’obtention d’un diplôme professionnel du ministère du travail serait en mesure de redonner de la motivation à ceux qui n’en ont plus à l’université. Pour ces étudiants bifurqueurs, on pourrait ainsi soit combiner un titre professionnel avec une formation de droit, par exemple dans le cadre d’un diplôme universitaire (DU), soit combiner au sein du titre professionnel, sous l’égide du ministère du travail, la formation pratique avec une formation juridique adaptée, dispensée par la faculté.

Ce grand écart fait frémir Vérène Chevalier, pour qui l’université se place ici dans un rôle de prestataire, voire de pourvoyeur d’étudiants au profit d’un acteur de l’enseignement supérieur privé qui n’attend que cela pour prendre son essor.

 

« A ce stade de l’histoire, nous sommes très circonspects. L’UPEC n’a pas vocation à alimenter le secteur privé lucratif et aucune convention n’est signée, on reste dans l’expérimental, tente de rassurer Jean-Luc Dubois-Randé. Le vote en conseil de gestion de la faculté de droit n’engage pas l’université dans son entier, et rien ne s’ensuivra sans un vote en conseil d’administration. »

Chez Galileo, on joue l’humilité en assurant « ne pas vouloir se substituer à la faculté de droit ». « Créer, au sein de l’université et en lien avec elle, de nouvelles formations en alternance hyperprofessionnalisantes accessibles à des étudiants qui n’ont que peu de chance de valider leur année, cela revient à unir nos efforts contre l’échec en licence », plaide Martin Hirsch. « Au lieu d’aller démarcher les étudiants en leur disant que la fac n’est pas faite pour eux, on construit avec l’université un parcours où ils gardent ouvertes les deux options », considère-t-il.

Pour « sécuriser un grand nombre d’offres de contrats en alternance », le vice-président exécutif a signé fin mai une convention avec le Cercle Montesquieu, association de près de 500 responsables des affaires juridiques dans les secteurs public et privé.

 

Sollicitée par Le Monde, Vanessa Elkaim Rimmer, la directrice d’Elije, n’a pas donné suite. Sur le réseau social professionnel LinkedIn, elle avait posté des photos de la séance du 4 avril, à l’issue de la rencontre avec les étudiants de l’UPEC. Une communication jugée « quelque peu prématurée » par Arnaud Thauvron, vice-président chargé des partenariats au sein de l’université. Mme Elkaim Rimmer affichait alors son enthousiasme : « Ravie de ce partenariat entre Galileo Global Education et l’université Paris-Est Créteil. Avec notre super team, tout est possible ! »

Soazig Le Nevé