François de Rugy : « Il faut sortir de la guerre de religion sur le nucléaire »
Dans un entretien au « Monde », le ministre de l’écologie rejette les conservatismes et la radicalité, « les deux faces de l’impuissance ».
LE MONDE | 10.09.2018 à 11h16 • Mis à jour le 10.09.2018 à 14h27 |Propos recueillis par Nabil Wakim, Cédric Pietralunga, Simon Roger et Rémi Barroux
Le nouveau ministre de l’écologie, François de Rugy, affirme disposer de « quatre années utiles » pour mener à bien la transition écologique et énergétique du pays.
Vous avez accepté de succéder à Nicolas Hulot, ministre populaire et reconnu pour son engagement écologique. Comment comptez-vous réussir là où lui-même dit avoir échoué ?
Je suis conscient que ce n’est pas un ministère facile. Il recouvre des champs très variés avec de gros dossiers comme les transports, l’énergie ou la mer. Il me semble important qu’il ait gardé le même périmètre pour avoir tous ces leviers d’action. Nous sommes confrontés à de nombreuses transformations difficiles à conduire, parce qu’il y a des résistances, des oppositions, des conservatismes, des lobbys. Il peut y avoir le sentiment, et c’était le cas je crois pour mon prédécesseur, d’être seul contre tous.
Le président et le premier ministre m’ont demandé d’assumer cette responsabilité, alors qu’ils savaient que je n’y étais pas candidat. C’est un ministère de mission, j’ai près de quatre années utiles devant moi. Ma conviction, c’est qu’on peut obtenir des résultats avec de la détermination, avec de la méthode. L’écologie est, pour moi, l’engagement d’une vie.
Considérez-vous que Nicolas Hulot a manqué de patience et que vous réussirez, vous, en vous donnant le temps de mener à bien ces transformations ?
Dès le début, Nicolas Hulot a envisagé que ce serait pour un temps court. Je lui avais dit à plusieurs reprises de s’inscrire dans la durée. Il a fait un autre choix. Mais il a un bilan. Il a fait adopter un plan climat dans lequel est inscrite, par exemple, la fermeture accélérée des centrales à charbon. Il a mis en œuvre avec le ministère de l’économie et des finances – la preuve que l’on peut travailler avec lui – la prime à la conversion, qui permet d’inciter les ménages, particulièrement ceux aux revenus modestes, à acquérir des véhicules plus propres, neufs ou d’occasion. On va probablement atteindre en un an ce qui était prévu en deux ans et demi, c’est un très grand succès.
Il a engagé un plan national pour la biodiversité, il a fortement contribué à l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il a ancré l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim, alors qu’on avait beaucoup tergiversé lors du précédent quinquennat. Il a fait voter l’interdiction de toute nouvelle recherche et exploitation d’hydrocarbures sur le territoire français.
Où sont les résistances et les conservatismes que vous mentionnez ?
Il y a des gens qui ne veulent pas changer, qui défendent leurs intérêts, le statu quo. On parle de lobbys, mais l’expression est un peu réductrice, je préfère parler d’intérêts. Cette inertie peut être culturelle, économique, sociale, politique. Vous avez des élus qui freinent et sont parfois plus conservateurs que les citoyens. 70 % des Français souhaitent que l’écologie soit plus une priorité, et 90 % d’entre eux pensent qu’elle ne l’est pas assez aujourd’hui.
Je comprends tout à fait que l’on puisse dire que le changement écologique est beaucoup trop lent, mais je ne suis pas partisan du « noir c’est noir ». Je crois qu’il est plus motivant de montrer des choses qui marchent. Je préfère m’appuyer sur l’écologie positive plutôt que de promettre du sang et des larmes, discours qui finit par être démotivant pour les citoyens.
Que pensez-vous des marches pour le climat organisées samedi 8 septembre ?
Je salue ces mobilisations citoyennes. Plus que jamais, nous avons besoin que chacune et chacun se mobilisent pour le climat, à tous les niveaux : citoyens, associations, entreprises, élus locaux et nationaux. En tant que ministre, j’appuierai toutes les initiatives pour prendre les mesures fortes qui permettent d’atteindre les objectifs internationaux de lutte contre les dérèglements climatiques.
En démissionnant du gouvernement, Nicolas Hulot a affirmé qu’il avait un désaccord sur l’imminence et l’irréversibilité de la crise écologique. Partagez-vous ce sentiment ?
Il reste beaucoup à faire. Il y a des sujets lourds sur lesquels il va falloir trancher. L’énergie en fait partie, pas seulement la production, mais aussi la consommation, les transports, etc. Il y a des Français à convaincre, parce que la transformation écologique implique des changements profonds, par exemple pour les salariés quand une centrale à charbon ferme ou pour les automobilistes quand le prix de l’essence augmente.
Je m’inscris dans le projet de transformation pour lequel j’ai été élu député en 2017. Si la transformation se fait dans tous les secteurs sauf l’écologie, évidemment, cela sera sans moi. Mais si je ne travaille qu’avec des gens convaincus au préalable, je ne vais pas travailler avec grand monde. Le président de la République et le premier ministre ne viennent pas du mouvement écologiste. Est-ce que cela nous empêche de travailler ensemble pour faire avancer la transition ? Absolument pas.
Quelles ont été vos exigences avant d’accepter ce poste ?
J’ai demandé au président de la République si on se situait bien dans cette priorité de transformation écologique. J’ai toujours avec moi le programme électoral avec lequel j’ai mené campagne pendant des mois. Et dans celui-ci, on dit notamment qu’on donnera la priorité à la rénovation des bâtiments existants, aux transports du quotidien plutôt qu’aux investissements dans des infrastructures nouvelles. La transformation que cela exige, il faudra l’inclure dans la loi d’orientation des mobilités. Et au Parlement, je peux vous l’assurer, cela ne passera pas comme ça, facilement et sans débats !
Le programme présidentiel est-il votre feuille de route pour ce ministère ?
On ne va pas passer notre temps à cocher des cases ou à rayer des lignes. L’orientation, c’est la transformation écologiste. Je ne fais pas de la politique pour gérer l’existant. Je sais où se logent les conservatismes, je ne vais pas les affronter tête baissée, ce n’est pas ma méthode. Ma méthode, c’est le dialogue. Je préfère que les lobbys agissent à visage découvert. On peut tenir compte de leurs contraintes, mais sans dévier de l’objectif de changement.
Sur le glyphosate, par exemple, j’entends ce que disent les agriculteurs. Mais j’ai dit clairement : notre choix, c’est d’en sortir en trois ans en aidant les agriculteurs à le faire, car nous ne devons pas les mettre dans une impasse. Des études prouvent les effets sur la santé, la pollution durable des sols, donc on va en sortir.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir soutenu l’idée d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate dans les trois ans ?
J’étais au perchoir, je ne pouvais pas intervenir. Je l’ai dit à l’époque, je ne le renie absolument pas, cela aurait pu être dans la loi. Mais la formule retenue de la sortie négociée en trois ans me convient, elle se traduit de manière très concrète : le renouvellement des autorisations de mise sur le marché de produits contenant du glyphosate sera accordé pour une durée n’excédant pas trois ans.
Le nucléaire est-il encore une « énergie d’avenir », comme le disait Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle ?
Spontanément, ma réponse est non. Mais il faut sortir de la guerre de religion. L’important est de savoir quelles sont les données économiques dans le domaine du nucléaire et dans le domaine des énergies renouvelables. De savoir aussi quelles sont les données en matière de sûreté. Le risque nucléaire n’est pas un petit risque qu’on peut balayer d’un revers de la main.
Nicolas Hulot avait annoncé que l’objectif de 2025 ne serait pas respecté. Edouard Philippe a évoqué la date de 2035 comme nouvel objectif. Est-ce aussi votre position ?
Ce n’était plus possible de respecter l’objectif de 2025 [inscrit dans la loi de transition énergétique votée en 2015], sauf à augmenter les émissions de gaz à effet de serre françaises en maintenant, voire en ouvrant, des centrales à énergie fossile. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui sera présentée fin octobre devra trouver le chemin pour arriver à cet équilibre entre 50 % de nucléaire et 50 % d’énergies renouvelables dans le meilleur calendrier.
Pour atteindre cet objectif, doit-on faire figurer dans la PPE une liste de réacteurs à stopper et un calendrier de fermeture ?
On ne peut pas toujours renvoyer les choix à plus tard. On dira les choses de façon assez précise, avec des étapes, en gardant en tête qu’on peut obtenir des améliorations technologiques, comme sur le stockage d’énergie, par exemple, ce qui augmenterait encore la compétitivité des énergies renouvelables. Quoi qu’il en soit, il faudra arrêter d’autres réacteurs que Fessenheim, qui a été l’objet de ma première réunion de travail ici avec des élus de la région, le directeur de la centrale, le coordinateur du projet et le secrétaire d’Etat Sébastien Lecornu.
EDF demande que l’Etat s’engage rapidement sur la construction d’un nouvel EPR en France. Y êtes-vous favorable ?
Il faudrait déjà qu’EDF fasse la démonstration que l’EPR fonctionne, ce qui n’est pas encore le cas. Personne n’est capable de garantir sa date de mise en service. Il faudrait également démontrer que l’EPR est compétitif au niveau des coûts.
M. Hulot avait dit qu’il fallait réfléchir à l’« architecture » d’EDF. Etes-vous de cet avis ?
J’ai quelques idées sur la question. On en reparlera avec le président de la République, avec le premier ministre, avec les principaux concernés. Je ne suis pas pour le changement par principe, mais je pense que le statu quo n’est pas dans l’intérêt de l’Etat et de l’entreprise. Il faut vraiment tout regarder, pas seulement le sujet de la transition énergétique, mais aussi l’endettement de l’entreprise, et cela peut en effet inspirer des évolutions.
Estimez-vous que le projet minier de la Montagne d’or, en Guyane, doive être revu ?
Le projet devra être revu de fond en comble et nous serons amenés à trancher rapidement. Mais nous serons respectueux des procédures et des élus locaux. La Commission nationale du débat public vient de rendre un rapport, des données objectives doivent être prises en compte : des éléments de biodiversité, des éléments de pollution, des éléments énergétiques, économiques et financiers.
Etes-vous satisfait des prévisions de budget 2019 de votre ministère ?
C’est le ministre de l’action et des comptes publics qui présentera les différents budgets, mais cela a déjà été dit, mon budget sera en hausse. C’est un engagement concret. L’énergie et les transports, cela demande des investissements. Mais je ne veux pas non plus qu’on diffuse l’idée que l’écologie, c’est toujours plus de dépenses.
J’ai lu des appels d’économistes expliquant qu’il fallait mobiliser des centaines de milliards. Si c’est cela, on n’y arrivera pas, car on connaît les équations budgétaires. Lorsque je dis que l’écologie et l’économie marchent la main dans la main, c’est dans tous les sens du terme, y compris que l’écologie permet de faire des économies.
La France a-t-elle un rôle à jouer dans l’Union européenne pour convaincre ses partenaires d’engager leur transition énergétique ?
S’il y a bien un domaine dans lequel il est important d’approfondir la construction européenne, c’est l’écologie, et notamment l’énergie, ce qui ne veut pas dire mener une politique depuis Bruxelles, appliquée partout sans distinction. Le mix énergétique global de l’Europe n’est pas si mauvais comparé au reste du monde, mais il cache de fortes disparités nationales. On a tout intérêt à se coordonner, par rapport à nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais aussi en termes économiques.
Accepteriez-vous de recevoir Thierry Coste, le lobbyiste des chasseurs ?
Je ne l’ai jamais rencontré. J’écouterai les positions de chacun, y compris celles des chasseurs au travers de leur fédération bien sûr. C’est ma méthode : dialoguer, rechercher des solutions partagées et à la fin trancher, sur la chasse comme sur les autres sujets.
Serez-vous aussi un ministre des coups de gueule, comme Nicolas Hulot l’a parfois été ?
Si tous ceux qui ont salué son départ avaient autant donné de la voix quand il avait besoin d’être soutenu, cela aurait facilité des choses. Il faut tout le temps rechercher des soutiens. Il y a tellement de gens qui adorent quand le ministre de l’écologie est isolé, qui adorent quand les écologistes sont très radicaux, marginaux et minoritaires. Le conservatisme et la radicalité sont les deux faces de la même médaille, celle de l’impuissance et de l’inaction. Ce que je veux, c’est une écologie qui agit.