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Faire du vélo un transport de masse

Le Temps
Débats, jeudi 3 août 2023 792 mots, p. 8

Faire du vélo un transport de masse

Patrick Rérat est aussi le codirecteur de l'Ouvema, l'Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives.

Près d’une gare de Copenhague, au Danemark, en janvier 2023. — © IMAGO/Dean Pictures

La mobilité est au cœur de nos modes de vie mais elle s'accompagne de conséquences indésirables croissantes. Largement carbonés, les transports émettent 31% des gaz à effet de serre en Suisse et consomment une part similaire d'énergie. A cela s'ajoutent la pollution de l'air, le bruit, l'occupation de l'espace et des enjeux de santé publique, la mobilité motorisée étant une mobilité passive.

Que faire? Penser que l'électrification des voitures suffira? S'enthousiasmer, pour un temps, du dernier mirage technologique? Voici une autre piste: faire du vélo un moyen de transport à part entière et le mettre au cœur du développement des territoires avec la marche et les transports en commun.

 

Le vélo ne manque pas d'atouts: silencieux, sain, propre, économe en ressources, bon marché, simple et flexible. Son potentiel est grand en Suisse où il concerne 8% des déplacements. C'est loin derrière les Pays-Bas, qui dépassent les 30%, et les pays nordiques où les saisons ont peu d'effet. Les Alémaniques, qui ont davantage modéré le trafic et construit des réseaux cyclables, utilisent le vélo pour 10% de leurs trajets contre 4% en Romandie. Le vélo se fait une place en ville: les Bâlois se déplacent désormais plus à vélo (21%) qu'en automobile (18%), Berne a enregistré une croissance de 11% en 2010 à 19% en 2021 et même les pentes lausannoises suivent la tendance (de 0,8 à 4,4%).

 

Le vélo seul ne résoudra pas tous les problèmes, mais un triplement de sa part devrait être un objectif dans un pays où les voitures parcourent une fois sur deux moins de 5 kilomètres et transportent en moyenne 0,5 passager en plus de la personne au volant. Elles sont pourtant toujours plus lourdes et encombrantes. Le vélo a lui connu plusieurs innovations accroissant son potentiel: l'assistance électrique aplatit le relief et réduit les distances, la fonction cargo permet le transport d'enfants et de matériel, et, pliant ou en libre-service, il complète les transports en commun.

 

Comment développer le vélo? C'est à cette question que répond le Guide vélo de l'Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives (Ouvema) à l'Université de Lausanne et du Büro für Mobilität (www.guide-velo.ch).

 

Il s'agit tout d'abord de rendre le territoire accueillant pour le vélo, de rendre sa pratique possible pour le plus grand nombre. Les itinéraires, encore lacunaires, devraient répondre à cinq critères: sûrs, directs, interconnectés, confortables et attractifs. Aux Pays-Bas, ils doivent permettre à un enfant de 8-10 ans de rouler de manière autonome pour être qualifiés de cyclables.

 

Le manque de sécurité est un frein majeur à son essor. Cette préoccupation est toutefois trop souvent ramenée à des questions de comportement et d'équipement. Elle devrait plutôt être traitée par l'aménagement de la voirie, la séparation entre vélos et véhicules motorisés et la diminution de la vitesse de ces derniers. La notion d'infrastructure tolérant les erreurs des différents usagers fait son chemin. Les carrefours devraient par exemple être conçus de manière à réduire vitesse et angles morts et augmenter la visibilité entre usagers.

 

Le vélo est à intégrer dans tout projet d'aménagement. Parfois, l'espace est rare mais cet enjeu est plus politique que physique et renvoie aux priorités d'une collectivité. L'efficacité spatiale et les effets sur le cadre de vie devraient définir une nouvelle hiérarchie des modes. Ne pas les opposer revient à privilégier le statu quo.

 

Le stationnement est encore peu pris en compte. Il est pourtant essentiel pour garantir un accès aisé à un vélo et le protéger des intempéries et du vandalisme. Ces besoins sont d'autant plus marqués pour les vélos à assistance électrique ou cargos et dans les zones denses et quartiers historiques.

 

En parallèle, des mesures de promotion sont importantes. Certaines visent à légitimer le vélo comme moyen de transport, d'autres à inciter à adopter le vélo comme les bourses aux vélos, ateliers de réparation, cours de remise en selle ou événements permettant de tester cette mobilité.

Ces mesures doivent faire du vélo un transport de masse tout en s'inscrivant dans une vision plus large de communes plus agréables, végétalisées et résilientes. La loi sur les voies cyclables donne cinq ans aux cantons pour la planification et quinze ans pour la concrétisation. Ce cadre sera-t-il à la hauteur des enjeux? Les bons élèves seront encore meilleurs - mais les autres? Ne devrait-on pas envisager, à l'instar du rail et de la route, un fonds fédéral pour les mobilités actives?