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Christophe Castaner, le joker de Jupiter

Se sentant mal aimé au PS, cet ancien rocardien a refait sa vie politique auprès d’Emmanuel Macron. A 52 ans, le secrétaire d’Etat et délégué général de LRM fait profiter la macronie de son bagage politique.

Par PHILIPPE RIDET

Temps de lecture : 24 min
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Christophe Castaner au siège de La République en marche, à Paris, le 29 juin. THOMAS CHENE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

On attaque tout de suite avec la chaîne ? Au moins on sera débarrassé. C’est peut-être ce qu’il a voulu nous dire en apparaissant, chemise blanche largement ouverte, pantalon de toile orange avec téléphone portable glissé dans la poche arrière et sneakers immaculées, au rendez-vous qu’il nous avait fixé devant la mairie de Forcalquier, qu’il occupa pendant près de trois mandats : « Je suis aussi celui qu’on se plaît à brocarder, vous pouvez l’écrire. »

Donc Christophe Castaner, délégué général du mouvement La République en marche (LRM) et secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, porte une chaîne en or. Un cadeau de sa mère, paraît-il.

Pas une chaîne de baptême toute fine avec une médaille de la Vierge dissimulée dans les poils du torse. Non, un bijou plutôt voyant, à gros maillons, que les Parisiens, les bobos dans notre genre, les humoristes de la radio et les snobs en général identifient comme le signe « plus-plus-plus » de la marseillitude, de la provencitude et de tous-ceux-qui-sont-nés-au-sud-de-la-Loiritude. « Chemise ouverte, chaîne en or qui brille », chantait déjà IAM en 1993.

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Christophe Castaner à la mairie de Forcalquier, le 6 juillet. THOMAS CHENE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Christophe Castaner coche toutes les cases du mâle méditerranéen. Il a de lointaines origines espagnoles, partageant de l’autre côté des Pyrénées son patronyme avec une marque d’espadrilles très tendance, il est né à Ollioules (Var), il a vécu à Manosque et à Marseille, il est diplômé de droit de l’université d’Aix-en-Provence.

Quand il n’est pas rue Sainte-Anne, à Paris, au siège de LRM, ou au Parlement, il vit à Forcalquier (4 600 habitants), dans les Alpes-de-Haute-Provence, avec son épouse, Hélène, qu’il a connue adolescent au lycée de Manosque, et leurs deux filles, Jade et Léane. Il est arrivé qu’on le surnomme « Kéké » ou « Simplet ». Voilà, c’est dit.

Le chien de garde du président

Ce 6 juillet, l’équipe de France venait de battre l’Uruguay (2-0) en quarts de finale de la Coupe du monde de football, et Forcalquier avait brièvement fait la fête. Quelques coups de klaxon s’entendaient encore quand Christophe Castaner est descendu de son scooter à trois roues.

Le nouveau maire, Gérard Avril, quelques adjoints et le journaliste de La Provence l’attendaient pour l’inauguration de l’exposition « Musique et art » au musée de la commune. Son successeur à la mairie de Forcalquier ne cachait pas son admiration : « C’est un bosseur et un visionnaire, instruit, intelligent, puissant. Un type exceptionnel ! » Le localier de La Provence était plus distancié :

« Quand il parle d’un dossier, on a l’impression qu’il le connaît par cœur. Il est difficile à contrer. »

La petite réception terminée, Christophe Castaner nous a entraînés dans un café PMU, autrefois tenu par son beau-frère. Des petits vieux tapaient le carton à l’intérieur. Il les a salués un par un, peut-être parce qu’il se doutait que cela pouvait faire une bonne photo.

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Christophe Castaner, le 6 juillet 2018, dans un bar voisin de la mairie de Forcalquier. THOMAS CHENE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Il ne revient plus qu’un week-end par mois dans sa ville. Elle lui manque. « J’ai besoin de ces racines-là, dit-il d’une voix très douce et légèrement chantante. Quand on est maire, les gens vous portent. On leur appartient. Ça peut être violent. On ne choisit pas la ville où l’on naît, mais on peut choisir celle où l’on va mourir. C’est Hélène qui m’a donné des racines. Moi, je n’en avais pas. Elle est issue d’une famille de pieds-noirs. Avec eux, j’ai compris ce que c’est qu’une famille où tout le monde parle en même temps. Ou tout le monde s’embrasse. Ce n’était pas vraiment comme ça chez moi. »

C’est plus tard que nous avons compris ce qu’il voulait dire. « Mais je n’ai pas voulu devenir maire pour pallier un manque d’affection ou de racines. C’est plus simple que ça. La gestion m’intéresse. J’aime faire des choses. Ce sont des copains qui m’ont poussé à me présenter à Forcalquier. » A noter qu’il dit parfois « Forcal », comme tous les gens du coin.

« JE N’AIME PAS LES APPAREILS. QUAND J’ÉTAIS AU PS, PASSER RUE DE SOLFÉRINO, À PARIS, ME RENDAIT MALADE. JE N’AIME PAS LE MOT CHEF ET ENCORE MOINS LE MOT PARTI. » CHRISTOPHE CASTANER, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL DE LRM

En ce début de juillet, le gouvernement pensait avoir bouclé sa première année d’exercice sans trop de dommage – c’était compter sans la déflagration Benalla –, et Christophe Castaner y apparaissait, à 52 ans, en maillon fort.

Dans cette armée de Marie-Louise, son expérience comme militant rocardien, au PS d’abord, puis comme directeur des services à la commune d’Avignon, conseiller technique auprès de Catherine Trautmann, ministre de la culture de Lionel Jospin, chef de cabinet de Michel Sapin, ministre de la fonction publique dans le même gouvernement, et enfin comme élu, lui vaut aujourd’hui le rang de maréchal d’Empire.

En un an, il a acquis une notoriété que cinq années de mandat parlementaire ne lui avaient pas permis d’engranger. Chien de garde du président de la République, il court les plateaux des chaînes d’info en continu et les studios de radio pour débiter par stères entiers la langue de bois des éléments de langage, même s’il n’est plus porte-parole du gouvernement.

Il conseille les ministres néophytes, calme leurs appréhensions. Sa maîtrise du terrain le prédestine aussi au rôle de vigie du quinquennat. « Pendant la campagne, raconte-t-il, c’était plus facile, je faisais le tour de deux ou trois bistrots du quinzième arrondissement pour prendre le pouls de l’opinion. »

« Je ne sers qu’à ça, continue-t-il, faux ou vrai modeste. Je ne suis pas un génie. Je ne suis pas un intello, mais j’ai de l’intuition. » Puis il ajoute curieusement : « Je sais compter les moutons et faire la différence avec les chiens. » Peut-être une expression de berger provençal ?

Un problème ? Voyez « Casta »

Il a l’oreille du chef de l’Etat, qu’il a rallié parmi les premiers en 2016. Un problème ? Voyez « Casta ». Son nom a été cité pour conduire la liste LRM aux européennes de 2019 ou pour se présenter à la mairie de Marseille à l’horizon 2020.

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Auparavant, on l’avait évoqué pour présider l’Assemblée nationale ou le groupe au Palais-Bourbon. C’est le couteau suisse du gouvernement, multilames, tournevis et ouvre-boîte intégrés. Enfin, quand il s’est agi, en novembre 2017, de trouver un homme à placer à la tête du plus grand parti de France, c’est Castaner que Macron a choisi, sûr de sa fidélité à toute épreuve.

Malgré ses réticences, il s’est laissé faire. Comment refuser un service au président de la République, son héros ? « Je n’aime pas les appareils. Quand j’étais au PS, passer rue de Solférino, à Paris, me rendait malade. Je n’aime pas le mot chef et encore moins le mot parti. » Autant de bonnes raisons pour accepter !

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A Forcalquier, le 6 juillet. THOMAS CHENE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

« J’ai eu un vrai doute en accédant à ce poste, se souvient-il. Je me suis demandé si je serais à la hauteur. Je n’ai jamais voulu être dirigeant. Je ne crois pas au principe des élites éclairées, même si les militants ont besoin d’une incarnation, je ne suis que le représentant des “marcheurs”. Mais, quand je prends une mission, je la conduis à fond. La prise de risque m’enivre. C’est mon côté Vietcong… »

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Un court instant, on a imaginé Christophe Castaner un fusil en bandoulière dans une jungle épaisse et moite. « La parole d’Emmanuel Macron est tellement forte que le public se tourne vers lui… L’enjeu, c’est de “démacroniser” le mouvement, qu’il existe par lui-même. »

Un job compliqué dans un parti qui n’a ni ligne idéologique claire ni structure partisane. « Mon boulot, c’est de faire monter une nouvelle génération. Mais je ne serai jamais en opposition avec Emmanuel. » On l’avait compris avant même qu’il le dise.

« EN 2015, QUAND J’AI RENONCÉ À ME MAINTENIR AU SECOND TOUR POUR FAIRE BATTRE MARION MARÉCHAL-LE PEN, CAMBADÉLIS NE M’A MÊME PAS PASSÉ UN COUP DE FIL » CHRISTOPHE CASTANER

Christophe Castaner nous a ensuite conduits dans sa maison qui domine le bourg et d’où l’on aperçoit les contreforts du Luberon. On a regardé le soir tomber. Il avait du rosé au frais. Le secrétaire d’Etat a branché la plancha électrique. « Poulet, bœuf ou porc ? », a-t-il proposé.

Hélène, Jade et Léane nous ont rejoints autour de la table dressée sur la terrasse. Emmanuel et Brigitte Macron connaissent aussi cette maison où ils ont failli passer leurs vacances d’été en 2017. Mais elle était trop difficile à sécuriser.

Quand il parle du chef de l’État, Christophe Castaner est capable de confidences troublantes. Une fois, il a évoqué la « dimension amoureuse »de sa relation avec le président. Pour nous, il choisit un autre registre, en phase avec l’actu du jour : « Macron, c’est la fulgurance. Comme au foot. Macron, c’est mieux encore que Mbappé, c’est Zlatan ! »

Le silence du PS

Pour comprendre cet attachement sans nuance, il faut peut-être revenir à une blessure plus ancienne. Castaner raconte : « En 2015, je me suis vraiment sacrifié pour conduire la liste socialiste aux régionales en PACA. Une élection ingagnable. J’ai emprunté 600 000 euros sur mon nom. Quand j’ai renoncé à me maintenir au second tour pour faire battre Marion Maréchal-Le Pen et laissé le champ libre à la liste de Christian Estrosi, Cambadélis [à l’époque premier secrétaire] ne m’a même pas passé un coup de fil. Valls est le seul à m’avoir téléphoné. Ça a été douloureux. Mais, ce jour-là, je me suis senti libre. Le silence de “Camba”, c’est le signal de la rupture. Pourtant, j’étais attaché à ce parti comme un militant, comme un con. J’ai choisi Macron car je pensais réconcilier la première et la deuxième gauches. »

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Dans une déclaration à Paris Match en septembre 2017, Olivier Faure, l’actuel premier secrétaire du PS, avait reconnu sans détour : « Aucun d’entre nous n’a été à la hauteur avec “Casta”. »

La suite coule de source, pourrait-on dire. A la recherche d’un nouveau mentor, le député des Alpes-de-Haute-Provence tombe sous le charme d’Emmanuel Macron, dont il est l’un des rapporteurs de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Il se souvient de ce jour où il l’a vu pour la première fois, dans son bureau de secrétaire général adjoint de François Hollande, pour lui parler d’un problème dans sa circonscription : « Je débarque dans son bureau. Il connaissait le problème mieux que moi. Ça a tout de suite fonctionné entre nous. Ensuite, on a parlé politique. J’ai été séduit pas son intelligence, bien sûr, mais également par son empathie. »

« CHRISTOPHE CASTANER S’EST RENDU INDISPENSABLE. IL S’EST FORGÉ SON PROPRE STATUT. ET, EN PLUS, IL EST BEAU MEC ! » FRANÇOIS PATRIAT, SÉNATEUR LRM

Pour préparer son ralliement, il s’astreint à une forme d’ascèse, comme s’il fallait se débarrasser des oripeaux de son ancienne identité, des stigmates du vieux monde. Au printemps 2016, il parcourt sa circonscription à pied, 310 kilomètres entre Manosque et le col de Larche, à la frontière italienne, pour recueillir les doléances de ses électeurs.

« J’étais parti avec des écouteurs pour avoir de la musique. Je n’ai jamais pu m’en servir. J’ai vu des gens qui n’auraient jamais poussé la porte de ma permanence. Ils venaient me dire : “Cette fois, je vote FN.” C’est à cette occasion que j’ai compris que le problème numéro un du pays n’était pas l’immigration mais le pouvoir d’achat. Le lendemain, je dînais avec Macron, je lui ai tout de suite fait le compte rendu de mes rencontres. »

Comme s’il voulait également régler sa dette avec Michel Rocard, l’idole de sa jeunesse, il se rend au cimetière de Monticello, en Corse, pour se recueillir devant l’urne funéraire de l’ancien premier ministre.

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Dans son ancien bureau de maire, à Forcalquier, qu’il a occupé seize ans durant. THOMAS CHENE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

« A coup sûr, la majesté et la beauté de l’endroit vous saisiront. Quel autre message laisser que de vous y convier ? », avait écrit le leader de la deuxième gauche avant de mourir. Rendez-vous raté. « Les cendres n’étaient pas encore là. »

Puis Castaner plonge corps et âme dans la campagne présidentielle. Il est de tous les déplacements, de tous les meetings, occupant sans qu’on le lui ait vraiment demandé la place de porte-parole, privilégiant le contact avec les médias. « Il s’est rendu indispensable, se souvient le sénateur François Patriat, autre transfuge du PS. Il s’est forgé son propre statut. Et, en plus, il est beau mec ! »

Poker et mauvaises fréquentations

A Forcalquier, la nuit est définitivement tombée. De temps en temps, Léane ou Jade quittent la table pour nous renseigner sur le score de Brésil-Belgique que la télévision diffuse dans le salon. Avec Hélène, il a raconté ses débuts en politique. Jean-Louis Bianco, l’homme fort des Alpes-de-Haute-Provence, qui le repère à la fin des années 1990. La « montée à Paris ».

Lors de son mariage, en 1994, auquel est convié Olivier Faure, des amis lui glissent « Reviens à Forcal, il y a des choses à faire ». Le couple décide d’y retourner régulièrement. En mars 2001, il franchit le pas et se présente à la mairie. Il l’emporte d’une poignée de voix.

Christophe Castaner jure que cette élection à un premier mandat ne constitue pas pour lui une revanche. Ni le démenti tardif jeté à la figure de son père qui le prenait pour un bon à rien. On est tenté de le croire.

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Sur ce cliché, Christophe Castaner (à gauche) au côté de son ami Gérard Avril, qui lui a succédé à la mairie de Forcalquier. THOMAS CHENE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Ce père, Pierre Castaner, il faut l’imaginer. Ancien fusilier marin venu de Charente, installé par hasard dans le sud de la France parce que son bâtiment mouillait dans la rade de Toulon. Gueulard parfois, taiseux souvent, violent sans doute, malheureux sûrement.

Marie-Claire, la mère, ne travaille pas. Pas de livres, pas de musique. Christophe Castaner se souvient d’avoir voulu être abonné au Monde en classe de quatrième. Pour sortir du modèle ? « J’ai refusé le déterminisme social. »

Il partage les taloches avec ses deux frères. « Mon père a fait l’Indochine, l’Algérie, raconte-t-il. C’était “Monsieur Non”. Non à tout, à la moindre dépense, au moindre divertissement. » Il dit aussi : « Mon enfance n’a pas été malheureuse. Je l’ai zappée. Je ne me souviens même pas d’un Noël. » A 17 ans, « Casta » quitte le foyer en laissant son père « sur le carreau », confiera-t-il à Libération. Ce n’est pas une image.

« JE SUIS LE SEUL À ÊTRE RESTÉ FIDÈLE À ROCARD. FAURE EN EST TOUJOURS AU MODÈLE SFIO ET HAMON AU MODÈLE PSU. C’EST LE SEUL TYPE QUE JE CONNAISSE QUI SOIT PLUS À GAUCHE EN VIEILLISSANT »
CHRISTOPHE CASTANER

Commence une vie interlope qu’il est probablement le seul homme politique à avoir vécu. Il raconte : « Un jour, à Manosque, j’accompagne le fils du boucher à une partie de poker au bar PMU. Il perd cinquante francs. Je joue aussi. Je vois que je ne suis pas mauvais. Du coup, je commence à gagner. Manosque était la base arrière du milieu marseillais. C’est là que les voyous venaient se mettre au vert. Il y avait des mauvais garçons autour de la table. Certains se sont fait buter. Ils m’appelaient “l’étudiant”. »

De 18 à 20 ans, Christophe Castaner ne va vivre que du jeu. « J’ai gagné de quoi avoir l’impression d’être riche et partir en vacances sans problème. Le poker m’a appris à faire preuve de sang-froid dans les moments de crise. Du coup, il y a peu de choses qui me font peur. »

Les adieux au père

Puis, sous l’influence de sa future épouse, il se range. Il abandonne le poker et passe son bac en candidat libre. Il l’obtient d’un cheveu. Il a 20 ans. Le couple s’inscrit à la faculté de droit d’Aix-en-Provence. Castaner milite à l’UNEF et s’engage aux côtés des rocardiens au sein des clubs Forum. « Je trouvais que les socialistes étaient méchants avec Rocard. Je suis entré au PS en 1986 pour les battre. J’ai perdu. J’attaquais des moulins à vent. »

Il se lie à cette époque avec Olivier Faure et Benoît Hamon. « Je suis le seul à être resté fidèle à Rocard. Faure en est toujours au modèle SFIO et Hamon au modèle PSU. C’est le seul type que je connaisse qui soit plus à gauche en vieillissant. »

« Il a changé de continent, un abîme nous sépare », a cinglé Benoît Hamon dans les colonnes du JDD. Dans Challenges, Olivier Faure s’est montré plus nuancé : « Tout le monde a le droit d’évoluer. » Michel Sapin, lui, ne veut même plus en entendre parler.

« DANS CETTE AFFAIRE (BENALLA), ON A CIBLÉ LES PROCHES DE MACRON. EN POLITIQUE, ON EST TOUJOURS UN SYMBOLE, ET JE SUIS LE SYMBOLE DE CETTE PROXIMITÉ. JE DOIS PRENDRE DES COUPS EN PROTÉGEANT LE PRÉSIDENT, C’EST AINSI. C’EST MON JOB »

On finit toujours par pardonner les coups et les humiliations de l’enfance. Christophe Castaner a fini par se réconcilier avec son père. Un jour qu’il était revenu à Manosque avec Catherine Trautmann, pour visiter la maison de Jean Giono, la ministre et son conseiller font un crochet par le domicile de Pierre et Marie-Claire Castaner.

Le patron de LRM se souvient d’avoir vu de « la fierté » dans le regard de son père. Les liens se renouent même si les conversations restent prudentes, empreintes de gêne et de souvenirs douloureux.

En 2010, Marie-Claire décède d’un cancer. Pierre est une âme en peine. « Alors il a commencé à tourner en rond, relate son fils. Quand ma mère était vivante, il l’emmerdait. Morte, c’est lui qui s’emmerdait. Il broyait du noir. Il voulait en finir. Nous en avons souvent parlé ensemble. Je n’ai pas cherché à l’en dissuader. Un soir, il est passé me voir une dernière fois. Je lui ai dit : “Quoi que tu fasses, ta décision sera la bonne.” En partant, il m’a dit : “A demain.” Il s’est suicidé dans la nuit avec la morphine qui servait à soulager ma mère. »

Un long silence. Castaner reprend : « Moi, finalement, j’ai été épargné. J’ai Hélène, j’ai deux filles. J’ai joué au poker. J’ai gagné des sous. » La nuit était douce. La Belgique avait battu le Brésil. Il manquait douze jours avant que n’éclate l’affaire Benalla.

Rescapé de l’ouragan Benalla

Notre première gâchette de la macronie allait-elle résister à un possible remaniement dont la rumeur avait couru tout l’été ? Une fois que Le Monde avait révélé les actes du garde du corps du président de la République, surpris à jouer les gros bras place de la Contrescarpe en marge d’une manifestation du 1er-Mai, le gouvernement était aux abois et aux abris.

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L’Elysée se taisait, Matignon aussi. On entendait une mouche voler Place Beauvau, le ministère de l’intérieur. Au Parlement, les « marcheurs » faisaient front face à l’opposition requinquée, se plaignant d’être laissés sans consigne ni munitions sous la mitraille. Quelqu’un devait payer ce fiasco de communication.

Et Castaner ? On l’avait vu se faire rudement apostropher dans la salle des Quatre-Colonnes par Marine Le Pen, qui lui reprochait de bavarder avec des journalistes plutôt que d’être dans l’Hémicycle. Quelques députés de la majorité lâchaient son nom. S’il fallait un coupable, c’était lui. Si quelqu’un devait s’effacer, c’était encore lui. Par SMS, il nous avait rassuré : « Marrant ces rumeurs de départ. C’est vrai qu’il y a trop de politiques dans ce gouvernement ;-) »

Retour donc fin août dans ce minuscule bureau du délégué général de LRM, au premier étage d’un immeuble de la rue Sainte-Anne, à Paris. La fenêtre donne sur une cour intérieure plutôt moche. Castaner jouait en défense.

« On a dit que je n’avais pas communiqué sur cette affaire. Faux, dès le jeudi, j’étais à la télévision pour réagir. On a dit que je n’étais pas présent au banc du gouvernement, mais les parlementaires voulaient d’abord voir le ministre de l’intérieur et le premier ministre. On a dit que Macron m’avait lâché, archifaux : je suis en outre le seul ministre à avoir été présent à toutes les réunions de crise autour du président. »

Alors pourquoi tant de rumeurs de limogeage imminent ? La réponse de Castaner est toute prête : « Dans cette affaire, on a ciblé les proches de Macron. En politique, on est toujours un symbole, et je suis le symbole de cette proximité. Je dois prendre des coups en protégeant le président, c’est ainsi. C’est mon job. » Macron a trouvé son mamelouk.

Il ne nie pas que cette affaire d’un « type qui a voulu jouer les cow-boys » a été mal gérée : « Gouverner, c’est assumer une part d’impopularité et d’erreurs. Etre dans l’opposition, c’est plus simple, on peut promettre le grand soir tous les jours. »

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Au siège de La République en marche, le 29 juin. THOMAS CHENE POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Mais il continue de tout pardonner à son mentor : « Dans cette affaire, finalement, le président a révélé sa part d’humanité. » Les humoristes qui aiment le prendre pour cible trouveront dans cette preuve d’amour une nouvelle source d’inspiration.

Il s’en fiche : « Je supporte leurs sarcasmes parce que j’ai un tout petit peu vécu avant d’en arriver là. » Passe l’image d’une arrière-salle de bistrot enfumée, de billets s’échangeant de main en main, d’un adolescent qui claque la porte.

« J’assume ce que je suis, car je sais d’où je viens et où je pourrais retourner. Ce n’est pas un moteur de revanche sociale, c’est une liberté. »

Il ne se lève plus comme lorsqu’il était jeune élu à 6 heures du matin pour vérifier que sa photo est en bonne place dans le journal local. Désormais, il est presque toujours dans le cadre. Mardi 4 septembre, le remaniement a finalement eu lieu après la démission de Nicolas Hulot. Christophe Castaner a conservé son poste.

Par PHILIPPE RIDET

Publié À 06h47

 

 

 

 

> Message du 14/09/18 19:15
> De : "Pierre Ratcliffe" <pratclif@gmail.com>
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