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De nouvelles accusations de violences sexuelles contre Patrick Poivre d’Arvor

« Le Monde » a recueilli les témoignages de huit femmes qui dénoncent les agissements de l’ex-vedette du « 20 heures » de TF1, décrivant le système PPDA comme un répétitif « abus de position dominante ».

Presque trente ans après, avec le recul, elle évoque « un système industrialisé, qu’il faut raconter ». Pas moyen alors d’y échapper, selon elle : « A toutes les filles de la rédaction, il demandait : “Est-ce que t’es en couple, est-ce que t’es fidèle ? C’était même devenu son surnom. » A l’époque, en ce début des années 1990, la jeune journaliste n’arrivait pas à verbaliser ce qu’elle présente désormais comme une sorte de fatalité. « C’était impensable de ne pas passer à la casserole, mais tout autant impossible de le dire. Moi, je ne l’ai pas dit, je savais bien que si je disais quelque chose, il y avait un tel déséquilibre que je serais la pute et lui le séducteur. »

 

Dans son cas, témoigne-t-elle au Monde, c’est arrivé « chez lui à Neuilly [Hauts-de-Seine]. Un petit coup vite fait mal fait, vraiment du troussage de domestique et j’étais la bonne ». Etait-elle consentante ? « J’ai cédé. Mais j’ai serré les dents, et étouffé mes larmes. C’était vraiment humiliant. Je n’avais pas le choix, sinon je ne travaillais plus. Quand j’ai voulu que notre collaboration s’arrête, il a été vexé et cruel, et est allé dire à toute la rédaction que j’étais nulle. »

 

Aujourd’hui, Hélène Devynck parle. En son nom. A 54 ans, elle est une journaliste expérimentée. Après avoir participé à la création de LCI, elle a présenté des journaux télévisés de la chaîne en continu. Puis a connu la concurrence, en 2010, chez i-Télé, l’ancêtre de CNews. Il est long, le chemin parcouru depuis ses premiers pas à TF1, à la fin des années 1980. Au sein de la première chaîne, elle fut l’une des assistantes de Patrick Poivre d’Arvor, « en 1991-1993 ». C’est avec lui qu’elle dit être « passée à la casserole ».

Alors, quand les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance aux personnes (BRDP) l’ont convoquée, mercredi 10 mars, elle s’est présentée au rendez-vous. Plus question pour elle de se taire.

Points communs dans les témoignages

Ces dernières semaines, plusieurs femmes ayant connu l’ex-présentateur vedette ont été auditionnées par la police. La justice enquête, à la suite d’une plainte déposée en début d’année par Florence Porcel pour viols contre Patrick Poivre d’Arvor, et dont l’existence a été révélée par Le Parisien, le 18 février. Saisi, le parquet de Nanterre a confié les investigations à la BRDP.

 

Trois femmes au moins, selon nos informations, ont décrit aux enquêteurs des faits s’apparentant à des viols. D’autres ont fait le récit de faits pouvant être qualifiés d’agressions sexuelles ou de harcèlement. Le Monde a recueilli une dizaine de témoignages décrivant le système PPDA comme un répétitif « abus de position dominante ».

Chroniqueuse et écrivaine, Florence Porcel, aujourd’hui âgée de 37 ans, accuse le présentateur de viols en 2004 et 2009, dans un contexte d’emprise. Elle ne s’est pas exprimée publiquement depuis.

 

Dans un message publié sur son compte Facebook, dès le 19 février, PPDA a fait part de sa « stupéfaction », et mis ces accusations sur le compte d’une recherche de notoriété et de publicité de l’écrivaine. Le 3 mars, l’ancien visage du « 20 heures » de TF1, 73 ans, a de nouveau fermement contesté ces accusations, sur le plateau de l’émission « Quotidien » de TMC : « Il n’y a rien de pire pour moi que de contraindre quiconque, et bien évidemment une femme, à quoi que ce soit. (…) Ça ne peut pas être dans ma nature, ça ne me ressemble pas. »


Ces témoignages recueillis par Le Monde, et dont la quasi-totalité semblent prescrits, esquissent pourtant le portrait d’un présentateur devenu intouchable, imperméable aux résistances de certaines femmes qu’il rencontre. Bien que la grande majorité d’entre elles ne se connaissent pas, les points communs abondent dans leurs récits – sur les situations, les conversations, les gestes portés – et résonnent avec le récit de l’héroïne de Pandorini (JC Lattès, 220 pages, 18 euros) le roman que vient de publier Florence Porcel, dont elle affirme désormais qu’il décrit en grande partie sa propre histoire.

Pour la plupart journalistes, ces femmes ont accepté de livrer leur expérience, à l’issue différente. Parfois en leur nom, avec la crainte de « s’en prendre plein la gueule », selon les mots d’Hélène Devynck. Parfois sous le couvert de l’anonymat. Certaines en ont été amusées, puis agacées. D’autres ont été choquées, ou stupéfaites, puis durablement traumatisées.

« J’étais pétrifiée »

Il a fallu plus de quinze ans à Chloé – son prénom a été changé, à sa demande –, journaliste elle aussi, pour mettre le mot « viol » sur son expérience avec Patrick Poivre d’Arvor. C’est devant le film Scandale, sorti en 2019, que s’est produit le déclic. Ce long-métrage avec Nicole Kidman raconte la chute de Roger Ailes, tout-puissant cofondateur de la chaîne américaine conservatrice Fox News accusé de violences sexuelles. Les faits qu’elle dénonce aujourd’hui – elle a été entendue par les enquêteurs la semaine passée – remontent à « début 2003 », dans ses souvenirs. Elle est alors une jeune journaliste prometteuse. Des collègues lui avaient présenté PPDA, surnommé « le roi Soleil », comme un « serial séducteur ».

 

Après le journal télévisé (JT), elle avait eu à subir à plusieurs reprises des questions intimes – « Etes vous seule en ce moment ? » , « Comment ça va avec votre petit ami ? »… . Puis, un jour, elle est appelée dans son bureau. « Il m’a lancé : Vous vous souvenez de la première fois que vous êtes entrée dans mon bureau ? Vous veniez me montrer une infographie et vous avez collé vos seins contre mon dos en passant derrière ma chaise. J’ai bredouillé que je ne me souvenais pas de cela. » La suite, Chloé la raconte ainsi : « Il s’est levé brusquement, m’a enlacée par surprise, m’a embrassée, m’a renversée sur sa grande table, a glissé une main dans mon soutien-gorge puis l’autre dans ma culotte avant de l’introduire dans mon sexe pendant de longues minutes. J’ai essayé de me débattre doucement et de me dégager en murmurant que je ne voulais pas, que j’avais un petit ami, mais j’étais pétrifiée et je n’ai pas osé le repousser vigoureusement. »

Elle dit être sortie du bureau « la tête baissée, décoiffée, cramoisie », envahie par un sentiment de honte et de culpabilité ; la porte étant ouverte, elle s’était empêchée de crier, de peur d’être entendue par les assistantes et la rédactrice en chef juste à côté.

 

Dans une lettre qu’elle affirme lui avoir écrite plus tard, elle l’assure de son admiration, mais ajoute : elle est en couple avec un homme, il lui est « impossible de consentir », car il est son supérieur hiérarchique. « Pauvre justification », grince-t-elle aujourd’hui. Par la suite, comme pour Hélène Devynck, elle a constaté que PPDA dénigrait son professionnalisme auprès de ses collègues.

« C’était le roi à TF1 »

Nathalie – son prénom a été modifié, à sa demande – fait aussi partie de celles qui ont longtemps enfoui leur expérience, mais ont été lourdement marquées. Aujourd’hui journaliste dans un quotidien national, la cinquantaine, elle se souvient de sa première rencontre avec PPDA. Elle était étudiante à la Sorbonne, au début des années 1980. A l’issue d’une conférence-débat dont le journaliste était l’invité, la jeune femme lui pose quelques questions sur le métier. Il lui propose de venir assister au « 20 heures » d’Antenne 2, où il travaille alors. Elle accepte, « très honorée ». Le journal télévisé se termine, discussion dans la salle de débrief. Puis PPDA l’invite dans son bureau. « Il m’embrasse, il me déshabille, il y a un rapport sexuel. »

 

Ce « rapport », Nathalie dit ne pas l’avoir désiré. Elle se souvient qu’elle portait plusieurs couches de vêtements : « Il m’a épluchée comme un oignon. » Sans réaction, elle décrit un état de sidération. Lui « enveloppant » ; elle « comme un pantin entre ses mains ». Quand elle se remémore cet épisode, plus de trente ans après, les larmes lui montent aux yeux. Porter plainte ? A l’époque, c’était impensable. Elle rejoint la presse écrite, dégoûtée des coulisses de la télévision.

« On prévenait les filles quand elles arrivaient », raconte Hélène Devynck, ancienne assistante de PPDA

« Le climat des années 1990 à TF1 était affreusement misogyne », confirme Hélène Devynck. En ce temps-là, PPDA « c’était le roi à TF1 », ajoute-t-elle. Lorsqu’elle le rejoint pour devenir son assistante, en 1991, « c’était après la première guerre du Golfe, où il avait été vraiment starifié ». Même un entretien bidonné avec Fidel Castro, fin 1991, ne lui avait pas fait perdre son poste. Alors, face à celui qui « draguait tout le monde, autant les femmes que la caméra », selon les mots d’Hélène Devynck, « on prévenait les filles quand elles arrivaient ».

 

Ceux qui ont côtoyé Patrick Poivre d’Arvor, au cours de ses années fastes, donnent à entendre des souvenirs parfois nébuleux, mais qui dessinent tous le profil d’une personne au minimum complètement désinhibée. Un collègue de cette époque se rappelle « une bonne copine qu’il avait appelée tard le soir pour lui demander si elle n’avait pas envie de baiser ». « Je me suis fait draguer, il était un peu lourdingue, mais je ne me suis jamais sentie en position délicate », expose une consœur qui l’a interviewé plusieurs fois.

« Tout le monde savait »

« Tout le monde savait », affirment d’anciens salariés de TF1. Mais que savaient exactement les collègues ou les supérieurs hiérarchiques ?

Contactés, les principaux dirigeants de TF1 à cette époque sont restés silencieux. Ancien vice-président de TF1 et directeur des antennes de 1987 à 2007, Etienne Mougeotte n’a pas souhaité « [s]’exprimer sur un sujet qui est entre les mains de la justice ». Longtemps l’un des plus hauts responsables de l’information de TF1 et proche de PPDA, Robert Namias nous a indiqué qu’il ne ferait « aucun commentaire sur une affaire en cours ». Ancien haut dirigeant de TF1, Xavier Couture n’a pas répondu à nos sollicitations.

 

Pour certains, il paraît inconcevable que les « conquêtes » du présentateur ne soient pas consentantes. « Il pouvait être insistant avec les femmes, un peu balourd, avec ce côté onctueux qu’on lui connaît, précise une figure connue de l’information. Mais de là à les forcer… » Un ancien ponte de TF1 qui tient à rester anonyme ajoute : « Patrick était un Don Juan, un séducteur invétéré. Il avait ce qu’il voulait, il n’a jamais eu besoin d’avoir recours à la violence, en réalité. » Plusieurs femmes, autrices ou journalistes littéraires, ont d’ailleurs tenu à nous faire part de leur incrédulité, « l’ami fiable, fidèle et généreux », selon les mots de l’une d’elles, qu’elles connaissent leur paraissant très éloigné de la figure du prédateur.

 

Certains des proches de PPDA le disent constamment sollicité par de jeunes femmes. Marie-Hélène Mille, l’une des deux secrétaires du présentateur, qui l’a suivi après son départ de TF1 et l’accompagne toujours, se souvient : « Patrick recevait des dizaines et des dizaines de lettres, certaines avec des photos de femmes très suggestives, voire complètement dénudées, je le sais, c’est moi qui les ouvrais. Il recevait aussi des cadeaux divers et variés, qui allaient de gâteaux et chocolats jusqu’à des dentelles… C’était hallucinant. »

« On l’aurait su »

Apprenant que notre journal enquêtait sur les accusations dont son père est l’objet, sa fille Morgane nous a fait parvenir un mail dans lequel elle prend sa défense. « Aucun membre de ma famille n’a jamais été témoin d’un quelconque acte de violence ou déplacé » de sa part, explique cette avocate. Elle raconte qu’enfant, elle a « été témoin de scènes extrêmement choquantes. Des femmes dormaient sur le seuil de notre porte, d’autres chantaient sous nos fenêtres ou s’amusaient à nous faire peur. (…) Certaines d’entre elles continuent à nous harceler, ma sœur et moi, pour qu’on leur obtienne des rendez-vous avec lui. »

« Jamais je n’ai été victime ni témoin des comportements que certaines lui prêtent aujourd’hui », témoigne Marie-Hélène Mille, secrétaire de PPDA

Marie-Hélène Mille va dans le même sens : « Cela fait maintenant trente-deux ans que je travaille avec Patrick Poivre d’Arvor, tous les jours, dans le bureau voisin, la porte le plus souvent ouverte. Jamais je n’ai été victime ni témoin des comportements que certaines lui prêtent aujourd’hui. » Une ligne de défense adoptée par les quelques proches de Patrick Poivre d’Arvor qui se sont exprimés dans les médias. « Son bureau était au centre de la rédaction, s’il s’était passé des choses répréhensibles, on l’aurait su », s’est ainsi insurgé Jean-Pierre Pernaut dans l’émission « Les Grandes gueules » de RMC, le 2 mars.

« Concernant TF1, confirmait Claire Chazal, ancienne compagne de PPDA et mère de leur fils François, deux jours plus tard sur France Inter, jamais les choses n’ont été évoquées ni même imaginées dans cette tour où son bureau était au cœur de la rédaction et auquel chacun avait accès. »

« Vous êtes mariée ? Vous êtes fidèle ? »

Certains témoignages, dont celui de Cécile Delarue, permettent cependant d’en douter. Ancienne salariée de TF1, où elle a commencé sa carrière, en 2002-2003, la jeune femme se souvient d’une scène après un JT dans l’ascenseur : « On sort de la conférence. Il y a la rédaction en chef et des petits chefs. Et là il me fait, devant tout le monde : Vous êtes mariée ? Vous êtes fidèle ? Je suis mortifiée. L’un des chefs me regarde et semble dire du regard : “Ah, toi aussi tu y passes. J’étais complètement humiliée. » Dès lors, la journaliste décide d’emprunter les escaliers.

 

Plusieurs autres témoins de l’époque ont confirmé au Monde ce « rituel » des questions intimes. « Il n’était jamais insistant ni obscène. Toujours courtois, gentleman, mielleux, onctueux. Mais c’était très gênant. Peut-être qu’à TF1 ils ne savaient pas qu’il allait jusqu’à violer des filles sur son bureau, mais il ne se cachait pas pour les draguer », explique Chloé.

A 36 ans, Joséphine – elle préfère donner uniquement son prénom – a tenu à contacter Florence Porcel pour lui apporter son soutien. Elle aussi dit avoir subi une agression sexuelle de la part du présentateur dans son bureau. En 2003, la jeune femme a 18 ans, étudie à Dauphine, où PPDA, qu’elle a salué une première fois quelques semaines plus tôt dans un aéroport, vient présenter un faux JT. « Il est super sympa, se prête au jeu. Il me propose : Est-ce que vous voudriez voir un JT ?. Sur le moment je me dis que j’ai trop de chance. »

 

Rendez-vous est pris deux semaines plus tard à TF1. Joséphine est, avec une dizaine d’autres invités, impressionnée par le vaisseau amiral de la première chaîne privée d’Europe. A l’invitation d’une hôtesse, venue la chercher, Joséphine pénètre dans son grand bureau très personnalisé, où trônent des photos de sa fille, et duquel la vue sur Paris est « hallucinante ». « Il me demande s’il peut fermer la porte, sur le moment je ne comprends pas trop, je dis oui. Il me propose une vodka pomme ou orange, j’imagine qu’il veut se mettre à mon niveau d’étudiante », raconte-t-elle. La discussion dure une petite heure. « Au moment où il me demande si j’ai été avec un homme plus vieux, je pense qu’il faut que je parte. Mais, toute naïve, je réponds quand même que j’ai déjà été avec un mec de 25 ans. »

« D’un coup, il me saute dessus, et plante sa langue tout au fond de ma bouche. Il dégrafe aussi mon soutien-gorge », raconte Joséphine

Joséphine se lève, lui aussi. « D’un coup, il me saute dessus, et plante sa langue tout au fond de ma bouche. Il dégrafe aussi mon soutien-gorge. Je lui demande au moins trois ou quatre fois d’arrêter, je lui dis que je ne veux pas, que je n’ai pas envie. » La jeune femme saisit la poignée de la porte, qui ne s’ouvre pas. « Et là il me répond que j’avais été d’accord pour qu’il ferme la porte. J’avais dit oui pour la fermer, mais pas pour m’enfermer. »

Avant de partir, se remémore-t-elle, le présentateur l’interpelle : « Qu’allez-vous dire à vos parents ? » « Là, avec cette question, j’ai compris qu’il savait très bien ce qu’il faisait, qu’il me forçait. » Joséphine s’enfuit, sidérée. Elle a raconté l’histoire à ses amis, jamais à ses parents. « J’ai vraiment pensé qu’il faisait ça tous les soirs, que c’était sa routine. A l’époque, je pensais que ce n’était pas si grave. »

« Vers 4 heures, il tambourine à ma porte »

Mais les témoignages ne se limitent pas à TF1. En dehors des locaux de la chaîne, d’autres femmes décrivent des agressions ou des comportements totalement déplacés. Aujourd’hui âgée de 35 ans, Fanny – elle ne souhaite pas que son nom soit publié – n’a pas oublié son unique rencontre avec Patrick Poivre d’Arvor, en novembre 2007, quelques mois avant son éviction de la première chaîne.

Fanny est alors une jeune femme de 22 ans, « plutôt bien dans [ses] baskets ». Etudiante en communication, elle hésite avec le journalisme. Alors, lorsque la mère de Fanny, qui organise des cycles de conférences en Saône-et-Loire, décide d’inviter l’emblématique présentateur du JT de TF1 pour une conférence-débat sur « le pouvoir des médias », elle décide de demander au journaliste vedette quelques conseils. PPDA lui propose d’en discuter à l’hôtel où il loge. Puis de monter dans sa chambre.

 

La jeune femme se méfie, puis accepte. « Au moment où il est entré dans la chambre, il a fermé la porte et m’a enlacée. Une grosse étreinte. Ces grandes mains âgées qui se posent sur vous, c’est ce qui m’a le plus marquée. Ce n’était pas violent, c’était enveloppant. Il ne m’a pas embrassée mais je me souviens de son souffle dans mon cou. » « Choquée », l’étudiante se dégage de l’étreinte. « J’ai couru dans le couloir puis jusqu’à ma voiture, et je suis partie. » Elle en parle à ses proches, mais cela n’ira pas plus loin. « Je n’ai pas souhaité porter plainte car je n’ai pas vécu cela comme un traumatisme, mais ça aurait pu l’être. »

Laetitia – son prénom a été modifié, à sa demande –, l’affirme elle aussi : « Je n’ai pas été traumatisée. » Tout de même, elle n’avait jamais eu à mettre de chaise devant sa porte de chambre d’hôtel, en pleine nuit. La scène remonte à 2015, en marge d’un salon littéraire de l’ouest de la France. Lors d’un dîner organisé pour les auteurs, elle affronte une salve de questions intimes. Est-elle mariée ? Elle dit que non. « Une belle femme comme toi, c’est étonnant, c’est dommage », lui répond-il en substance. Gêne. Les choses empirent en fin de soirée. PPDA a déposé un mot à la réception de l’hôtel en laissant son numéro de portable, raconte Laetitia. Elle n’appelle pas, et va se coucher.

 

« Vers 2 heures du matin, le téléphone de la ligne fixe de la chambre de l’hôtel sonne. Je me dis : qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Je décroche. Et là, j’entends : Laetitia, c’est Patrick. » Elle prétexte ne rien comprendre, puis raccroche, mais les appels se poursuivent. « J’ai fini par arracher le fil. » Elle se rendort. Répit de courte durée. « Vers 4 heures, il tambourine à ma porte. C’est Patrick, ouvre-moi, j’en peux plus. Je faisais semblant de dormir, j’étais à pas de loup, sur la moquette, pour mettre une chaise devant la porte, au cas où. » Dans le train du retour vers Paris, il fera comme si rien ne s’était passé.

Plaintes pour dénonciations calomnieuses

Sur les réseaux sociaux, les témoignages se sont multipliés, après la révélation de la plainte de Florence Porcel. « Toujours de l’anonymat. Jamais une personne qui ose venir me dire dans les yeux : Mais non, là c’était pas bien », a balayé Patrick Poivre d’Arvor sur le plateau de « Quotidien ». En réalité, plusieurs femmes ont témoigné sur Twitter sous leur nom.

C’est le cas de Clémence de Blasi, jeune journaliste, qui a voulu partager son histoire après avoir vu à quel point Florence Porcel était dénigrée, sur ces mêmes réseaux sociaux, pour avoir porté plainte.

 

Le 18 juin 2015, elle se rend à un rendez-vous avec Patrick Poivre d’Arvor dans le cadre d’un entretien pour la revue Charles. « L’entretien se passe très bien, raconte-t-elle. Je ressors de là en me disant : il est super. » En rentrant chez elle, la jeune femme, alors âgée de 26 ans, écoute un message sur son répondeur. « J’aime cet enthousiasme qui émane de votre personnalité, gardez-le », lui dit le présentateur, en concluant par « si on peut se revoir, ce serait avec grand plaisir. Je vous embrasse. » Elle ne répond pas : « Il a l’âge de mon père, ça m’a fait marrer. »

« Moi j’étais juste une petite fourmi et lui, c’était le roi du PAF (…), il ne voyait pas pourquoi je refuserais », analyse Clémence de Blasi, jeune journaliste

La situation prend une tournure moins amusante lorsqu’elle reçoit plusieurs appels téléphoniques en numéro masqué, le lendemain. Elle finit par décrocher. « Et là c’est PPDA qui me pose des questions intimes. Si j’étais célibataire, si je me voyais me marier avec mon copain, etc. Puis : Clémence, est-ce que votre train de vie correspond à ce que vous souhaiteriez pour vivre à Paris ?  » Excédée, la jeune femme raccroche, et ne répondra plus. Mais elle apprend un peu plus tard que PPDA a appelé son supérieur hiérarchique à la rédaction de Charles, pour lui dire qu’elle n’était pas une bonne journaliste. « Moi j’étais juste une petite fourmi et lui, c’était le roi du PAF [paysage audiovisuel français]. Il se sentait tellement puissant, il ne voyait pas pourquoi je refuserais. »

 

Sollicitée par Le Monde, l’avocate de Patrick Poivre d’Arvor n’a pas répondu précisément à nos questions. Par son biais, son client déplore « des témoignages à charge qui voudraient faire de [lui] un homme au comportement pressant à l’égard des femmes, voire irrespectueux de leur consentement. M. Poivre d’Arvor s’étonne et s’indigne de ces méthodes. (…) Comme il l’a fait savoir dès le premier jour, [il] n’a jamais imposé à quiconque un acte ou une relation sous la contrainte et réfute toute accusation qui évoquerait des faits non consentis. Il conteste les quelques allégations qui lui ont été communiquées en amont de la publication du présent article. » Dénonçant « un tribunal où les médias et les réseaux dits sociaux sont à la fois juges et procureurs », PPDA assure rester « profondément attaché à la libération de la parole des femmes même s’il est aujourd’hui victime de son dévoiement ».

 

Dans une formulation sibylline, il avait déclaré sur le plateau de l’émission « Quotidien », début mars : « Ce comportement où il y a de petits bisous dans le cou, parfois de petits compliments, ou parfois du charme ou de la séduction, n’est plus accepté aujourd’hui par les jeunes générations. Si vous voulez mon avis, je le regrette. »

L’ex-présentateur déclarait alors que des plaintes pour dénonciation calomnieuse et diffamation étaient « en train d’être déposées ». Son avocate nous a indiqué, lundi 15 mars, que « la rédaction des plaintes [était] en cours ».

 

 

 

La journaliste Hélène Devynck, à propos de Patrick Poivre d’Arvor : « Quel poids a la parole d’une jeune femme inconnue, face à la vedette capricieuse ? »

« Le Monde » a publié les témoignages de femmes accusant l’ex-présentateur de TF1 de violences sexuelles, dont celui de Hélène Devynck.

 

«  Ça va ? Il ne t’emmerde pas trop ? »

Combien de fois m’a-t-on posé la question dans ces années 1990 naissantes ? J’ai 24 ans. Je termine un master de sciences politiques. Je rêve de journalisme. Je veux témoigner de mon époque. Et je rédige une partie du journal télévisé le plus regardé de France. Une aubaine pour un début de carrière.

Invariablement, je réponds : « Je gère. »

Et ç’a été vrai pendant plus d’un an.

J’ai demandé qu’on soit deux sur le poste. J’ai évité les tête-à-tête dans son bureau. Je le craignais. J’étais prudente. J’encaissais ses colères sans me plaindre. Il avait l’âge d’être mon père. Il ne me plaisait pas.


Et puis un soir, je n’ai plus su gérer : quelques minutes poisseuses dont le récit est réservé aux enquêteurs.

Je me suis tue. Pour longtemps.

Bouche cousue, parce que je suis saine d’esprit.

 

Quel poids a la parole d’une jeune femme inconnue, minuscule face à la vedette capricieuse, gloire nationale, qui règne sur l’audimat sans contre-pouvoir ? On aurait éliminé le messager plutôt que d’entendre son message gênant. En parler à mes amoureux les aurait placés dans une impasse chevaleresque : le pire aurait été qu’ils cherchent à me défendre ou à me venger. Je ne voulais pas qu’on me plaigne. Je ne voulais pas être une victime. Je ne voulais pas qu’on m’accable, qu’on pense que j’y étais pour quelque chose. Tout se retournait contre moi : la honte, la réputation pourrie, la promotion canapé. Je le savais. Le rapport de force était entièrement en ma défaveur. Parler m’aurait condamnée à d’infinies strates de violences supplémentaires. Parler aurait été professionnellement et socialement suicidaire. Je ne l’étais pas.

Je me suis protégée seule, avec les moyens du bord. J’ai annoncé que je ne ferais pas une nouvelle saison à ce poste. Il a décrété que je n’étais pas professionnelle. La hiérarchie de la rédaction de TF1 s’est alignée. « T’en riras dans dix ans, mais tu n’es pas faite pour ce métier », me disait-on.

 

Je suis partie pour LCI, qui inventait l’information continue, où j’ai construit quinze ans d’une honorable carrière. Je n’ai plus jamais travaillé dans la rédaction de TF1. Je n’ai plus jamais regardé le « 20 heures ». J’ai caché mon angoisse les rares fois où nous nous sommes croisés.

Mon silence a participé à élever le mur de la toute-puissance et de l’impunité.

TF1 pouvait sourire de son roi cavaleur qui fait des « petits bisous dans le cou », croire à un dragueur lourd et répétitif, prévenir les jeunes femmes du danger, dénoncer perfidement leur goût pour le pouvoir et les laisser aller au casse-pipe. Il était si charmant ! Un homme couvert de femmes, où est le mal ? La séduction n’est-elle pas un des habits de la gloire ?

 

La question est mal posée. Les termes sont à renverser : mon employeur pouvait-il ignorer l’ambiance malsaine qu’imposait sa vedette ? Ai-je travaillé en sécurité ? Ai-je été protégée ?

Le silence issu de la honte et du rapport de pouvoir, c’est la banalité du viol, qu’il se passe dans un monde sous les projecteurs ou dans l’ombre du bureau d’un sous-directeur d’une petite entreprise.

Les années ont passé. L’eau a coulé sous les ponts, parfois noire, parfois claire. J’ai remis les responsabilités à leur place. La honte s’est effilochée. La prescription s’est installée.

Vingt-huit ans après, la plainte d’une jeune femme que je ne connais pas est venue réveiller le souvenir enfoui de ces minutes poisseuses. C’est un classique des affaires de viol : on se tait jusqu’à ce que d’autres aient besoin de vous. On parle pour que justice se fasse.

 

Dans cette affaire précise, quelque chose m’a intriguée : les femmes qui veulent bien être nommées sont celles qui ont évité le rapport sexuel. Pour les autres, l’anonymat est de mise. Tout se passe comme si, dès qu’il vous approche de trop près, le sexe de l’homme a le pouvoir magique de vous museler, comme s’il restait une trace de la culture de l’honneur perdu, de salissure inavouable.

Je sais les risques que je prends à parler à visage découvert ; qu’on invoque « une quête inconvenante de notoriété » ; qu’on laisse entendre que j’aurais quoi que ce soit à gagner à me faire passer pour une victime. Voir ma photo à côté de la sienne me réduira à ces minutes poisseuses. Chaque fois, ce sera une pièce de plus dans la machine à taire qui renforce si activement la forteresse de l’impunité.

Les gens qui m’aiment savent. Mes enfants m’encouragent à parler, certains de mes amis à me méfier. Si je ne peux pas témoigner aujourd’hui, qui le pourra jamais ?

 

 

Des investigations sont ouvertes sur les faits rapportés par Hélène Devynck à l’encontre de Patrick Poivre d’Arvor, qui est présumé innocent.