Rapport Sauvé : anatomie d’une onde de choc
« Peut-on bien recevoir un désastre ? » Par ces mots, Véronique Margron, dominicaine, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), entamait son discours de réception du rapport de la Commission sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) mardi 5 octobre 2021. Invitée à monter sur la scène de l’auditorium Marceau-Long avec son homologue, le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Éric de Moulins-Beaufort, elle venait de recevoir entre ses mains l’épais document de plusieurs milliers de pages, si lourd, dans tous les sens du terme.
Prophétiques, ces mots l’ont été. Car la semaine qui a suivi la révélation de ce « désastre » a été une lente descente aux enfers pour les catholiques, entre le choc des révélations du rapport (330 000 victimes depuis 1950), les fausses polémiques médiatiques et les déceptions vis-à-vis des prises de paroles épiscopales.
Langage euphémisant
Mardi 5 octobre 2021, pour beaucoup, la réception du rapport Sauvé commence par la lecture de témoignages de victimes, consignés dans le livret De victimes à témoins publié en annexe du rapport. La description crue des faits dont se sont rendus coupables des prêtres catholiques, et de leurs conséquences, terrifie. Et, par bien des façons, fait exploser le langage euphémisant (autour des « gestes déplacés ») qui a souvent court dans l’univers ecclésial.
Sur les réseaux sociaux, il y a alors ceux qui crient leur désarroi et leur colère… et ceux qui préfèrent garder un « silence atterré », comme le dit Cédric Burgun, prêtre du diocèse de Metz et vice-doyen de faculté de Droit canonique de l’Institut catholique de Paris, reprenant la phrase de Jean-Marc Sauvé à La Vie : « Ce rapport est l’histoire d’un naufrage. »
Je remercie vivement le Pdt Sauvé et tte la #CIASE pr leur travail. Je remercie et pense à ttes les victimes. Même si je m’exprime ici ou là, c’est surtout un silence atterré qui m’habite. Je retiendrai simplement son expression : « ce rapport est l’histoire d’un naufrage » https://t.co/UmV3RhYR43
— P. Cédric BURGUN (@PereCedric) October 5, 2021
« Mon Dieu, dis-moi, comment vais-je continuer à aimer mon Église ? », écrit une catholique sur Twitter.
Mon Dieu, dis-moi comment vais-je continuer à aimer mon Église ?
— Corine (@CorineMarbeuf) October 5, 2021
Au même moment, à Lourdes s’ouvre le pèlerinage du Rosaire organisé par les Dominicains depuis 113 ans. Quelques frères et sœurs s’étaient rassemblés mardi pour écouter ensemble la remise du rapport, pour ne pas être seuls face à cette douloureuse annonce.
Dans les allées du sanctuaire, parmi les pèlerins, c’est la sidération. Pour Claudine, 65 ans, hospitalière depuis 15 ans, « c’est bien d’ouvrir enfin les yeux sur le mal qui a été fait et qui est encore fait ; mais je veux garder les yeux ouverts sur le bien qui est fait aussi ; et ici, à Lourdes, le bien, on le voit, il est présent ». Paul, 68 ans, commissaire, ne dit pas autre chose : « C’est un choc. La confiance envers l’Église est entamée à juste titre : elle doit nous protéger, protéger nos enfants en particulier, or elle a failli dans sa mission. Mais j’espère que l’engagement dans l’Église ne va pas faiblir pour autant, pour les malades notamment, qui en ont besoin… »
À la fin de la messe d’ouverture, qui réunissait 12000 pèlerins, le frère Lionel Gentric, directeur général délégué du pèlerinage, a fait une annonce particulière sur la remise, intervenue le jour même, de ce rapport « dont les conclusions accablantes feront date ». Concernant ces « heures d’une singulière importance et d’une grande gravité » que traverse l’Église, il a appelé les pèlerins à « prendre le temps » : « Ce rapport ouvre un temps, qui sera le temps de sa réception ; oui, il nous faudra du temps pour lire, pour comprendre, pour prendre la mesure de ce qui se cache au cœur de ces chiffres. N’allons pas trop vite, ce serait manquer de respect pour les victimes comme pour le travail de la commission que de livrer aujourd’hui des convictions ou des analyses. » Il a ensuite invité les pèlerins à assister aux conférences à venir de ses sœur et frère dominicains : Véronique Margron, pour « un chemin de vérité », et Philippe Lefebvre sur « ce que vous avez fait aux plus petits d’entre mes frères ». Deux religieux en pointe dans la lutte contre les violences sexuelles.
L’ampleur du travail à accomplir
Très vite après ce choc vient le temps des prises de parole publiques des évêques dans les médias. Car ils sont attendus de pied ferme sur les plateaux télévisés ou dans les colonnes de la presse locale pour réagir et commenter les conclusions du rapport tout juste reçu.
« Les chiffres dépassent ce qu’on pouvait imaginer, déclare ainsi Olivier de Germay, archevêque de Lyon, devant le micro de plusieurs radios et télévisions. Des personnes victimes ont eu le courage de parler, parfois grâce à des associations. On a pu parfois se sentir agressé par de telles associations, mais il faut bien reconnaître qu’elles ont permis de faire avancer les choses. C’est en partie grâce à la Parole libérée, à Lyon, que l’Église qui est en France a mandaté une commission indépendante pour faire la vérité et aboutir à la publication de ce rapport. (…) Je voudrais redire aux personnes victimes notre honte et notre compassion. Au nom de l’Église, je leur demande pardon. »
Dans le flot des réactions épiscopales, celle de l’archevêque de Strasbourg Luc Ravel est sans doute la plus marquante : « Si nous minimisons ce rapport de la Ciase en le rangeant sur une étagère, l’Église du Christ n’a plus d’avenir chez nous sinon sous la forme d’une petite secte moralisatrice », écrit-il en dénonçant des « théologies dérisoires ».
Rapport Sauvé sur la pédocriminalité : "Personnellement, ce rapport me bouleverse, m'écœure et me scandalise", déclare Mgr Olivier de Germay, archevêque de Lyon, Primat des Gaules, lors d'une conférence de presse. "J'ai honte de ce qui s'est passé. L'église a été défaillante." pic.twitter.com/bBpQDP9uqT
— franceinfo (@franceinfo) October 5, 2021
Néanmoins, peu d’évêques parviennent à dépasser le stade de la commisération pour les victimes ou les pieuses méditations sur le mystère du mal, sur le mode de ce qu’a déclaré un évêque à La Vie : « Aujourd’hui, éradiquer un mal est toujours illusoire mais nous devons lutter contre. » Une attitude maladroite qui paraît minimiser les révélations du rapport et l’ampleur du travail à accomplir.
« La honte, l’humiliation et la colère »
C’est contre ce type de réflexe, qui n’est pas l’apanage des évêques, que commencent, le mercredi 6 octobre et les jours suivants, à se cristalliser un large mouvement de laïcs et de religieux dépités.
« Oui, nous devrions nous taire face à cela, car toute parole est indécente une fois que l’on a vu cette réalité, déclare Benoist de Sinety, ancien vicaire général du diocèse de Paris, aujourd’hui curé à Lille, sur RCF. Alors que certains soupiraient il n’y a pas si longtemps en expliquant que nous n’étions pas les pires… Eh bien si ! Nous avons été les pires. Les seuls mots possibles après celui de pardon sont destinés à nous empêcher collectivement d’en rester à l’hébétude de l’émotion et aux bonnes paroles de contrition, surtout quand elles sont prononcées par les lèvres des professionnels que nous sommes. »
Sur Facebook, l’essayiste catholique Erwan Le Morhedec revient sur une expérience passée, quand il avait tenté de proposer des pistes de réformes pour l’Église. « Certains m’ont répondu : “L’Église n’a pas besoin de réformes, mais de conversion ! “ou sa variante : “L’Église n’a pas besoin de consultants mais de saints !”, raconte-t-il. Phrases toutes faites, habituelle spiritualisation stérile du débat, mais phrases qui claquent et qui font joli. Phrases habiles à reporter toute décision et à camoufler le déni. Maintenant que la honte, l’humiliation et la colère sont plus fortes encore, maintenant que la Ciase nous accompagne, on s’y remet ? »
Questions anecdotiques
Colère. Le mot est lâché. Mais c’est surtout le sentiment que les évêques ne peuvent pas porter à eux seuls la responsabilité des réformes à venir qui va s’accentuant dans l’esprit des catholiques de France. Surtout après le passage du président de la Conférence épiscopale de France, Éric de Moulins-Beaufort, dans la matinale de FranceInfo du 6 octobre. Sous l’effet combiné des questions ciblées des journalistes et de l’effet de miroir grossissant des petites phrases que procurent les réseaux sociaux, la discussion se focalise sur deux thématiques abordées par la Ciase, mais anecdotiques par rapport au cœur du problème de la pédocriminalité dans l’Église et, surtout, à contretemps par rapport à l’émotion collective.
D’abord la question de l’indemnisation des victimes. Une voie qu’avait commencé à emprunter la CEF en mars 2021 avec la mise en place d’un fonds de dotation spécifique, mais dont les modalités pratiques ont été clairement critiquées par la Ciase. En particulier le fait que ce fonds soit abondé par un appel au don spécifique, donnant l’impression que l’Église institutionnelle ne contribuait pas. « Il nous faut revoir notre copie, reconnaît Éric de Moulins-Beaufort sur FranceInfo. Mais toutes les ressources que nous avons viennent des dons des fidèles. J’espère qu’un certain nombre de fidèles voudront bien venir nous aider. L’enjeu de cet appel aux fidèles est que l’ensemble des fidèles se sentent concernés. Pas coupables, bien sûr. Mais nous portons ensemble comme Église la responsabilité des personnes victimes. »
Cette phrase, combinée à l’impression que l’on est en train de négocier des bouts de chandelle sur le dos des victimes, choque de nombreux catholiques, qui goûtent peu le fait que les évêques se souviennent de leur responsabilité dans l’Église uniquement quand il s’agit de mettre la main au portefeuille.
Le débat public se focalise ensuite sur le secret de la confession… Alors que le président de la CEF essaye de temporiser en avançant la nécessité d’étudier le rapport plus en profondeur, il finit par lâcher, poussé par les journalistes de FranceInfo : « Le secret de la confession s’impose à nous et en cela, il est plus fort que les lois de la République… parce qu’il ouvre un espace de parole libre qui se fait devant Dieu. » Cette phrase, comprise par beaucoup comme un acte de « séparatisme », vaut à Éric de Moulins-Beaufort une invitation à s’expliquer devant le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, soucieux de paraître aussi sévère vis-à-vis des catholiques que des musulmans.
Désintérêt de la société civile
Cette polémique frustre un certain nombre de catholiques qui se voient entraînés dans un débat stérile sur l’opposition entre la loi de Dieu et les lois de la République. « Si nous partons du principe intangible que nous savons tout, que notre théologie est sans faille et que nos pratiques sont irréformables, alors tout cela n’aura servi à rien et le naufrage sera total », se questionne sur son blog Sylvain Brison, un prêtre du diocèse de Nice, en mission de recherche à l’Institut catholique de Paris.
Elle trouvera sa résolution à l'issue de la rencontre entre le président de la CEF et le ministre le 12 octobre 2021. D'un côté Gérald Darmanin rappelle l’obligation pour les prêtres ayant connaissance de « crimes » contre des « enfants de moins de 15 ans », de « porter » ces faits « à la justice ». De l'autre, la CEF souligne qu'« un travail est nécessaire pour concilier la nature de la confession et la nécessité de protéger les enfants ». « Je demande pardon aux personnes victimes et à tous ceux qui ont pu être peinés ou choqués par le fait que le débat suscité par mes propos, sur France Info, au sujet de la confession, ait pris le pas sur l’accueil du contenu du rapport de la Ciase et sur la prise en considération des personnes victimes », ajoute l’archevêque de Reims.
Cette controverse traduit probablement aussi une forme de désintérêt de la société civile non chrétienne et du monde politique face aux déboires internes de l’Église – à part peut-être sur la question subsidiaire du célibat des prêtres, promptement remis en question par le monde extérieur, quand bien même la Ciase n’en fait pas un cheval de bataille. En témoigne le peu de réactions des responsables politiques sur le travail de la Ciase, pourtant inédit en France.
L’idée que la pression à réformer l’Église ne vient pas du monde extérieur, mais de l’intérieur, à savoir les laïcs et clercs de la base, fait son chemin. « Amis cathos, quels sont les moyens de pression les plus pertinents sur l’Église de France pour la forcer à prendre des décisions sérieuses à la suite du rapport de la Ciase ?, lance Alexis BD sur Twitter, le 7 octobre.
Amis cathos, quels sont les moyens de pression les plus pertinents sur l’Eglise de France pour le forcer à prendre des décisions sérieuses suite au rapport de la CIASE ?
— Alexis BD (@Alexis_B_D) October 7, 2021
Ci dessous mes idées en vrac pour commentaires et compléments !
Parmi les idées avancées : suspension de la contribution au denier de l’Église, manifestation devant la CEF, association dédiée au pilotage de la mise en place des actions recommandées par le rapport, etc.
Jeudi 7 et vendredi 8 octobre, la conviction que les laïcs doivent se manifester se structure parmi un petit groupe de catholiques engagés, toutes tendances confondues, parmi lesquels on compte Pierre-Yves Stucki, qui dirige l’antenne des Semaines sociales dans les Yvelines, Isabelle de La Garanderie, vierge consacrée du diocèse de Nanterre, ou encore Erwan le Morhedec. Vendredi 8 octobre, à 15 heures, en mémoire du moment où l’Église commémore la mort de Jésus-Christ, ils lancent avec d’autres les hashtags #MyChurchToo et #AussiMonÉglise pour signifier leur volonté de réformes. Par ces mots-dièses, imaginés dans l’esprit du mouvement #MeToo, grâce auquel des milliers de victimes de violences sexistes et sexuelles se sont manifestées à travers le monde depuis 2017, ils veulent exprimer que leur Église a été coupable. Mais aussi qu’ils ont une responsabilité à prendre dans les réformes à venir.
La colère qui s’exprime pour une part à l’égard de l’épiscopat va jusqu’à se traduire par un appel à la démission collective des évêques porté par François Devaux, fondateur de la Parole libérée, Anne Soupa et Christine Pedotti, même si ce n’est pas ce que souhaitaient les initiateurs du hashtag.
Soirées d’échange et de prière
Dans le même temps, un peu partout en France, des soirées d’échange et de prière s’organisent. Vendredi soir, à Montrouge (Hauts-de-Seine), une assemblée paroissiale était prévue depuis plus d’un mois. Si l’actualité n’est spontanément évoquée, durant les échanges autour de l’annonce de la foi, la liturgie ou le service, que par une seule paroissienne sur les 80 personnes présentes – qui suggère d’organiser une soirée spécifique pour évoquer et expliquer l’enquête de la commission Sauvé –, le curé a tout de même choisi de saisir cette occasion pour poser un geste fort. Après avoir rappelé que « nous ne pouvons pas taire ces crimes, car le corps de l’Église est meurtri par des actes qui tuent les hommes », il souligne qu’il est « difficile de parler, trop tôt pour parler, mais nous pouvons prier pour les victimes, pour ces vies brisées ». Symboliquement, il dépose un dossier représentant le rapport de la Ciase au pied de la croix, tandis que l’assemblée chante la prière d’abandon de Charles de Foucauld. Le geste, d’une très grande simplicité mais extrêmement parlant, est accompagné d’une prière : « Seigneur, nous te demandons pardon pour toutes ces personnes marquées par les abus dans l’Église. Donne-nous de nous rappeler que l’Église doit expérimenter ce que cette croix nous rappelle. (…) Fais mourir dans l’Église ce qui est contraire à la fructification de sa mission. »
Les célébrations liturgiques du week-end, samedi 9 et dimanche 10 octobre, ouvrent, quant à elles, un nouvel espace de parole et de réception du rapport pour les catholiques. Mot d’accueil, homélie, prière universelle, annonces, bulletin paroissial sont autant d’occasions pour les prêtres et les animateurs liturgiques de faire référence au rapport Sauvé.
À Villers-sur-Mer (Calvados), alors qu’il en avait fait l’ouverture de son message hebdomadaire envoyé par Internet, le curé de la paroisse Saint-Martin-de-la-Côte-Fleurie Georges Vimard a ouvert la célébration de dimanche matin par cette actualité, avant même le chant d’entrée pour en marquer la solennité et y revenant pendant l’homélie et à la fin de la célébration. Il a évoqué le choc que cela représentait pour lui, invitant les paroissiens à vivre l’épreuve avec cette vérité, en en parlant entre eux et avec des non-croyants. « Ne gardons pas nos questions, révoltes, colères, sidération… parlons-en entre croyants ou non. Ce serait terrible de ne pas oser en parler, ce serait oublier la parole de l’Évangile : “La vérité fera de vous des hommes libres.” Parlons en vérité, aidons-nous à regarder la réalité en face ; il s’agit de crimes, de vies brisées, de silences complices."
Prière et jeûne
À la cathédrale Saint-François-de-Sales de Chambéry (Savoie), Loïc Molina D’Aranda, 33 ans, a ouvert la messe de 19 heures par quelques mots de prière : « Nous prions d’abord pour les victimes, ensuite pour l’Église, pour qu’elle guérisse. Nous prions enfin pour nous-mêmes, afin que nous soyons plus vigilants, et que jamais ces crimes ne puissent se reproduire. » À l’issue de la célébration, le tout nouveau curé de la paroisse, installé début octobre, a lancé un appel : « Je ne sais pas encore ce qui se fera au niveau du diocèse, mais peut-être pourrions-nous imaginer quelque chose dans la paroisse : un groupe de parole ? Un lieu de débat ? Je compte sur vos idées. »
Sur le parvis animé par la rumeur provenant de la terrasse du pub voisin, le jeune prêtre confie ensuite son désarroi et les sentiments agités qui l’ont traversé tout au long de la semaine : « Intérieurement, ça a pas mal brassé », avoue-t-il avec un timide sourire, admettant se sentir davantage observé. « Nous avons besoin de clarté. Mardi, j’entendais un journaliste demander : « Est-ce qu’un prêtre est plus dangereux qu’un autre ? » Forcément, ça force à s’interroger sur ses propres gestes : Est-ce que si je pose la main sur la tête d’un enfant, cela peut être un « geste déplacé » ? Est-ce que je peux prendre un enfant dans mes bras ? Est-ce que l’on peut témoigner de la tendresse de manière juste ? »
À Notre-Dame-de-Clignancourt, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le sujet est largement évoqué lors de l’homélie et de la prière universelle. Un jeûne est même proposé vendredi prochain, avec une messe et un temps de prière spécifique. Suivant la recommandation du vicaire général Philippe Marset, le curé conseille à ses ouailles d’aller lire chacun un ou deux témoignages de victimes. À la sortie de la messe, une paroissienne d’une cinquantaine d’années confie être elle-même une victime de prêtre : « Je suis persuadée que les choses vont bouger. Elles ne peuvent pas rester comme avant. Peut-être un peu à l’image du mouvement de fond qui a suivi le phénomène #MeToo… »
« Mais ma confiance dans l’Église n’est pas ébranlée pour autant, poursuit-elle. Elle ne l’a jamais été, même après mon agression. Attention à ne pas faire un mal supplémentaire en remettant en cause des choses profondes et fondamentales, comme le célibat et la confession, et en disant “tous pourris”. » Cette catholique remarque avoir été frappée par le nombre de prêtres qui se disent « humiliés » par la situation actuelle et le laisser-faire de l’Église. « Je suis en colère, et ce n’est pas nouveau, contre la sacralisation de la figure du prêtre, encore présente dans le discours ambiant, où il est placé en surplomb, avec qui c’est un honneur de parler à la sortie de la messe… », conclut-elle.
Libération de la parole
Mais dans d’autres paroisses, c’est le silence. Toujours à Paris, dans le XVe arrondissement, Émilie, la trentaine, a été surprise, tout au long de la messe, de ne pas voir ce sujet évoqué. Et de ne trouver, dans le bulletin paroissial, que le mot de l’archevêque. « Notre curé est arrivé il y a trois semaines, alors je suis allée le voir à la sortie de la messe en me disant que j’allais commencer par me présenter avec mes enfants, explique-t-elle. Puis j’ai dit mon étonnement et ma déception face à ce silence sur un rapport commandité par l’Église pour l’Église. » La réponse empreinte de langue de bois ne l’a pas rassurée : « Il m’a dit que c’était un sujet complexe, que lui ne savait rien des dossiers, qu’il ne voulait pas trop se saisir de ce sujet si tôt. » D’autres paroissiens l’auraient interpellé, lui a-t-il confié. « Mais, pour l’instant, ce que j’en comprends, c’est que l’on va réfléchir à réfléchir… et ce n’est pas du tout suffisant », conclut la paroissienne, qui se dit « déçue et en colère ».
Malgré le silence qui persiste dans certaines assemblées – soit parce que les personnes ne se sentent pas concernées, qu’elles minimisent l’importance des violences sexuelles dans l’Église, ou qu’elles estiment qu’il ne faut pas ajouter du scandale au scandale en en parlant –, la libération de la parole sur ces sujets a néanmoins fait un grand pas cette semaine. Le rapport provoque la discussion dans bien des familles, jusqu’alors peu habituées à parler de ces sujets, comme le confie une mère de famille de 50 ans, investie dans sa paroisse à Tours (Indre-et-Loire) et engagée dans des mouvements comme la lutte contre l’avortement ou la Manif pour tous. « Sur la protection des enfants, nous allons devoir faire profil bas, reconnaît-elle. Car, comme l’a dit notre évêque, le rapport affecte la crédibilité de l’Église et invite à la modestie, à désormais privilégier les gestes simples aux grands discours. Il ne s’agit plus de dire le bien, mais de le faire. »
Autre conséquence du rapport Sauvé : cette libération de la parole amorce une nouvelle vague de témoignages de victimes jusque-là restées silencieuses. De quoi remettre en question le fonctionnement de certaines cellules d’écoute diocésaines, peu fonctionnelles. Par ailleurs, plusieurs victimes qui ont pris publiquement la parole ont fait état de nombreux messages de soutien de la part de personnes ayant envie de les remercier et d’aider.
Le temps de la réception passé, s’ouvre celui des réformes. Avec une échéance en ligne de mire : l’assemblée plénière des évêques à Lourdes du mois de novembre, où l’épiscopat devrait prendre ses premières mesures concrètes. « Nous ne pourrons traiter la question de la pédocriminalité et de la fin du déni de ces faits que dans la complémentarité de toutes les vocations : pourrait-on imaginer que tous les diocèses de France convoquent une assemblée synodale extraordinaire afin d’accueillir et de travailler les 45 recommandations de la Ciase avant fin octobre ? », propose Paul-Antoine Drouin, ancien vicaire général du diocèse du Mans (Sarthe) sur sa page Facebook. Deux représentants de ces assemblées pourraient ensuite accompagner les évêques à l’assemblée plénière de Lourdes, comme cela s’est déjà fait sur d’autres sujets les années précédentes. « Cela serait plus productif que les évêques ne soient pas les seuls à discuter entre eux de la réception des recommandations de la CIASE : tout le monde en sortirait plus fort et plus éclairé. »
Ces aspirations à l’intégration des laïcs, femmes et hommes, dans le processus décisionnel ecclésial coïncident parfaitement avec le processus synodal (le synode sur la synodalité) lancé par le pape François cette année, et dont le but est d’ouvrir l’Église à un fonctionnement plus horizontal. Un changement de cap est attendu par le peuple de Dieu.