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Pascal Perrineau :« L'affaire Benalla est le symptôme d'un dérèglement du pouvoir jupitérien »

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Source: les Echos PIERRE-ALAIN FURBURY Le 22/07 à 10:37

 

Professeur des Universités à Sciences Po, Pascal Perrineau est l'un des politologues français les plus réputés. - HAMILTON/REA

Affaire Benalla, mauvais sondages, défiance persistante à l'égard du politique : professeur des Universités à Sciences Po, le politologue Pascal Perrineau livre son diagnostic sur les difficultés du macronisme… et des oppositions.

Quelles traces peut, selon vous, laisser l'affaire Benalla ?

Ce qui est devenu au fil des jours « l' affaire Benalla  » peut être considéré comme un symptôme d'une certaine superbe et d'un isolement de l'entourage du pouvoir présidentiel qui n'est pas cependant une nouveauté sous la Ve République. Sous François Hollande et Nicolas Sarkozy, des conseillers du président - Aquilino Morelle, Patrick Buisson - avaient été accusés de comportements inadaptés.

Il est vrai que la violence des comportements d'Alexandre Benalla et l'impression qui a pu être donnée de la lenteur de l'Elysée à réagir donnent un écho important à cette affaire. Celle-ci peut laisser des traces à l'heure où le pouvoir présidentiel est souvent perçu comme isolé et peu sensible aux demandes et interrogations des « corps intermédiaires ». On l'a vu récemment lors de la Conférence nationale des territoires où toutes les grandes organisations d'élus locaux étaient absentes. On le voit aujourd'hui dans le trouble qui saisit la presse, les magistrats ou encore la police à la découverte des agissements de ce chargé de mission à l'Elysée et du fait que la hiérarchie élyséenne ne semble pas avoir pris toute la mesure de l'enjeu.

Faut-il y voir la crise la plus grave affrontée par Emmanuel Macron depuis le début de son quinquennat ?

 

C'est une  crise importante dans la mesure où elle est le symptôme du dérèglement d'une structure de pouvoir jupitérien et de l'exposition excessive du pouvoir présidentiel. Cependant, il ne faut pas surinterpréter ce qui est aussi le dérèglement personnel d'un individu - certes en charge des problèmes de sécurité du président - mais surtout avide de « jouer les gros bras ». Il s'agit plus d'une crise de fonctionnement du pouvoir qu'un débat sur le contenu de ce pouvoir.

Mais Emmanuel Macron est déjà au plus bas dans les sondages depuis le début de son quinquennat. Comment peut-il espérer redresser la barre ?

Au cours des dernières semaines, Emmanuel Macron a connu une érosion sensible de sa popularité. Alors qu'il tient bien dans son électorat, il est à un bon niveau dans l'électorat de droite mais est très affaibli à gauche et à l'extrême droite. Cette  difficultémacronienne à gauche et dans les soutiens populaires lepénistes témoigne d'un « déficit social » du président. Alors qu'une majorité de Français considère qu'il « défend bien les intérêts de la France à l'étranger » et qu'il « renouvelle la fonction présidentielle », ils ne sont que 29 % à considérer qu'il est « proche de leurs préoccupations ». La verticalité macronienne assumée, revendiquée a mis à mal l'horizontalité et la proximité. Développer ces dernières dimensions dans les mois qui viennent ne sera pas une tâche facile mais désigne la voie d'une reconquête de l'opinion.

Au bout d'un an, comment définir le macronisme ?

Peu à peu le macronisme se définit comme une tentative de synthèse d'éléments idéologiques qui n'appartenaient pas forcément au même répertoire : le libéralisme économique, une  pratique centralisée et verticale du pouvoir , la technocratie, l'idéologie managériale, l'engagement européen, la modernité culturelle et une vision plutôt pluraliste de la société... Comme dans tous les syncrétismes qui tentent d'innover, il peut y avoir un problème de lisibilité globale et de tension interne entre les différents éléments qui le composent. Enfin, le référent du macronisme reste très individualisé et n'est pas explicitement porté par d'autres hommes et femmes politiques que le président. Dans le passé, le gaullisme était aussi un discours très personnalisé mais il s'articulait fortement à la tradition française du nationalisme d'ouverture qui fonctionnait comme une chambre d'écho. Tel n'est pas le cas pour l'instant du macronisme.

Le nouveau monde politique vous apparaît-il si différent de l'ancien ?

En quelques mois, le vieux monde politique a été bouleversé. Le renouvellement générationnel ainsi que celui des visages de la classe politique en sont les témoins les plus évidents. Les organisations politiques qui structuraient le débat depuis des décennies ont volé en éclats. Les discours et les frontières politiques ont été bouleversés. Cependant, les règles du jeu institutionnel, et particulièrement celles de la Constitution de 1958 revue et corrigée par les diverses révisions, restent au coeur du dispositif politique. Le présidentialisme gaullien est assumé comme tel avec tous ses éléments constitutifs : un pouvoir totalement articulé sur le président et non sur le Parlement, un programme présidentiel qui s'impose à la majorité parlementaire et au « parti du président », ce dernier étant sous contrôle étroit de l'Elysée. On pourrait presque dire qu'un jeu de règles anciennes est mis en oeuvre par des acteurs radicalement nouveaux.

La défiance à l'égard du politique reste très forte en France. Est-ce un échec pour Emmanuel Macron ?

Toutes les enquêtes les plus récentes montrent que la défiance élevée qui existait avant l'élection d'Emmanuel Macron - et qui a été un des vecteurs importants de sa victoire - perdure. La crise de la représentation politique, du plan local au plan national et supra-national, continue à s'approfondir. La tâche de reconstruction d'une confiance politique ne peut se faire que par un mouvement d'en bas qui rencontre le mouvement d'en haut. Dans le macronisme le mouvement d'en haut est perceptible, en revanche le mouvement d'en bas est inexistant et même profondément obéré par la « fronde des élus locaux ».

La réforme des institutions est-elle de nature à atténuer la crise démocratique ?

La réponse purement institutionnelle est d'un faible secours pour répondre à la crise démocratique. Tous les systèmes politiques européens qu'ils soient parlementaires ou présidentiels, proportionnalistes ou majoritaires, décentralisés ou unitaires sont touchés par cette crise. Les réponses sont plutôt à chercher du côté de la « performance » des systèmes politiques en termes d'efficacité des politiques publiques mises en oeuvre, du côté de l'éducation à la citoyenneté et du côté de l'articulation à définir entre la démocratie représentative et la démocratie participative.

Que traduit, selon vous, le nombre important de personnalités qui ont décidé depuis un an de prendre du champ avec la politique nationale ?

La grande difficulté à élaborer une réponse politique convaincante à l'ampleur de la crise de la démocratie décourage nombre de personnalités qui préfèrent délaisser « l'action publique » et revenir au « bonheur privé » comme l'avait très bien vu, dès les années 1980, l'économiste américain Albert Hirschman dans son livre « Bonheur privé, action publique ». La crise des grands référents idéologiques, celle des organisations politiques et celle de l'action publique cumulent leurs effets et rendent de moins en moins attractive la « carrière politique ».

François Hollande et Nicolas Sarkozy s'efforcent, chacun à leur manière, de rester dans le jeu. Peuvent-ils espérer revenir ?

Certains « professionnels de la politique » qui ont connu les plus hautes responsabilités et l'ivresse qui y est liée, ont plus de mal à « décrocher » que d'autres responsables politiques. Cependant, l'usure du pouvoir - souvent accélérée dans un temps politique qui s'est raccourci- et la marque lourde que constitue la défaite électorale ou politique d'un président sortant, sont autant d'éléments qui rendent extrêmement difficile l'hypothèse d'un « retour victorieux ». A une époque où les disgrâces politiques étaient moins fulgurantes et profondes, Valéry Giscard d'Estaing, en dépit d'efforts constants et renouvelés, n'avait pas réussi à organiser un « retour victorieux ». A l'âge des désamours politiques accélérés et profonds, la stratégie du « retour » devient encore plus compliquée.

D'où peut alors venir la relève politique et l'alternative ?

En démocratie, l'opposition est porteuse de cette fonction décisive de la « relève ». Cependant, pour la première fois sous la Ve République, l'opposition est dans un état d'éclatement maximal qui rend improbable, aux yeux des Français, une relève politique à brève échéance. Il n'y a pas une opposition mais des oppositions incapables de trouver des stratégies d'alliance durables et crédibles. Faute de cela, les Français considèrent aujourd'hui que les forces d'opposition principale sont les courants extrémistes de France insoumise et du Rassemblement national. En revanche, les « forces de gouvernement » que veulent être Les Républicains et le  Parti socialiste sont à la peine. Cet état de choses libère pour l'instant la place pour un « espace central » qui va des marges du PS à celles des LR et que le macronisme occupe avec plus ou moins d'assurance.