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C’est devenu un rendez-vous annuel. Le jour de l’ouverture du forum économique mondial de Davos, Oxfam publie un rapport choc pour alerter sur l’ampleur des inégalités mondiales. Alors que les responsables économiques et politiques du monde entier atterrissent dans la ville suisse, l’ONG d’origine britannique braque aujourd’hui les projecteurs sur l’excellente santé financière des milliardaires.

« Depuis 2020, les 1 % les plus riches ont capté près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses, soit près de deux fois plus que les 99 % les plus pauvres de la population mondiale », affirme ainsi Oxfam.

En cause, l’envolée de la fortune des milliardaires depuis 2020, qui a augmenté de l’équivalent de « 2,7 milliards de dollars par jour ».

 

Dans le détail, la fortune possédée par les milliardaires a surtout progressé en 2020 et 2021 lors de la crise sanitaire, portée par l’envolée des cours boursiers, principalement de ceux des entreprises de la tech. En témoigne le cas d’Elon Musk.

Alors que le patron de Tesla et de SpaceX ne détenait « que » 24 milliards de dollars avant la crise sanitaire, sa fortune a décollé pour atteindre plus de 220 milliards de dollars en 2022. Soit un gain de 200 milliards de dollars en deux ans. A titre de comparaison, cela représente trois à quatre fois le budget annuel de l’Education nationale.

200 milliards en plus pour Elon Musk

La fortune de ces milliardaires étant très majoritairement composée des actions de leurs entreprises, la hausse importante des cours de bourse de la plupart des grandes firmes a fait grimper le patrimoine du cercle ultra-fermé de ces ultra-riches. La valorisation de Tesla a par exemple été multipliée par dix entre début 2020 et début 2022, et a doublé pour Amazon, faisant grimper d’autant la fortune de leurs principaux actionnaires : de Jeff Bezos à Elon Musk.

Cela est en partie une conséquence de l’injection par les gouvernements et banques centrales de milliers de milliards de dollars pour soutenir l’économie pendant la crise sanitaire, ce qui a eu pour répercussion de faire « grimper le prix des actifs et, par conséquent, les fortunes des plus riches », explique Oxfam.

« Si les gouvernements ont eu raison de soutenir leur économie pendant la crise, ils n’ont pour ainsi dire rien fait pour récupérer ensuite les fruits de ces mesures de relance auprès des plus riches », regrette l’ONG.

Le retournement de la politique monétaire début 2022 a ensuite réduit la valorisation de nombre de firmes, en particulier celles de la tech. Au niveau global, la fortune des milliardaires a donc connu un pic en 2021 et a diminué depuis. Elle reste cependant largement supérieure à son niveau de 2019, rappelle Oxfam.

Même corrigée de l’inflation, la fortune de la quarantaine de milliardaires français a crû de 59 % depuis 2020, soit 200 milliards d’euros en plus

Le patrimoine des patrons de la tech a connu un reflux, ce n’est en revanche pas le cas de l’ensemble des secteurs, à commencer par le luxe. Le rapport zoome notamment sur le cas emblématique du français Bernard Arnault. Ce dernier a vu la valeur de son patrimoine doubler entre début 2020 et fin 2022, passant de 85 à 179 milliards d’euros, le propulsant, selon les périodes, homme le plus riche au monde.

Conséquence logique des superprofits, le patron et propriétaire du transporteur CMA CGM, Rodolphe Saadé, a multiplié par cinq sa fortune. Avec 40 milliards d’euros, il monte sur la troisième marche du podium hexagonal, derrière l’héritière de L’Oréal Françoise Bettencourt mais devant le magnat du luxe François Pinault ou encore Vincent Bolloré.

« La France compte aujourd’hui 42 milliardaires dont six femmes. En dix ans, le nombre de milliardaires a été multiplié par trois, leur fortune a été multipliée par quatre », résume Oxfam se basant sur le classement du magazine Forbes. Même corrigée de l’inflation, la fortune de la quarantaine de milliardaires français a crû de 59 % depuis 2020, soit 200 milliards d’euros en plus.

Creusement des inégalités

L’ONG de lutte contre la pauvreté a ensuite comparé l’évolution du patrimoine des très (très) riches et ceux du reste de la population. Bilan : sur la période 2020-2021, 63 % des nouvelles richesses, ou plutôt de l’augmentation du patrimoine mondial, est le fait des 1 % des plus riches. Les 90 % les plus pauvres de la population, soit l’immense majorité, n’a capté que 10 %.

En parallèle de l’augmentation du patrimoine des plus riches, « l’année 2020 a marqué un tournant historique, avec la rupture d’un cycle de convergence mondiale des revenus », explique par ailleurs la Banque mondiale. « Les progrès accomplis dans la réduction de l’extrême pauvreté ont été stoppés », a ainsi regretté l’institution dans un rapport d’octobre dernier, notant que « les inégalités dans le monde ont augmenté pour la première fois depuis des décennies ».

Pour rédiger son rapport, l’ONG s’est basée sur les données du rapport annuel du Crédit suisse. S’agissant d’informations très récentes et mondiales, et comme tous les pays ne disposent évidemment pas des instituts statistiques permettant une remontée rapide de l’évolution du patrimoine de leur population, une partie des données d’Oxfam repose sur des estimations de prolongation de tendance. Autrement dit, ces données n’ont pas la robustesse de celles d’universitaires qui viennent documenter a posteriori les tendances d’évolution des inégalités.

« Un impôt allant jusqu’à 5 % sur la fortune des multimillionnaires et des milliardaires du monde entier pourrait rapporter 1 700 milliards de dollars par an, soit une somme suffisante pour sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté » – Oxfam

Le rapport d’Oxfam a cependant le mérite de montrer et d’illustrer chaque année la persistance d’un niveau élevé d’inégalités au niveau mondial. Un constat que ne démentent pas les travaux scientifiques publiés quelques années plus tard et assis sur des données plus robustes.

L’une des inquiétudes d’Oxfam repose aujourd’hui sur la méthode qu’emploient majoritairement les Etats pour régler la facture de la crise. « Il n’y a pas de grande vague de financement de la facture de la crise, cela passe plutôt par une diminution des dépenses des Etats, notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la protection sociale », regrette Quentin Parrinello d’Oxfam France.

« Un impôt allant jusqu’à 5 % sur la fortune des multimillionnaires et des milliardaires du monde entier pourrait rapporter 1 700 milliards de dollars par an, soit une somme suffisante pour sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté », estime l’organisation. Les mesures avancées par l’organisation ne sont pas nouvelles, mais donnent les ordres de grandeur de ce qu’autoriserait une plus grande imposition des plus riches. A Davos, l’ONG compte faire entendre le slogan : « taxer les riches ».