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nouvelobs.com par Louis Morice Publié le 22 décembre 2018 à 09h06

 

"Quand le système ne fonctionne plus, le RIC peut être une solution"

 

Abandonnés, oubliés, voire méprisés, les "gilets jaunes" mettent à jour la fracture politique qui s’est installée en France. Ces femmes et ces hommes refusent désormais de déléguer le pouvoir, ils veulent reprendre la parole et entendent la faire peser. Au cœur du mouvement a émergé une demande forte, profonde, l’instauration du référendum d’initiative citoyenne, le RIC. 

 

 

Ces citoyens en colère ne reconnaissent plus de légitimité aux élus et marquent une défiance croissante à l’égard des médias et des corps intermédiaires comme les syndicats. "Il ne s’agit pas d’un trou d’air mais d’une tendance structurelle, lourde, que l’on constate en France comme dans les pays voisins. Cela marque un certain épuisement de la démocratie représentative, d’où la forme paroxystique de ce mouvement de contestation", estime Yves Sintomer, politologue et professeur à l’université Paris-8.

Ces citoyens ne veulent plus être "convoqués" aux urnes et réclament de pouvoir prendre l’initiative : une participation directe pour une démocratie directe.

Le système ne fonctionne plus

Pour Yves Sintomer, nous sommes "dans un moment où les choses sont bloquées et le système ne fonctionne plus. Le référendum d’initiative citoyenne peut être une solution."

Cette demande n’est pas une surprise pour le politologue qui la voit émerger depuis longtemps sur les réseaux sociaux :

"Elle est venue sur le devant de la scène justement parce qu’elle incarne la possibilité de peser directement dans les décisions plutôt que de déléguer son pouvoir à des élus dont on n’a pas l’impression qu’ils écouteront ensuite leurs électeurs."

 

Jusqu'’à aujourd’hui en France, le référendum avait une vocation plébiscitaire. Le référendum d’initiative citoyenne inverse les choses et donne la décision à la base, comme cela se fait chez nos voisins helvètes. "Il n’y a aucune difficulté technique particulière à adapter les procédures suisses dans un pays comme la France", estime Yves Sintomer, "il faut bien entendu un contrôle de constitutionnalité avant qu’une initiative soit soumise à votation. Mais sinon, un système qui consiste à dire qu’environ 800.000 électeurs – une proportion équivalente en France à celle qui est requise en Suisse pour déclencher une initiative – permet d’engager un dialogue avec le Parlement qui peut même faire un contre-projet et soumettre au vote deux résolutions entre lesquelles les citoyens pourront trancher."

 

La réussite d’un tel système implique la mise en place de nombreuses votations afin que les citoyens votent bien sur les questions posées et non pour ou contre celui qui les pose, comme cela a pu se voir pour le Brexit.

Couplage avec une assemblée tirée au sort

Yves Sintomer va plus loin encore et imagine un couplage non seulement de la démocratie de type directe, celle du référendum, avec la démocratie représentative, qui implique des élections, mais aussi une démocratie participative et délibérative, à travers une assemblée citoyenne tirée au sort. "On en a un exemple concret dans l’Etat de l’Oregon, aux Etats-Unis, qui connaît l’initiative citoyenne, depuis un siècle, et qui a aujourd’hui décidé d’organiser un jury citoyen, tiré au sort. Entre le moment où les signatures sont récoltées et le moment où il y a votation, ce jury citoyen se réunit et son avis est envoyé à tous les citoyens avant qu’ils ne se prononcent. Cela permet d’introduire une dimension délibérative", explique-il.

Au-delà, une assemblée citoyenne tirée au sort pourrait proposer, comme cela s’est fait en Irlande au cours des dernières années, des transformations constitutionnelles. Elle pourrait aussi être amenée à intervenir sur les questions du long terme, comme le précise le politologue :

"Les générations futures ne votent pas. On pourrait demander à des citoyens tirés au sort et rémunérés pour les fonctions qu’ils occuperaient de façon plus ponctuelle que des élus, de se prononcer sur des projets de long terme qui concernent les générations futures, l’avenir de l’écosphère..."

 

On aurait alors une évolution institutionnelle avec un triptyque entre élections, tirages au sort, prises de décision directe par les citoyens : "On reviendrait à ce qui a fait le dynamisme et l’esprit de l’expérimentation démocratique en Europe, depuis les Grecs. A travers les siècles, on a vu ces différentes manières d’institutionnaliser la volonté populaire être à l’œuvre."