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Michel Richard - Où est passé le bon sens ?

CHRONIQUE. La fin annoncée du train « des primeurs » entre Perpignan et Rungis interroge, alors que l'urgence climatique se fait pressante. PAR MICHEL RICHARD

 

C'est l'histoire d'un train, mais tout autant une de ces fables dont on se serait bien passé. Toutes les nuits, donc, depuis quarante ans, ce train dit « des primeurs » effectue le trajet Perpignan-Rungis chargé de fruits et de légumes, soit 140 000 tonnes à l'année. Or, voilà qu'il est condamné à l'arrêt, à la voie de garage, à la casse. Ses wagons frigorifiques sont vieux, ils doivent être changés. Cela coûte de l'argent, forcément. Que personne, ni la SNCF fret ni les sociétés qui louent les wagons, ne veut dépenser : manque de visibilité à long terme et autres raisons compliquées que Le Figaro a très bien racontées cette semaine.

La solution la plus paresseuse s'impose : remplacer le fret ferroviaire par le transport routier. Le « train des primeurs » représente trente à trente-cinq semi-remorques (soit l'équivalent de 20 000 à 25 000 camions sur les routes par an) ? Qu'à cela ne tienne : que roulent donc ces gros bolides, qu'ils bouchonnent, qu'ils abîment les autoroutes et qu'ils polluent quinze fois plus de tonnes de CO2, paraît-il, que le transport ferroviaire.

On n'y croit pas ! Comment s'y résoudre quand pareille décision est un outrage au bon sens, un bras d'honneur à l'écologie la plus élémentaire et le contraire, enfin, de la politique affichée ? De fait, à la suite de l'alerte de cheminots et d'une pétition, le gouvernement réagit, stoppe la mise au rebut, prolonge de quelques mois l'exploitation de la ligne et somme la SNCF de lui faire une proposition en septembre. Depuis, les groupes de travail gambergent…

Une décision d'une évidente bêtise

Récapitulons : l'alerte a été donnée il y a trois ans. Il a fallu attendre la mise à mort pour s'en préoccuper. Le train des primeurs est d'une exploitation financièrement avantageuse par rapport à la route. On s'apprêtait donc à recourir à une solution qui n'avait que des inconvénients, écologiques et économiques. Enfin, il a fallu que le gouvernement intervienne, preuve qu'il doit décidément tout faire ! Là est la fable : comment, avec des arguments sûrement très sophistiqués, on arrive à prendre une décision d'une évidente bêtise aux yeux de tous, contre-productive et anti-pédagogique, joli résultat arrêté in extremis.

Pourquoi faire prendre la route à des fruits et légumes ? Pourquoi faire traverser l'Atlantique à des tonnes de viandes sud-américaines quand nous n'en manquons pas sur place ? Pourquoi le fret ferroviaire reste-t-il dans pareil piteux état depuis trente ans qu'on s'en afflige, tandis que les poids lourds sont à la queue leu leu pour traverser notre territoire ? On devine bien que les réponses sont plus compliquées que les questions. Mais les questions n'en sont pas moins bonnes, légitimes et pertinentes. À ne pas y répondre ou à y répondre mal, on délégitime la meilleure des causes, en l'occurrence celle qui nous est présentée comme une urgence climatique.

Publié le 07/07/19 à 08h00 | Source lepoint.fr