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Quand Nicolas Hulot voulait Emmanuel Macron comme Premier ministre

En juin 2016, l'écologiste se prépare pour l'élection présidentielle. Il compose même un gouvernement fictif dirigé par un certain... Emmanuel Macron.

Par Erwan Bruckert et Olivier Pérou Source Le Point Modifié le 31/08/2018

 

Emmanuel Macron et son desormais ex-ministre de la Transition ecologique Nicolas Hulot en septembre 2017.

Emmanuel Macron et son désormais ex-ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot en septembre 2017. 

Emmanuel Macron et Nicolas Hulot ont commencé leur histoire d'amour en mer – plus exactement sur la Seine – au printemps 2016, et tout était une question de tempo. Le premier, ministre de l'Économie, planche déjà sur la création d'un mouvement politique central, « pas à droite, pas à gauche », sur lequel il pourrait s'appuyer pour braquer l'Élysée. Il ne lui reste plus qu'à claquer la porte de Bercy au moment opportun... Le second, démissionnaire de son poste d'« envoyé spécial pour la protection de la planète » pour François Hollande, nourrit la même ambition, pour la troisième fois en dix ans : se présenter à l'élection présidentielle, cette fois-ci sans passer par une primaire, avec la certitude qu'EuropeÉcologie-Les-Verts se rangera derrière son seul nom. Le temps presse, l'écolo-vedette veut ficeler et annoncer sa candidature avant la rentrée 2016, si possible durant l'été... À la croisée de ces chemins menant au Château, flotte la péniche de Gérard Feldzer, où les deux hommes ont appris à s'apprécier. Mieux, à se vouloir.

« Un shadow cabinet »

Un peu moins de six kilomètres. Voilà la distance qui sépare le ministère de l'Économie et l'embarcation de l'aviateur et consultant en aéronautique, amarrée non loin de l'Assemblée nationale. Six kilomètres qu'Emmanuel Macron avalait grâce à la navette fluviale de Bercy ; celle-là même qu'il utilisera, le 30 août 2016, pour se rendre à l'Élysée afin de déposer sa démission sur le bureau de François Hollande. À plusieurs reprises – trois ou quatre selon les interlocuteurs – le jeune ambitieux, après s'être « garé » juste derrière la péniche fleurie, est entré pour saluer Nicolas Hulot et toute son équipe de campagne pour discuter de leurs aspirations.

Nous sommes alors en avril, mai et juin 2016. Nicolas Hulot et ses proches sont déjà en pleine préparation de candidature. Parfois, ils n'étaient pas moins de quarante « hulotistes » à se réunir en groupes thématiques autour de la grande table installée dans le séjour de la péniche, avec une vue imprenable sur le Palais-Bourbon. « Un vrai shadow cabinet », se rappelle le désormais député Mathieu Orphelin, dont le rôle est alors de concocter un programme présidentiel le plus sérieux et précis possible. On y trouve, pêle-mêle, des alliés historiques : l'eurodéputé et fondateur d'EELV Pascal Durand, le philosophe Dominique Bourg, le docteur en économie de l'environnement Alain Grandjean, la membre du Cese Anabelle Jaeger... mais aussi des figures plus connues des Français, comme le magistrat Marc Trévidic, l'écrivain Alexandre Jardin, ou l'ancien ministre et secrétaire général de l'Élysée Hubert Védrine. Les statuts du parti censé porté Nicolas Hulot s'écrivent à plusieurs mains, et l'idée d'une plateforme citoyenne et d'un financement participatif pour lever des fonds émerge...

« Si je deviens président, mon Premier ministre ce sera lui ! »

Tandis que l'équipe turbine, la garde rapprochée s'attelle à un tout autre exercice : coucher, sur papier, un gouvernement pour l'ancien animateur d'Ushuaïa s'il était élu. Au premier rang duquel, un Premier ministre. « Dès le début de cette histoire, je disais à Nicolas qu'il avait un déficit de légitimité pour enfiler le costume de président de la République, que je ne le voyais pas chef d'État, confie Gérard Feldzer alors bien parti pour devenir directeur de campagne. Il fallait donc désigner un chef de gouvernement très fort, et laisser le soin à Nicolas de donner le cap, les grandes orientations. »

Mais qui pour enfiler ce costume ? La question brûle les lèvres. « On pensait à Emmanuel Macron ! certifie Feldzer à plusieurs reprises. Nicolas était impressionné par Macron, par ce personnage jeune, volontaire, pragmatique et surtout qui pige au quart de tour. Et Macron trouvait que Nicolas avait une sensibilité sur la société, sur l'humain, ce qu'il n'a pas. C'est un banquier... » Hulot et ses lieutenants voient en Emmanuel Macron une figure centrale, compatible avec l'idée d'union nationale. Exactement ce qui le convaincra d'accepter un poste au sein du gouvernement un an plus tard.

Convaincre Macron

Un après-midi, alors que la troupe travaille sur la péniche, Emmanuel Macron toque à la porte. À peine l'a-t-il franchie que Nicolas Hulot lance devant à son équipe : « Si je deviens président, mon Premier ministre ce sera lui ! » « Nicolas a lancé ça comme une blague », nuance aujourd'hui Mathieu Orphelin. Ce n'est sans doute pas le moment pour le député LREM de mettre en porte-à-faux son mentor, quelques jours après que celui-ci a fait entendre aux Français que la politique libérale menée par Emmanuel Macron était incompatible avec le combat écologiste. Blague ou pas, Nicolas Hulot expose à Emmanuel Macron sa vision du pays et des réformes à mener : s'orienter vers une VIe République, limiter à deux les mandats dans le temps quels qu'ils soient, interdire l'élevage en batterie... Et, plus globalement, refonder le modèle français de production et de consommation : « L'idée était de convaincre Macron que l'écologie est capable de créer de la richesse et de l'emploi dans ce pays », résume Feldzer. Deux ans plus tard, Nicolas Hulot n'a semble-t-il toujours pas réussi...

Une fois le locataire de Matignon désigné, il s'agit de trouver les ministrables. L'équipe Hulot souhaite annoncer une première liste pendant la campagne présidentielle pour montrer la solidité du projet. « Un gouvernement de costauds, composé de figures de droite comme de gauche », confie un membre de la bande. Pour la Défense, il n'est pas nécessaire de se creuser les méninges : les hulotistes comptent renouveler le contrat de Jean-Yves Le Drian, qu'ils considèrent indéboulonnable. D'autant que les deux hommes s'apprécient mutuellement. Et parmi les éléphants politiques ciblés se trouve également Jean-Louis Borloo, ex-ministre de l'Écologie de Nicolas Sarkozy. « Nous l'avons vu à plusieurs reprises, lors de déjeuners. On pouvait compter sur Borloo, il était avec nous », assure Mathieu Orphelin, qui avait aussi sa place réservée dans un ministère, tout comme la fidèle Annabelle Jaeger, que Hulot voulait comme secrétaire d'État au début de la présidence Macron. Enfin, pour la Justice, le juge d'instruction Marc Trévidic tenait la corde. Statuts, programme, équipe de campagne, ministrables : plus que jamais, la campagne était lancée.

Et puis, tout s'est écroulé. En juin 2016, Gérard Feldzer, en route vers la préfecture de Paris pour déposer les statuts de l'association censée porter Nicolas Hulot à l'Élysée, reçoit un coup de fil de son champion : « Stop, on arrête. Je le sens pas ! Je le sens pas, l'équipe n'est pas assez structurée. Je dois être honnête. » L'aviateur, le dossier entre les mains, est abasourdi, et contraint de rebrousser chemin. « J'ai vraiment fait une connerie, j'aurais dû déposer ces foutus statuts. S'il avait vu les gens se ranger derrière lui après ça, il aurait peut-être changé d'avis », regrette Feldzer deux ans plus tard. Un autre ami donne une autre explication à ce revirement, complémentaire : « Il y avait déjà des rumeurs sur Nicolas [sur son rapport aux femmes, NDLR], et quand ça touche à sa vie privée, quand ça peut toucher sa famille, il panique ! » Dans l'équipe de campagne, on alterne entre tristesse et colère. Un intime se souvient de la réaction de Pascal Durand : « Il était furax, cassait des chaises. Il insultait Nicolas de tous les noms. » Tristesse et colère, sans doute ces mêmes sentiments qui ont, entre autres, poussé Nicolas Hulot à quitter un gouvernement dans lequel il ne s'est jamais senti à l'aise.