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Audrey Pulvar : « Sur la transition écologique, Macron est coincé dans l'ancien monde »

 

4e484db25064e4ef56f5e60bdcee33af.jpgGilets jaunes, fiscalité, transition écologique... L'ancienne journaliste devenue présidente de la Fondation pour la nature et l'homme se confie.PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER PÉROU

Il y a un peu plus d'un an, l'ancienne journaliste Audrey Pulvar prenait la tête de la Fondation pour la nature et l'homme (FNH), alors que Nicolas Hulot – son fondateur – choisissait le chemin des ors de la République. Son ambition ? Ne plus seulement constater la dégradation du climat, mais faire de l'ONG environnementale une force de propositions et d'alertes à l'attention du président de la République. Alors que ce dernier vient de dresser les grandes lignes de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), elle avoue sa déception. En effet, pour elle, Emmanuel Macron procrastine, voire n'écoute pas les recommandations des corps intermédiaires. Y compris avec la crise des Gilets jaunes...

Le discours sur le cap écologique d'Emmanuel Macron ne semble pas avoir convaincu les Gilets jaunes qui manifestent de nouveau samedi. Était-ce prévisible ?

Audrey Pulvar : Ce discours était prévu de longue date et il a été percuté par la mobilisation des Gilets jaunes. D'ailleurs, le chef de l'État s'est beaucoup adressé à eux face aux ONG qu'il recevait à l'Élysée. Au final, je crois qu'il y a un vrai problème de récit de la part du gouvernement. Cette colère, on l'a vu venir. Avant l'été, beaucoup ont alerté sur la nécessité de justice sociale quand on parle de fiscalité écologique, que ce soit certains députés mais aussi des ONG environnementales telle que la nôtre. Il fallait régler ce problème difficilement compréhensible : que la redistribution de la taxe carbone dans la transition écologique se voie. Or, cela n'a jamais été le cas et le gouvernement s'est contenté de répondre : « On le fait mais différemment, en faisant en sorte que la fiscalité carbone finance la baisse de celle du travail. » Mais c'est inaudible pour un Français qui gagne 1 200 à 1 500 euros et qui voit augmenter les prix des carburants. La réalité, c'est que ce sont la plupart des Gilets jaunes qui sont les premiers à subir les conséquences du réchauffement climatique en France. Ils sont issus des classes populaires et moyennes, ce sont des artisans ou de petits chefs d'entreprises – plutôt en bas de l'échelle des revenus, donc. Ce sont eux qui consomment le moins, qui se déplacent moins sauf à y être contraints et ont donc un impact moins fort sur l'environnement. Ils dégradent moins l'environnement, subissent les phénomènes climatiques, la précarité énergétique et la mauvaise qualité de l'air ; et en même temps ce sont eux à qui l'on demande un effort – la taxe carbone – qui n'est pas récompensé ni redistribué.

Est-ce une faute politique ou un manque de pédagogie ?

À la FNH, nous avons fait des tonnes de notes, de conférences de presse et d'alertes à l'attention du président de la République avant l'été. Nous avons dit au gouvernement que si la trajectoire de la taxe carbone était justifiée, les recettes liées à cette hausse – soit 30 milliards d'euros de recettes supplémentaires à l'échelle du quinquennat – devaient alors être plus affectées à la solidarité de la transition écologique. Toutes ces mesures – dédoublement du chèque énergie, les aides au changement de véhicule ou encore la multimodalité des transports – auraient dû être annoncées bien avant ! Il ne faut pas être devin pour comprendre que la situation serait aujourd'hui bien différente parce que les Français auraient eu le temps de faire des choix.

C'est donc le temps politique qui a créé cette crise ?

Oui. C'est l'attentisme du politique qui l'a provoquée. Le gouvernement n'a pas pris la mesure de cette nécessité impérative de la justice sociale et d'en faire un récit. Je crois que le gouvernement commence à se rendre compte de cette perte de temps. La loi mobilité prend en compte la déségrégation des territoires, c'est un bon signe.

« Quand on n'a pas d'alternatives pour se déplacer, ce n'est pas la liberté »

Estimez-vous donc qu'il y a une ségrégation entre les grandes villes et les ruralités en France ?

Évidemment. Il y a des territoires ruraux dans lesquels prendre la voiture pour se déplacer n'est pas un choix. Pourtant, combien de fois n'a-t-on pas expliqué que la voiture, c'était la liberté ? Quand on n'a pas d'alternatives pour se déplacer, ce n'est pas la liberté ! La liberté, c'est de pouvoir se déplacer qu'importe l'endroit où l'on vit et selon le moyen que l'on veut pour s'y rendre. La liberté, c'est d'avoir des moyens de transport multiples dans tous les endroits de la République. Or, le politique ne s'est pas engagé sur les infrastructures de transports quand l'étalement urbain a explosé et a fait que de plus en plus de Français se retrouvent loin de leur lieu de travail.

Revenons au discours d'Emmanuel Macron et à celui des Gilets jaunes. Le premier parle d'urgence écologique, les autres d'urgence des fins de mois. Deux priorités irréconciliables ?

Sur le très court terme, cela semble en effet très compliqué de les concilier. Tout est question de logiciel politique. L'une des raisons de la faible répercussion de la préoccupation écologique dans les urnes ces dernières années s'explique par le fait que les écologistes n'ont jamais réussi à convaincre les électeurs de la primauté de l'urgence climatique. Pourtant, si vous faites de l'écologie le socle des politiques publiques – afin d'irriguer l'ensemble des choix politiques, donc –, vous réglerez bien d'autres problèmes liés à l'urgence des fins de mois. Si la transition écologique était vraiment solidaire, alors Emmanuel Macron aurait convaincu bien plus de Français. C'est à travers la transformation de nos modes de vie et les solutions au réchauffement climatique que l'on va dégager de nouveaux emplois, une nouvelle sécurité alimentaire, une nouvelle sécurité intérieure, etc. Il faut inverser le prisme. Il ne faut pas se dire que le réchauffement est grave mais qu'il y a plus urgent à régler, mais que c'est en luttant contre lui que les solutions d'urgence seront trouvées. À 47 ans, je n'ai jamais entendu autre chose que « c'est la crise ». Mais a-t-on résolu le chômage de masse, la précarité ou le sentiment d'insécurité depuis le choc pétrolier du début des années 70 ? Non. Dans les transformations que nous portons, il y a des solutions. Quand le président de la République dit que la transition écologique coûte cher, il est coincé dans l'ancien monde. Ce n'est pas la transition qui est coûteuse, mais la non-transition. Le fait de ne rien faire, de ne pas agir. Et si on ne fait rien, ça coûtera de plus en plus cher.

Mais ne moralise-t-on pas trop les Français alors que cette question se joue à bien plus grande échelle, avec la Chine, les USA, l'Inde, etc. ?

Ça se joue à toutes les échelles. D'abord, j'évite de culpabiliser les gens sur la question de la transition écologique en faisant de la morale écolo. Je préfère responsabiliser. Tout le monde doit faire des efforts, rien ne repose uniquement sur le gouvernement et les chefs d'État européens, sur les entreprises, sur les collectivités locales ou uniquement sur les citoyens. Chacun doit faire sa part. Néanmoins, à la tête de la FNH, j'ai pu constater quasi quotidiennement à quel point les citoyens s'engageaient déjà via l'économie sociale et solidaire, via les marches pour le climat, etc. Il y a une volonté d'engagement de la part des Français. Et pas uniquement les hipsters en vélo du 11e arrondissement de Paris  ! Il y a aussi des Gilets jaunes qui sont acteurs, à leur niveau. Les collectivités locales et les entreprises commencent à prendre leur responsabilité. Ces dernières ne font pas tout parfaitement, c'est vrai, mais il y a des actes. Ce qui nous manque cruellement en Europe, c'est la décision politique. À la décharge d'Emmanuel Macron – lui qui a eu un tel alignement des planètes pour accéder au pouvoir –, il a joué de malchance une fois élu avec la chute d'Angela Merkel. Même si je suis persuadée qu'il n'est pas un écologiste convaincu, il avait des intentions fortes d'initiatives conjointes avec l'Allemagne sur ces sujets, notamment sur la régulation du commerce international et la fixation d'une taxe sur les transactions financières. Mais les mauvais résultats de la chancelière allemande ont coupé l'élan d'Emmanuel Macron dans une certaine mesure.

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Parmi les multiples revendications des Gilets jaunes, certains demandent à ce que le gouvernement s'engage plus sur la voiture à hydrogène plutôt que l'électrique, car cette dernière polluerait plus. Vous signez ?

La voiture à hydrogène, il faut quand même la recharger. Si c'est via de l'énergie nucléaire ou du charbon, on ne règle pas le problème. Il faut aussi la produire. Bref, il faut bien comprendre qu'il n'y a aucune solution miracle. On ne peut pas ne pas polluer, quelle que soit la super voiture que l'on inventera. La seule solution pour ne pas polluer, c'est d'utiliser nos deux pieds. Et c'est impossible dans bien des situations. Il faut donc passer par une phase de sobriété et de désenclavement des territoires. On ne dit pas de faire disparaître la voiture, mais de réduire sa place grâce aux plateformes multimodales. À commencer par le faire dans les villes et le périurbain où l'on n'est pas encore à la hauteur. Cela n'a aucun sens de remplacer l'ensemble du parc thermique par de l'électrique. Ce sera la destruction assurée d'autres types de ressources. Il en sera de même si l'on ne met que de l'hydrogène dans le parc automobile français. Non, il faut imaginer d'autres façons de se mouvoir, d'autres types de transports collectifs et mettre du véhicule dans les segments où l'on ne peut s'en passer. Il faut bien comprendre une chose : le véhicule propre n'existe pas ! Même votre vélo, il faut le produire, et quand vous entrez dans un processus industriel de production, vous générez de la pollution.

Dans son discours, Emmanuel Macron a dressé les grandes lignes de la future programmation pluriannuelle de l'énergie. Elle vous déçoit ?

C'est de la procrastination. Emmanuel Macron ne fait que reculer l'échéance alors que nous ne cessons de rappeler que nous sommes dans l'urgence. Lui-même utilise ce terme, d'ailleurs ! Il fait passer un objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique en 2025 –qui a été fixé dans la loi ! – à 2035. Pourtant, le Réseau de transport d'électricité (RTE), qui est loin d'être un affreux gauchiste bobo et « peace and love », a fait plusieurs scénarios qui démontrent que l'on pouvait descendre à 50 % de nucléaire dès 2030 en fermant plus de réacteurs et en boostant les énergies renouvelables ! Emmanuel Macron dit également que le nucléaire est une énergie à bas coût. C'est faux ! Il suffit de voir combien de milliards d'euros ont déjà coûté le chantier de l'EPR à Flamanville ou les milliards mobilisés pour sécuriser les centrales actuelles. Le nucléaire coûte cher, très cher. Cela pèse sur les dépenses publiques et donc sur la fiscalité des Français. Le chef de l'État sous-entend également qu'avec l'arrivée des voitures électriques, il faudra assurer l'indépendance énergétique de la France en poursuivant une stratégie nucléaire. Là aussi, les recommandations de RTE et de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) démontrent qu'il y aura nécessairement une baisse drastique de la demande en électricité sur une partie du continent européen de par les changements des modes de vie et la sobriété énergétique à venir. En clair, les choix d'Emmanuel Macron pourront faire en sorte que la France sera en surproduction mais ne pourra vendre ce qu'il y a en trop à ses voisins qui n'en auront plus besoin. Avec pour conséquence l'effondrement du marché de l'électricité et donc les entreprises qui se seront engagées dans les énergies renouvelables ne seront pas viables. C'est un cercle vicieux.

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Mais fermer des réacteurs, n'est-ce pas aussi mettre des salariés d'EDF sur le carreau ?

C'est justement ce que je disais un peu plus tôt : c'est la non-transition qui coûte cher. Il faut aider ces salariés, les accompagner dans la requalification sans attendre le jour où les centrales fermeront. Tout ça se prépare dès aujourd'hui.

Emmanuel Macron est-il selon vous dans la non-transition ? Il a pourtant eu des mots forts dans son discours, comme l'objectif d'une « France totalement décarbonée en 2050 ».

Il est en tout cas toujours dans la politique des petits pas. Quant à la France totalement décarbonée dans 32 ans, on n'en prend pas le chemin. Le Premier ministre l'a dit aux ONG : ils ne veulent pas passer par la contrainte et ne veut pas fixer d'échéance. On est dans la politique attentiste.

Où vous sentez-vous la plus influente : en tant que journaliste ou à la tête d'une ONG ?

La FNH ne m'a pas attendue pour avoir de l'influence, mais en tant que présidente, je me sens plus utile...

Et en politique, vous pourriez vous sentir utile ?

Non, je ne le crois pas pour l'instant.

Pourriez-vous redevenir journaliste ou votre image est aujourd'hui trop marquée par vos engagements ?

On m'a assez reproché dans ma carrière de flirter avec les limites de la neutralité. J'ai fait mon travail pendant 25 ans avec la plus grande honnêteté possible. Quand j'ai senti que ce n'était plus faisable, je me suis retirée. J'ai quitté ce métier que j'aimais tant. Personne ne m'a demandé de partir du monde du journalisme, mais je suis partie parce que je considérais que je ne pouvais plus faire mon métier de journaliste politique tout en étant à la présidence de la FNH. Maintenant, le métier de journaliste existe en moi et je peux en tout cas dire que je ne serai plus jamais journaliste politique...

Publié le 01/12/18 à 08h30 | Source lepoint.fr