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1944, LA FRANCE SOUS LES BOMBES

Par Fig Data Publié le 5 juin 2019

Overlord - nom de code donné par les Alliés au Débarquement du 6 juin 1944 - la plus importante opération amphibie jamais menée au cours de l'Histoire, ne s'est pas uniquement jouée sur les plages de Normandie. Les bombardements aériens menés avant et après le D-Day, ont fait partie intégrante de la stratégie de reconquête de l'Europe. Un aspect quelque peu passé sous silence après la Libération et mis sur le compte d'un mal nécessaire. La publication récente par le ministère de la Défense d'une base de données sur le sujet révèle l'ampleur de ces opérations, qui ont coûté la vie à plus de 50.000 Français entre 1940 et 1945.

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Vue aérienne du débarquement à Sword Beach (Hermanville). CR : Conseil régional de Basse-Normandie / National Archives USA

«Bombarder en ami». C'est toute la complexité de la position des Britanniques et Américains quand ils larguent leurs bombes au-dessus de la France. Car si l'action du général de Gaulle à Londres offre à la France d'être considérée comme alliée, son territoire n'en est pas moins occupé. De plus, la doctrine du bombardement stratégique qui s'applique majoritairement pendant la guerre, ne considère pas uniquement comme cibles les armes engagées sur le champ de bataille, mais bien tous les éléments qui permettent à l'ennemi de faire la guerre, comme les industries, réseaux de communication et de transports y compris en zone urbaine.

516 635 tonnes de bombes sont ainsi déversées sur l'Hexagone par les Alliés entre 1939 et 1945. 80% l'ont été sur la seule année de 1944, et ont provoqué la mort de plus de 40.000 personnes. Aucune région ne fut épargnée, même si certaines comme le Nord et la Normandie furent plus lourdement touchées. Les visualisations ci-dessous, si elles ne peuvent être considérées comme exhaustives compte tenu des limites propres à l'exercice historique, offre un regard inédit sur ce qu'ont pu vivre les Français sous un ciel en guerre.

Préparer le Jour J : les objectifs d'avant le 6 juin

«Le concept d'Overlord a été basé sur la supposition que notre puissance aérienne écrasante serait utilisée pour préparer la voie à l'assaut. Si ses mains s'en trouvaient à être liées, les périls d'une entreprise déjà hasardeuse seraient fortement renforcés.»C'est en ces termes que le général Eisenhower, commandant-en-chef des forces alliées pour le Débarquement, décrit en mai 1944 le rôle essentiel dévolu à l'aviation dans l'opération qui se prépare. Il a établi deux objectifs principaux pour ses bombardiers lourds.

Tout d'abord, la destruction du système ferroviaire français : lignes, ponts, triages, mais aussi voies de garages, ateliers de réparations, machines elles-mêmes.«Le but est de paralyser les infrastructures et retarder autant que possible l'arrivée des renforts allemands sur le front durant les 24 à 48 premières heures cruciales suivant le Débarquement» explique Andrew Knapp, historien britannique et auteur de Les Français sous les bombes alliées, 1940-1945 aux éditions Tallandier. 70 nœuds, répartis sur tout le territoire, sont visés pour ce «Plan transport». La précision limitée de ces bombardements entraîne de nombreuses victimes civiles, comme à Marseille le 27 mai 1944 où 1750 habitants sont tués aux alentours de la gare.

«Transformer les villes en champs de ruines»

 

Est ensuite engagée la démolition d'un certain nombre de villes normandes carrefours (Saint-Lô, Caen…) «pour les transformer en champs de ruines difficiles à franchir pour les troupes allemandes»poursuit Andrew Knapp. Cette stratégie perdurera après le débarquement, conduisant par exemple à la destruction à 75% de la ville de Lisieux (Calvados). Le Nord-Pas-de-Calais constitue également une zone très bombardée. D'importantes forces et installations de défenses y sont localisées, car les Allemands ont longtemps été persuadés que le débarquement allié se fera par cette côte. Les Alliés veulent à tout prix maintenir cette illusion et entre janvier et mai 1944, plus d'un tiers des opérations recensées ont d'ailleurs lieu dans cette région.

De fait, les missions s'intensifient début 1944. La base de données THOR recense 5343 missions rien que sur le sol français pour les cinq premiers mois de l'année, soit quasiment autant que depuis 1939.

Un cercle correspond à une mission de bombardement, et est proportionnel au tonnes de bombes larguées sur la cible, référencées dans la base de données THOR. Les plus petits points correspondent à une dizaine de tonnes, et jusqu'à plusieurs milliers (3450 par exemple pour Toulon le 29 avril 1944).

 

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Tonnes de bombes cumulées

 

 

Juin 1944, la campagne de Normandie

Dans la nuit du 5 au 6 juin, plus de 2000 bombardiers sont engagés au-dessus de la Manche. Ils doivent détruire les batteries côtières et bombarder les plages afin de permettre aux troupes de progresser en profitant des couverts creusés par les cratères de bombes. À Omaha Beach, les bombardiers, dont la visibilité est entravée par le brouillard artificiel déployée par la marine alliée, manquent une grande partie de leurs objectifs. Les troupes débarquent face à des positions allemandes quasiment intactes. Avec le désastre que l'on connaît désormais: 90% de la première vague d'assaut neutralisée, 1000 tués, 2000 blessés ou disparus.

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Lisieux après les bombardements de juin 1944. CR Médiathèque de Lisieux

La Normandie est pour l'heure, le cœur de la bataille : 87% des missions réalisées le 6 juin sur l'ensemble de l'Europe et de la Méditerranée ont lieu sur le Cotentin et dans la Manche. 19.032 tonnes de bombes sont déversées. 380 sur Caen, 1098 sur Arromanches, 1098 sur Vire, 875 sur Argentan, 730 à Saint Lô, 699 à Falaise, 366 à Port en Bessin, 324 à Longues… Soit 13 tonnes de bombes à la minute.

A partir du lendemain, 7 juin, les bombardements reprennent sur des zones plus larges, notamment au sud de la Normandie pour couper la route aux renforts et perturber les voies de communication.

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Tonnes de bombes cumulées

 

 

Juillet, août, septembre, libérer le territoire

«Après le Débarquement, les bombardements continuent, en appui des forces terrestres»poursuit Andrew Knapp.«Ils jouent un rôle équivalent à celui de l'artillerie lors de la première guerre mondiale, qui pilonnait massivement avant les attaques.» Avec un succès en demi-teinte.«Un de ces bombardements, à Saint-Lô, le 25 juillet 1944, a été exploité rapidement pour permettre la percée d'Avranches, qui fut décisive. Sur Caen ou au Havre du 5 au 12 septembre 1944, les effets ont été très limités.»

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Bombardement à Angoulême, 19 août 1944. CR : US Air Force

Les ports de l'Atlantique, déjà lourdement bombardés en 1942-1943, continuent d'être spécifiquement pris d'assaut par l'aviation. Saint-Malo, Boulogne, Brest, Saint -Nazaire, Lorient, Royan sont dévastés à plus de 80%. Brest reçoit ainsi 2430 tonnes à partir de 11 août. Après septembre 1944, les efforts se concentrent sur l'Allemagne, dans le but d'accélérer la reddition. Le dernier bombardement d'importance sera celui de la poche de Royan, en avril 1945.

30 août 1944

 

Tonnes de bombes larguées
Brest
Dunkerque
Paris
Marseille
Caen

 

75 ans après les faits, la question de l'efficacité de ces bombardements massifs continue de se poser. Notamment au sujet de la destruction des villes normandes. «Le bombardement de ces villes carrefours représente probablement l'un des aspects les plus inutiles des bombardements de guerre» souligne Andrew Knapp. «Les renforts allemands ont trouvé moyen de contourner l'obstacle somme toute assez rapidement, les pertes civiles ont été considérables et quand les Alliés sont arrivés dans les villes, ils ont eux aussi pâti de ces destructions.»

Sources et méthodologie

  • Sources : Département de la Défense américaine, Andrew Knapp " La France sous les bombes alliées, 1940-1945 ", éditions Tallandier.
  • les rapports de missions de bombardements réalisées par les forces alliées (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud) lors de la seconde guerre mondiale. Ces rapports sont issus de The United States Strategic Bombing Survey et de l'US Army Air Forces Evaluation Board, ainsi que des rapports individuels. Elle a été établie à l'initiative du Lieutenant-Colonel Jenns Roberstone. Une entrée correspond à une mission, comprenant un nombre varié de bombardiers. La base de données ne saurait être considérée comme exhaustive. Les tonnes sont des tonnes courtes (unités de mesure américaine). Les chiffres, hors ceux calculés directement à partir de la base de données THOR, sont issus de l'ouvrage d'Andrew Knapp. Les tonnes de bombes cumulées le sont sur des hexagones d'un rayon de 10 kilomètres.