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Le Goncourt de poésie Jean-Michel Maulpoix condamné pour avoir frappé sa femme

Le 13 février dernier, le poète et critique Jean-Michel Maulpoix comparaissait à Strasbourg au côté de son épouse pour « violences réciproques sur conjoint ». Contre l’avis du procureur, elle a été relaxée et lui condamné à dix-huit mois de prison avec sursis. Il n’y aura pas de procès en appel.

Sarah Brethes

27 février 2024 à 09h35

 

Mise en garde

Cet article fait état de violences conjugales.

« J’ai« J’ai traité des centaines de dossiers de violences conjugales. Mais les photos qu’on voit dans le dossier, là, pour moi, c’est la première fois. » Au tribunal judiciaire de Strasbourg, mardi 13 février, le procureur s’est ému des nombreux clichés pris entre 2017 et 2022 par Laure Helms avec son téléphone. Un œil au beurre noir, des hématomes sur ses épaules, ses bras, ses cuisses, ses fesses, son thorax. « Ce sont des traces de coups de poing », conclura le magistrat. Les photos prises par la femme de ce poète qui a obtenu le prix Goncourt en 2022 pour l’ensemble de son œuvre montrent aussi des touffes de cheveux arrachées, un lobe meurtri par une boucle d’oreille violemment tirée, des vêtements déchirés.

Pourtant, à l’issue de l’audience où il a requis dix-huit mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’indemnisation pour le préjudice infligé à son épouse par Jean-Michel Maulpoix, 71 ans, le procureur a aussi demandé six mois avec sursis contre Laure Helms, 46 ans, professeure de littérature en classes préparatoires. « C’est lamentable. Difficile de comprendre qu’un couple avec un tel statut social se livre à de telles abjections », a-t-il estimé.

Car le poète et critique parmi les plus respectés du milieu littéraire français avait, lui aussi, fourni à la police des photos attestant de griffures aux bras, au visage, et d'un bleu sous l’aisselle, et affirmé être également victime d’agressions physiques et d’humiliations de la part de son épouse, qu’il estime être « à l’origine » des violences qu’il lui a infligées.

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Jean-Michel Maulpoix à Paris, le 14 juin 2022. © Photo Alexandre Marchi / L’Est républicain via MAXPPP

Au terme de trois heures d’audience dessinant une vie de couple faite de crachats au visage, de hurlements, d’insultes, de coups et de menaces, l’interprétation du parquet a été balayée par le tribunal. Les juges ont en effet estimé que Laure Helms était l’unique victime et que son mari n’avait subi que des « blessures de défense »

Selon nos informations, au terme du délai de dix jours prévu par la loi, ni le parquet ni Jean-Michel Maulpoix n’ont fait appel de la décision du tribunal, qui est donc désormais définitive.

Il est vrai que certaines de ses déclarations ont accablé le septuagénaire : « Je faisais toujours attention autant que je le pouvais à ne pas mettre ma femme en danger », a-t-il ainsi osé à la barre, en reconnaissant les coups donnés à son épouse. « Attention aux mots que vous employez, monsieur », a bondi la présidente du tribunal, insistant à la fin du procès sur « la gravité particulière des faits » qui lui étaient reprochés.

Quatre mains courantes

Jean-Michel Maulpoix et Laure Helms, aujourd’hui parents de deux adolescents, se rencontrent en 2001. Lui a 49 ans, est professeur des universités, a publié plusieurs livres et jouit d’une solide position dans le milieu littéraire. Elle a 24 ans, est son étudiante et débute une thèse. Si les violences jugées par le tribunal judiciaire couraient sur une période allant de 2020 à 2023, elle affirme qu’elles ont commencé peu après le début de leur relation.

Un épisode éloquent, reconnu par son mari face à la police, a ainsi été convoqué lors du procès : un jour de 2003, il découvre des lettres que sa femme a conservées de son ancien petit ami. Fou de jalousie, il lui aurait asséné un coup de poing au visage et arraché des touffes de cheveux. Laure Helms dit aussi qu’alors qu’elle était enceinte de quatre mois, quelques années plus tard, il lui aurait porté plusieurs coups de poing dans le ventre, lui intimant : « Suicide-toi. »

Entre 2017 et 2022, elle fera constater à plusieurs reprises ses blessures par des médecins et déposera quatre mains courantes évoquant des coups de pied, de poing ou encore des « étranglements », versés à l’enquête judiciaire dont Mediapart a pu consulter le contenu. Sans jamais « réussir » à déposer plainte – « J’ai honte d’être ici, j’ai peur de changer le quotidien de mes enfants », dit-elle à une policière qui essaye de la convaincre en 2017.

Autre détail significatif livré lors du procès : en 2022, Laure Helms consulte une sage-femme à laquelle elle confie s’uriner dessus quand son mari l’agresse. La soignante ne constate aucun problème fonctionnel et conclut que cela peut être un réflexe lié à la peur. « Quand il voyait mon pantalon souillé, parce que ce n’était pas beau à voir, il repartait de plus belle », a-t-elle dit à la barre.

Malgré les hurlements fréquents, les voisins ne sont jamais intervenus. Auditionnés par la police, certains qualifient simplement le couple de « gueulards », notamment l’épouse, que plusieurs d’entre eux affirment avoir souvent entendue crier sur ses enfants ou son mari.

Lors de l’audience, Laure Helms leur a reproché leur passivité : « Les voisins sont fascinés par mon mari. Il a eu l’habileté d’écrire un livre, “Rue des fleurs”, qui est la rue où nous vivons. Les voisins sont en pâmoison devant lui. Ils lui vouent une admiration incroyable. »

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Montage des photos des blessures de Laure Helms. © Sébastien Calvet / Mediapart

C’est finalement l’une des sœurs de l’enseignante qui fait un signalement en septembre 2023 via la plateforme internet de la police dédiée aux violences envers les femmes, après avoir été contactée par un des collègues de la professeure, très inquiet.

Comme plusieurs membres de la famille et collègues de Laure, sa sœur explique voir depuis des années les bleus et les humiliations, et dit craindre pour la vie de sa sœur, qu’elle estime « épuisée psychiquement et physiquement » et « sous emprise » d’un mari beaucoup plus âgé et qui jouit d’une certaine notoriété – poète, critique littéraire et universitaire reconnu, Jean-Michel Maulpoix a présidé la Maison des écrivains, à Paris, et assumé des fonctions au sein du Centre national du livre. À la police, les proches de Laure Helms racontent que la victime les avait « suppliés de ne rien dire » et décrivent une « femme éteinte » qui « a perdu toute estime d’elle-même ».

Jean-Michel Maulpoix ayant lui aussi déposé une main courante pour dénoncer les violences de sa femme, les deux époux sont placés en garde à vue, entendus et confrontés.

« Je vais te buter »

Lors de son audition, Laure Helms raconte, comme elle l’a fait au procès, les coups, les insultes, le dénigrement : « Petite prof de khâgne de merde », « Grosse salope », « Panzer Division » (raillerie en référence à ses origines alsaciennes). Les menaces aussi : « Je ruinerai ta carrière », « Si je coule, tu couleras avec moi », « Je vais te buter, connasse. » « Lamentable » et « regrettable », a reconnu le poète lors du procès. Elle parle aussi longuement de sa « jalousie ».

Un enregistrement et une vidéo ont aussi été transmis à la police par l’enseignante. « Dès que tu ouvres la bouche, je pète les plombs, paf ! », « à ta place, je me poserais des questions », dit Jean-Michel Maulpoix sur l’enregistrement. Sur la vidéo, on le voit mettre un coup de pied dans sa direction, alors qu’elle gémit, allongée au sol, et proférer des insultes : « Bien fait pour ta sale gueule de pauvre pute », puis « Elle a ses vapeurs », sur un ton ironique.

Un jour, il m’a enfoncé une paire de ses chaussettes sales dans la bouche en disant : “Ah, elles puent bien mes chaussettes, hein ?

Laure Helms, à son procès

Lui décrit aux policiers « une relation passionnelle » et « des disputes puis des scènes très violentes qui se sont aggravées ces deux dernières années ». « Elle ferait péter les plombs à un moine zen », se défend-il, reconnaissant « des bousculades » et « l’avoir giflée ». Il parle de « violences réciproques », dont il « n’est pas l’instigateur ».

Mari et femme sont ensuite entendus lors d’une confrontation. Jean-Michel Maulpoix reconnaît qu’il « lui est arrivé » de donner « un coup de poing dans le gras de l’épaule » ou « un coup de genou lors d’une dispute qui finissait au sol ».

Il prononce plusieurs phrases troublantes : « Si je lui dis que je vais la buter, ça ne veut pas dire que je veux prendre un couteau et la tuer. Je ne l’ai jamais envoyée à l’hôpital malgré ces années de disputes et d’échanges musclés. […] J’ai toujours fait attention à ne pas lui faire de mal, de ne pas aller trop loin. » Ou encore, à propos de leur relation : « C’est un mélange amour-haine, j’y ai trouvé une énergie. Si ça a duré aussi longtemps, c’est que cette masse négative générait du positif. »

De son côté, son épouse admet des insultes mais refuse de parler de « violences réciproques », expliquant s’être seulement défendue : « Je ne pense pas qu’on puisse parler de pugilat quand on se fait frapper », répond-elle aux policiers par allusion aux termes employés par son époux. Elle sera tout de même poursuivie pour « violences » sur son mari.

Au tribunal, elle s’est justifiée, en pleurs, de ces violences dont elle était accusée :« Un jour, il m’a enfoncé une paire de ses chaussettes sales dans la bouche en disant : “Ah, elles puent bien mes chaussettes, hein ?” Qu’est-ce que j’aurais dû faire, les avaler ? Je me suis défendue. »

Elle a aussi dû répondre à l’éternelle question de savoir pourquoi elle n’est pas partie plus tôt. « À force d’être humiliée, humiliée, humiliée pendant si longtemps, on perd toute confiance en soi. Et on se dit que partir, ça nous semble insurmontable », a-t-elle expliqué.  

J’ai l’impression d’avoir été l’otage d’un débat de société sur les violences sexistes et sexuelles. Je ne crois pas avoir jamais exercé de domination.

Jean-Michel Maulpoix

De son côté, Jean-Michel Maulpoix a revendiqué, entre deux références littéraires, des contacts « haut placés, proches de Villepin » ayant intercédé en faveur de sa femme, preuve selon lui qu’il était aidant avec elle.

Sollicité par Mediapart à l’issue du procès, il explique « éprouver un profond sentiment d’injustice » après sa condamnation. « Il ne fait pas bon faire preuve d’honnêteté et dire la vérité, le mensonge paye plus devant un tribunal. Ça me rappelle des propos de Quatennens qui disait que le message envoyé par la justice, c’est : “Niez !” », a-t-il réagi auprès de Mediapart. « J’ai le sentiment de ne pas avoir pu faire entendre ma vérité : même si on m’a insulté, pincé, mordu, je n’aurais pas dû répondre, car je suis un homme », déplore-t-il.  

L’universitaire désormais retraité l’affirme : « Les violences de la part de ma femme sont au moins aussi nombreuses et aussi dures. Surtout depuis que j’ai été diagnostiqué parkinsonien, elle m’a traité comme un sous-homme. » « J’ai l’impression d’avoir été l’otage d’un débat de société sur les violences sexistes et sexuelles. Je ne crois pas avoir jamais exercé de domination, revendique-t-il. Je ne suis pas DSK, je ne suis pas Depardieu ! »

Sollicitée également, Laure Helms dit quant à elle son « soulagement » d’avoir été relaxée et reconnue comme unique victime. Elle explique commencer seulement maintenant à prendre conscience de ce qu’elle a subi, elle qui n’avait jamais réussi à déposer une plainte. « J’admirais tellement Jean-Michel au début de notre relation que j’étais incapable de recul critique, ce qui m’a conduite à accepter ce que je n’aurais pas dû tolérer, décrit-elle. J’étais certes majeure et en âge de faire des choix, je le sais bien, mais cet écart d’âge et de situation a joué un rôle dans la relation d’emprise qui s’est progressivement mise en place. Monsieur m’a souvent rappelé qu’il pouvait me détruire, briser ma carrière, qu’il était un écrivain connu et moi une petite prof. Il connaissait de fait beaucoup de monde dans les “hautes sphères”, comme on dit. »

En dépit du jugement, Laure Helms dit aussi et surtout ressentir aujourd’hui un « très grand sentiment de culpabilité de ne pas être partie », vis-à-vis d’elle-même et de ses enfants.