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Steve Bannon : «L’élection européenne sera un tremblement de terre»

Alexandre Sulzer

L’ancien conseiller spécial de Donald Trump, qui veut fédérer les populistes européens, répond au Parisien.

 

Veste noire sur chemise noire, affable, Steve Bannon reçoit Le Parisien dans sa suite au très chic hôtel Bristol. C’est ici que le porte-parole des classes populaires en colère a posé ses valises pour quelques jours. À deux pas de l’Élysée et d’Emmanuel Macron qu’il a désormais dans le viseur. Sur sa table basse, le Financial Times et une canette de boisson énergisante. L’ancien conseiller spécial de Donald Trump ne se ménage pas pour attiser les flammes du populisme en Europe après avoir embrasé le continent américain.

Pourquoi êtes-vous à Paris ?

 

STEVE BANNON. Parce que de toutes les élections qui auront lieu le week-end prochain en Europe, y compris au Royaume-Uni avec Nigel Farage et son Brexit Party, c’est de loin, ici, en France, la plus importante. Pas de doute.

Pourquoi ?

Si vous remontez le temps, à l’été 2016, il y a eu le vote sur le Brexit, et puis la victoire de Trump. Mais en mai 2017, il y a pile deux ans, Macron a remporté une grande victoire sur Le Pen. Il l’a fait avec un positionnement mondialiste. Le mouvement populiste d’insurrection a été stoppé net par Macron, qui a été choisi par le « système ». La révolte nationale populiste semblait finie. Mais le week-end prochain, vous aurez une situation où Matteo Salvini, Marine Le Pen et Nigel Farage peuvent être à la tête de trois des quatre plus gros partis présents au Parlement européen. Tout a changé en deux ans. C’est pour cela que la France est si importante : je ne suis pas un fan de Macron mais il adhère à ce qu’il dit. Son discours de septembre 2017 à la Sorbonne était la conclusion logique du projet européen de Jean Monnet. Il veut les États-Unis d’Europe et a, de fait, pris la tête de la liste Renaissance : il n’y a même pas le visage de la tête de liste sur ses affiches ! C’est un référendum sur lui et sa vision pour l’Europe.

Il s’agit donc d’une revanche ?

Ne pensez pas cela ! Mais avec Salvini, Le Pen et Orban, il y a désormais une alternative structurée. Le Pen a raison : la politique n’est plus structurée entre droite et gauche mais entre ceux qui pensent que l’État-nation doit être dépassé et ceux qui pensent que c’est un bijou. Donc la semaine prochaine, les gens auront un vrai choix.

Pourquoi n’allez-vous pas à Milan (au rassemblement populiste de Salvini ce samedi) alors ?

Je voulais y aller mais vu comme les choses se déroulent en France, je serai plus utile ici où j’interviendrai dans les médias pour parler du RN. À Milan, les gens verront le potentiel d’un super-groupe, la possibilité de voir se réunir des voix qui étaient divisées dans différents groupes du Parlement européen. Tous ces gens à Milan ont beaucoup en commun. Peut-être plus en réalité que ceux qui soutiennent les États-Unis d’Europe. Parce que, eux, je ne les vois pas se réunir dans un grand rassemblement. L’élection européenne sera un tremblement de terre.

Mais tous ne sont pas unis. Viktor Orban par exemple, ne sera pas à Milan et il a même dit ne pas vouloir travailler avec Marine Le Pen…

D’autres ne seront pas là : ni Farage, ni Vox, mais c’est juste un goût et une préfiguration de ce qui se passera ensuite. Vous serez surpris de voir qu’ils peuvent travailler ensemble.

Il y a une polémique en France sur vos liens avec le RN. Leur avez-vous donné de l’argent ?

Non, pas du tout. Je n’ai jamais donné de capital et personne ne m’en jamais demandé. Je suis un conseiller informel, je ne me fais pas payer. Même avec Trump, j’étais bénévole. Ce que je fais en revanche, c’est faire des observations à certains partis et donner des conseils sur la levée de fonds. Vous savez, je suis un ancien banquier d’affaires chez Goldman Sachs. La clé, pour moi, est de s’adresser à sa propre base. Ce qui est déterminant, c’est le nombre de petits donneurs.

Quelles observations avez-vous faites au RN ?

Mon rôle est de faire des connexions, de donner des conseils généraux. Je leur ai par exemple soufflé l’idée que Macron organisait un référendum sur lui-même. Ils le savaient déjà, mais je leur en ai parlé.

Marine Le Pen a déjà échoué deux fois à la présidentielle. Ne ferait-elle pas mieux d’arrêter, comme elle aurait dû le faire aux États-Unis ?

Absolument pas. Ce qu’elle a fait est extraordinaire, elle a fait preuve de plus de résilience que n’importe quel autre politique. La chose la plus dure dans la vie est de se prendre un coup et de se relever. Elle a changé le nom du FN en RN, elle a changé de position sur l’économie, elle s’est « rebrandée » (NDLR : elle a redoré sa propre marque). C’est assez extraordinaire.

Il faut la majorité des voix en France pour être élue président. Le RN peut l’obtenir ?

Tout à fait, dans les deux années à venir, s’ils restent sur cette lancée…

Avec Marine Le Pen ou sa nièce, Marion Maréchal ?

Marion est fantastique, je pense qu’elle est l’une des personnes les plus importantes sur le plan mondial mais elle a dédié sa vie, pour quelques années, à créer son école. Et je pense que cette école aura un impact énorme. J’en ai une aussi en Italie, au monastère de Trisulti.

Il y a des liens entre les deux ?

Non, mais j’espère en créer. Mais revenons à Marine Le Pen. Elle a remonté le parti. Elle sera une candidate incroyable si c’est son choix à la présidentielle. Si Macron ne gagne pas le 26 mai prochain, la politique française sera réinitialisée. La course pour la présidence commencera le lendemain des européennes ! Vous aurez une campagne plus longue qu’aux États-Unis (rires).

Une victoire des populistes en Europe est-elle nécessaire à la réélection de Trump ?

Oui, ma théorie, c’est que les idées politiques bougent comme des marchés de capitaux. C’est pour cela que je passe autant de temps en Europe. Trump n’aurait pas été élu président sans le Brexit. Ça donne un élan. Si les populistes font plus de 30 % aux européennes, cela donnera cet élan qui aidera Trump pour la campagne de 2020.