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Changement climatique : les « survivalistes de l’immobilier » cherchent où habiter en 2050

Face à un avenir climatique incertain, des simulations en ligne permettent de se projeter dans le futur lieu de vie idéal, protégé des fléaux qui s’annoncent. Fini l’Hérault ou le littoral breton, vive le Cantal et le Limousin !

Par Pascale Krémer

Une maison au bord d’une falaise sur la plage de Quiberville (Seine-Maritime), le 27 décembre 2022. Le terrain glisse, laissant des traînées de terre le long de la roche. 

Une maison au bord d’une falaise sur la plage de Quiberville (Seine-Maritime), le 27 décembre 2022. Le terrain glisse, laissant des traînées de terre le long de la roche. SABRINA DOLIDZE/DIVERGENCE

 

Rêver de s’installer à l’année dans cette ville de l’Hérault si plaisante durant les vacances de printemps, entre Méditerranée et garrigue. Entrer son code postal dans la barre de recherche d’une plate-forme de projections climatiques. Lire qu’en 2050 ses habitants sont susceptibles d’y affronter une semaine de chaleur supérieure à 35 °C, 86 nuits à plus de 20 °C, 249 jours sur sol sec, 49 autres sous la menace de feux de végétation, sans compter les risques d’inondation, de submersion marine, de retrait-gonflement des sols argileux… Et remballer ses rêves.

Dystopie ? Que nenni ! Drias, Drias-Eau, Climadiag Commune, Géorisques, Oùvivre, VivroVert, Auxalentours, Callendar… Ces sites Web qui simulent, à l’horizon 2050 ou 2100, le changement climatique dans une région, un département, une ville, jusqu’à la moindre parcelle urbaine, existent déjà. Ils sont même de plus en plus nombreux et consultés. Soixante mille visites trimestrielles sur la plate-forme de l’assureur MAIF, Auxalentours (« Nous vous aidons à anticiper »), lancée en 2022. Tapez l’adresse du bien convoité pour son apparente garantie pluridécennale de sérénité pavillonnaire. S’afficheront les tourments dont le dérèglement du climat le menace, selon différents horizons temporels (certains ne garantissant nullement l’antériorité de votre trépas) et les scénarios établis par le Groupement d’experts international sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies.

 

« La prise de conscience née des canicules de 2022 et 2023 » dope les consultations de ces sites, suppute Ronan Désérable, directeur innovation de la MAIF : « En France, notre culture du risque est faible. Dès la visite du bien, grâce à notre site, on est informés. Pas besoin d’attendre le rendez-vous chez le notaire lorsqu’il est difficile de reculer, parce que dans un achat immobilier on met beaucoup d’émotion. Le petit ruisseau à sec l’été, on ne l’imagine pas en train de déborder. » En 2019, Callendar, cabinet spécialisé dans les risques climatiques, avait ouvert à tous ses anticipations à l’échelle locale. Bingo ! Tous les ans, 50 000 écoanxieux le consultent en ligne.

Une masse de données à disposition

L’année suivante apparaissait VivroVert (10 000 inscrits), plate-forme où se mène la quête du lieu de vie idéal, avec force croisements de critères. La section « VivroFrais » attire particulièrement le chaland numérique, à entendre Dominique Valentin, cofondateur : « Les candidats à l’acquisition s’engagent à rembourser des prêts sur vingt ans ou vingt-cinq ans, le climat de 2040 les interroge. Le site accueille d’ailleurs beaucoup de Parisiens, de Lyonnais, de Toulousains, de Montpellierains qui veulent quitter les métropoles. » Autre comparateur de territoires téléportant le candidat acheteur dans l’avenir climatique : Où vivre ?, lancé durant l’été 2022 par le géographe François Lavessière. Déjà 25 000 visites recensées, avec des pics à chaque canicule parisienne.

 

Appétit du public, masse de données à disposition, progrès de la cartographie en ligne interactive : les simulateurs de risques ont matière à prospérer. Leur source première, Météo-France, s’est adaptée. « Cela fait un moment qu’à l’issue des conférences auxquelles je participe, ou par courrier, les gens me demandent où il faudra s’installer », témoigne Patrick Josse, directeur climat de l’établissement public. Alors, les portails climatiques de Météo-France se sont faits moins techniques, plus précis géographiquement, de Drias (« Les futurs du climat », en 2013) à Climat HD (2015), jusqu’à Climadiag Commune, en 2022 (« A quoi ma commune devra-t-elle s’adapter en 2050 ? »), consultable sur son smartphone. Et, cette année, Drias-Eau, spécialisé dans les projections hydrologiques. Travail mâché pour tous ceux qui, anticipant l’effondrement de la société industrielle, superposaient jusque-là les cartes de calamités pour débusquer leur havre.

Comme Rémi Richart, venu en famille trouver dans le Cantal l’autonomie en énergie, en eau, en légumes. Ses recherches, compilées dans un gros classeur, l’avaient conduit dès 2007 à écarter la vallée du Rhône et le sud de la France, « très noires à partir de 2080 », pour restreindre son choix au trio « Limousin-Corrèze-Creuse-Cantal-Lozère-Nord Aveyron-Nord Lot », « centre Bretagne » et « centre des Pyrénées ». Désormais, il conseille les aspirants à la mise à l’abri : « L’idée se diffuse chez des personnes CSP+ ayant une conscience écologique, et chez beaucoup de jeunes aussi, qu’à certains endroits il sera moins aisé de résister aux coups du dérèglement climatique. Alors, elles adaptent leur habitat ou elles déménagent. »

 

Pas du tout survivaliste. Voilà comment, d’emblée, se présente Jérémy Provost, 44 ans, consultant en communication digitale. « Nous sommes un couple de “quadras” avec deux enfants, des ex-bobos à vélo vivant dans le 10e arrondissement de Paris. » Il y a quatre ans, l’atelier de sensibilisation La Fresque du climat a été le déclic. D’urgence, quitter Paris ! « Pour éviter la chaleur, poursuit-il, la Loire était notre butoir, au sud. On a lorgné la Bretagne, la Normandie, pour l’influence océanique, mais tout le monde va sur la côte et on ne veut pas participer à cette spéculation immobilière. Finalement, on s’est installés en périphérie de Tours. » Maison passive, vélos, potager, cuve de récupération d’eau de 7 000 litres… « Et des copains de la Drôme qui réfléchissent à nous rejoindre », ajoute-t-il.

 

Après avoir surfé sur VivroVert, Emmanuelle Marnet, 56 ans, thérapeute, a opté pour Juignac, au sud d’Angoulême : « Je vivais en Alsace depuis vingt-six ans. Mais cela changeait tellement ! Les vendanges fin août au lieu d’octobre… Je me suis demandé dans quel endroit la vie serait encore agréable dans quinze ans, dans quelle région il pleuvrait. » Les enfants pourront, l’été, fuir leurs petits appartements lyonnais et parisien, planifie-t-elle : « J’ai un potager, un poulailler, un puits, je sais que je leur offre un refuge. » Simon suit, lui aussi, la piste de l’eau. Sexagénaire, conseiller municipal d’une ville du Gard, il s’angoisse en observant « la nature s’écrouler, l’irrégularité des pluies, la montée des températures ». « Combien de temps les arbres tiendront-ils ? » Pour la retraite, c’est décidé, direction les Pyrénées : « Mon fils effectue le même genre de recherches. Ma fille est partie s’installer à Copenhague, au Danemark… »

Valorisation ici, décote ailleurs

Combien seront-ils à quitter Paris pour le Cotentin, Toulouse pour le Morbihan, la Côte d’Azur pour la Côte d’Opale, après 2023, année qui pourrait être la plus chaude jamais enregistrée ? En juin 2022, une étude OpinionWay (pour #Moijeune et 20 minutes) évaluait à 38 % la proportion de 18-30 ans envisageant de quitter leur région pour être moins exposés au changement climatique. Sur Internet, de nouveaux classements font florès : les communes où il ne fera pas bon vivre sous le dérèglement climatique.

Incendie dans la forêt de Brocéliande (Morbihan), le 12 août 2022.

Incendie dans la forêt de Brocéliande (Morbihan), le 12 août 2022. GUILLAUME HERBAUT / AGENCE VU

Canicules, sécheresses et incendies, recul du trait de côte et submersion marine, inondations et tempêtes balaieront-ils les certitudes immobilières, valorisant ici, décotant ailleurs ? Dans une étude d’août 2022 sur les territoires les plus exposés au réchauffement d’ici à 2050, l’Insee et Météo-France pointaient les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Occitanie. Mais tout l’Hexagone subira, en fait, l’impact du dérèglement, à divers degrés. Quant aux critères de choix, « ils peuvent être assez personnels, une fois écartés les risques de premier niveau comme les incendies de forêt et les inondations, remarque Patrick Josse, à Météo-France. Déjà, devant les températures, nous ne sommes pas égaux ». Doit-on considérer comme insupportables les journées à plus de 25 °C ou à plus de 35 °C ?

A Miami, en Floride, l’immobilier intègre déjà cette géographie de la survie. Une nouvelle expression, la « gentrification climatique », y est d’usage : les prix des biens de bord de mer s’effondrent tandis que flambent ceux des maisons sur les hauteurs, jusqu’ici plus populaires. Rien de tel, encore, en France. « Le mercure grimpe, les prix aussi », titrait même, en juillet, la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), dans une étude sur les stations balnéaires : « Deux régions se détachent en matière de prix élevés : Provence-Alpes-Côte d’Azur et Nouvelle-Aquitaine. » Dans cette dernière, Lège-Cap-Ferret (12 927 euros le mètre carré) et Soorts-Hossegor (9 394 euros) pulvérisent les records. Elles figurent pourtant sur la liste des 242 communes touchées par l’érosion littorale, selon un décret du 31 juillet.

 

 

Comment la Creuse est devenue un éden climatique : « Ici, tous les trois jours, il pleut »

L’été dernier, le deuxième département le moins peuplé de France a échappé aux canicules prolongées. De quoi susciter des envies d’installation, comme celle qui a motivé les Lenormand, qui ont fui la Savoie.

 

Pascal et Amélie Lenormand, dans le jardin de leur maison, à Fursac, dans la Creuse, le 21 septembre 2023.
Pascal et Amélie Lenormand, dans le jardin de leur maison, à Fursac, dans la Creuse, le 21 septembre 2023. PA. KR./« LE MONDE »

 

« Ici, il y a ça. » Bras écartés, yeux fermés, Pascal Lenormand savoure le silence coloré de chants d’oiseaux, l’air déjà vif et humide de ce matin de septembre en sirotant au jardin un café avec vue sur potager. Un paradis dont il hésite à ébruiter la localisation ? La Creuse. Plus précisément, Fursac, tout près de La Souterraine, où voilà un an l’ingénieur expert en sobriété énergétique s’est installé avec son épouse Amélie, ingénieure elle aussi, quittant les environs de Chambéry.

Pour 168 000 euros, les Savoyards ont acquis 5 000 mètres carrés de terrain agrémentés d’un puits et d’une maison assez spacieuse pour loger leur bureau d’études. « Je ne suis pas collapsologue, se défend d’emblée le quadragénaire, père de deux enfants. Mais j’ai une vague idée que cela ne va pas s’arranger. J’ai cherché un lieu résilient où l’on pourra vivre normalement. Dans mon métier, depuis une décennie, je déconseille de migrer sous une ligne Bordeaux-Lyon pour des questions de ressources en eau et de surchauffe des bâtiments. Je me suis appliqué le conseil à moi-même. »

 

Avec sa barbe poivre et sel, ses bretelles, ses biceps tatoués, sa montre à bracelet de bois, Pascal Lenormand l’avoue : « Au début, à Fursac, on nous demandait constamment combien de temps nous allions rester… » Pourtant, le couple n’évoque plus la Savoie qu’au passé. « C’était pollué, bruyant, l’été était rude, cela devenait invivable, assure M. Lenormand. Ceux qui le pouvaient partaient en montagne le week-end, ou même juste la nuit, pour trouver de la fraîcheur. Cette montagne, je la voyais s’abîmer, s’effondrer. Tout cela ne sentait pas bon… » « Il y avait plein de moustiques, tout le temps, partout, se souvient Amélie Lenormand, mèches blondes s’échappant du bonnet de laine. Ici, les chauves-souris font le boulot ! »

 

Le choix de Fursac a été longuement mûri. Berceau familial de Pascal, la Creuse et son climat océanique correspondaient aux critères que le couple avait renseignés sur le site Web Vivrovert, dont les cartes interactives orientent les urbains vers de nouveaux lieux de vie. Encore fallait-il éviter le plateau de Millevaches, trop aride pour les deux écoanxieux. La partie du département qui jouxte la Haute-Vienne, elle, « est vallonnée, verte, bien desservie, elle a échappé au remembrement – donc, conservé son bocage –, et l’eau ne manque pas puisque c’est une terre d’élevage, pas de culture », résument-ils, encore dans l’enthousiasme de l’emménagement.

Le puits, sur le terrain, n’a jamais fait défaut, même au plus sec de l’été. « Sinon, on a notre arrosage automatique : tous les trois jours, il pleut », se réjouit Amélie. Les températures estivales sont bien montées à 32 degrés, mais durant une semaine seulement, les nuits demeurant douces, si bien que la maison n’a jamais dépassé les 25 degrés. D’un même élan, à la première canicule, les copains en quête de frais ont pris pension là où ils n’auraient jamais mis les pieds auparavant. Certains, désormais, s’y verraient bien à l’année.

« Offrir un refuge à nos enfants »

« Nous avons fait l’hypothèse que nous offririons un refuge à nos enfants plus tard, anticipe l’ingénieur. La famille y sera en sécurité. S’il y a un coup dur, il y a du monde autour, des ressources. » Les voisins offrent des remorques entières de bois, des œufs, des légumes, du crottin de cheval. Des services s’échangent, apprécie M. Lenormand : « Cette économie informelle, ces modes de vie d’avant la société de consommation rendent le territoire robuste. »

Démonstration fut faite d’une nouvelle attractivité, cet été. Inquiet de voir son village (de 1 445 habitants, dont 651 âgés d’au moins 60 ans) perdre « dramatiquement » en population, le maire de Fursac, Olivier Mouveroux, a annoncé la vente de huit terrains de lotissement à 1 euro le mètre carré. Seules conditions : les acquéreurs devaient avoir de jeunes enfants et l’intention de contribuer à la vie communale. « Nous avons été débordés par la demande », s’étonne, devant la pile de dossiers, l’édile tout en retenue.

Dans la maison de Pascal et Amélie Lenormand, à Fursac (Creuse), les travaux vont bon train : un poêle de masse, à restitution lente de chaleur, sera prêt pour l’hiver.
 Dans la maison de Pascal et Amélie Lenormand, à Fursac (Creuse), les travaux vont bon train : un poêle de masse, à restitution lente de chaleur, sera prêt pour l’hiver. PA. KR./« LE MONDE »

 

Un millier de contacts, cinquante familles venues visiter. Avec cette constante, dans leur discours, qui a interpellé le maire : « Les gens remarquaient l’herbe encore verte, les 25 degrés. Ils nous disaient qu’à Béziers ils ne pouvaient plus fermer leurs volets le soir parce qu’ils étaient brûlants. Ceux qui venaient de Lyon cherchaient “de l’air”, ceux d’Aix-en-Provence espéraient un environnement plus épanouissant pour leurs enfants confinés à l’intérieur… » Et l’élu, soudain, de saisir l’atout climatique de la Creuse. « C’est vrai que cet été, sur les cartes météo, tout le monde était en alerte orange canicule sauf nous, en jaune, au milieu. »

 

Quarante-cinq petits nouveaux intégreront bientôt l’école du village. Un médecin généraliste – le Graal ! – arrive même en renfort. Fondatrice de la start-up Laou, qui aide les territoires ruraux à recruter des habitants, Aurore Thibaud se dit « surprise du niveau d’engouement autour de la Creuse, pas très loin de celui qu’il y a autour de la Bretagne ». Le nom du deuxième département le moins peuplé de France (après la Lozère) « fait toujours peur », concède-t-elle. « Mais on assiste à une bascule multifactorielle : l’immobilier accessible, les nombreux Français qui ont en Creuse des racines familiales et, depuis dix-huit mois environ, cette recherche de nature, de qualité de l’air, d’accès à l’eau, de moindres canicules. »

En un an, le service attractivité du conseil départemental de la Creuse a traité huit cents demandes d’installation, émanant pour l’essentiel de trentenaires. A sa tête, Mickael Morand résume le changement d’image en cours : « La Creuse, ce n’est plus l’endroit froid au milieu de nulle part. C’est un territoire préservé. » Miracle du dérèglement climatique !