Cyril Dion est un écrivain, réalisateur, poète et militant écologiste français, né le 23 juillet 1978 à Poissy. Il participe à la création et est le premier directeur du Mouvement Colibris. Wikipédia
Le 10 avril, les 150 citoyens de la Convention pour le climat ont présenté leur contribution au plan de sortie de crise, post-confinement. Curieusement E.Macron n'en a pas dit un mot lors de son allocution le 12 avril.
Tchat sur le Monde de ce 14 avril 2020:
Pic épeiche: Comment fait on pour se débarrasser des lobbies ? Concrètement nous à notre échelle? Comment fait on pour que ceux qui ont le pouvoir arrêtent d’aller contre ce qu’il nous faut
Cyril Dion : Un lobby est un groupe d’influence. On peut donc considérer que les ONG sont des lobbies au même titre que des grandes entreprises. C’est le jeu dans nos démocraties : faire valoir ses intérêts au mieux. La grande différence est que les ONG font la plupart du temps valoir l’intérêt général, lorsque des multinationales font valoir leur intérêt particulier. J’ai tendance à penser qu’il ne s’agit pas de se débarrasser des lobbies mais de faire en sorte que l’intérêt général soit le lobby le plus puissant. Les multinationales ont les moyens financiers, mais la population a le nombre. Or, nous sommes très peu organisés et bien souvent divisés lorsqu'il s’agit d’influencer les politiques publiques dans le sens de l’intérêt général. Soyons des millions à défendre des positions par exemple sur le climat ou la biodiversité. Exerçons cette pression sur nos élus, mais aussi à travers nos achats. Et donnons des moyens aux ONG qui se battent à Bruxelles ou ailleurs (je pense par exemple à Bloom sur la défense des océans que nous avons été filmer pour Animal) pour leur donner les moyens de travailler et d’avoir de l’impact.
Question: Que pensez vous d'extinction rebellion, de la désobéissance civile en générale ? Le monde d'après pourra t il être amené sans violence alors qu'on ne voit pas d'exemples de changement de cette taille sans violence dans l'histoire ?
Cyril Dion : Je pense que c’est une stratégie parmi d’autres qui permet de créer un rapport de force. Elle n’est pas suffisante, mais elle peut faire partie d’une palette de moyens d’action. Quant à la question de savoir si des changements très profonds peuvent advenir sans violence, cela demanderait une longue réponse. A mon sens, les changements majeurs qui ont, par exemple, conduit au XXème siècle à une plus grande égalité entre les hommes et les femmes, entre les blancs et les noirs, ont été à la fois le fruit du travail de penseurs, d’artistes, d’intellectuels capables de projeter un autre imaginaire et, dans le même temps, de luttes concrètes sur le terrain politique, social, inscrites dans un contexte historique… Il aura par exemple fallu - entre autre - "Trois Guinées" de Virginia Woolf, les combats des suffragettes et la première guerre mondiale pour parvenir au droit de vote des femmes au Royaume-Uni. Dans un mélange de violence et de non-violence. Même si je préfère de loin la non-violence...
Relocalisation : Pour m'être penchee dans un cadre professionnel sur la réalité de la "relocalisation" de l'activité et de la production, je suis parvenue à la conclusion que c'était possible - et dans certains cas déjà en cours. Beaucoup d'entreprises, même des groupes, commencent à intégrer dans leur stratégie la question de leur ancrage territorial et tentent de parvenir à une autre segmentation de leur chaîne de valeur. En jouant sur leur image, c'est à dire nous les consommateurs, bien sûr. Le plus dur me paraît .... de s'en convaincre; depuis que je présente mon rapport, le retour est invariablement : oui c'est vrai moi j'en suis convaincu .... mais on ne peut pas changer le système.
Cyril Dion : Si on le peut très certainement. Ce qui ne veut d’ailleurs pas dire qu’il ne faut plus exporter. Mais que les besoins des populations doivent être satisfaits par une grande diversité d’entrepreneurs locaux et indépendants plutôt que par quelques grandes multinationales. Michael Shuman, économiste américain et l’un des artisan du job act d’Obama, est un des spécialistes des économies locales. Pour prouver que la relocalisation est possible, il a conduit de nombreuses études que j’ai recensées dans le livre de Demain (p.230 pour ceux qui l’ont) et qui montrent qu’en moyenne, acheter chez un entrepreneur local et indépendant crée deux à quatre fois plus d’emplois que chez une multinationale. Et que cela permet une bien meilleure répartition des richesses. Ce n’est pas simplement une piste de restriction, c’est en réalité une vraie piste pour créer plus d’emplois, avoir plus de justice sociale et plus de démocratie (concentrer trop d’argent et de pouvoir dans quelques mains, ce n’est jamais sain). Il faudrait maintenant conduire des études de ce type en France !
Cyril Dion : C’est toute la question. Il y a en tous cas des travaux passionnants qui cherchent de ce côté. Vous pouvez lire "L’économie symbiotique" d’Isabelle Delannoy, "La théorie du donut" de Kate Raworth, "La prospérité sans croissance" de Tim Jackson, "Sortir de la croissance" d’Eloi Laurent, "Quand l'homo-économicus saute à l'élastique... sans élastique" d’Aurélie Piet… Et il en existe bien d’autres. Nous produisons largement assez de richesses sur cette planète pour permettre à tout le monde de répondre à ses besoins essentiels et même apporter un peu de superflu. En revanche il n’y aura jamais assez pour combler l’avidité qui cherche sans fin à avoir toujours plus, pour paraphraser Gandhi. La croissance est un dogme, ça n’est pas une loi de la nature. Et comme tout dogme, il peut être remis en question et révisé
Question: Bonjour Cyril, Comment capitaliser sur certains bienfaits du confinement : calme, joie de la redécouverte de la flore et de la faune, importance des maraîchers et éleveurs locaux, pour construire un monde où le lien à la nature est essentiel à la vie ?
Cyril Dion : Oui ! Moi même je me suis mis à identifier les oiseaux dans mon jardin, ma femme est devenue une professionnelle des semis, nous avons relancé le potager, je dors à nouveau, je passe du temps avec mes enfants, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’année. C’est important de prendre tout ce que nous pouvons prendre de positif pendant cette période par ailleurs angoissante, troublée et pendant laquelle tant de personnes souffrent et meurent. Cela nous aidera à aider les autres pour la suite et, peut-être, à amorcer de petites métamorphoses.
JEAN-BAPTISTE : Bonjour Cyril: Peux-tu donner quelques idées de saines lectures en cette periode autour de la nature, de l'environnement, de l'economie de proximité, de ces thèmes importants sur lesquels nous avons le temps de réfléchir, confinés que nous sommes. Et toute notre amitié de la librairie de Charlieu.
Cyril Dion : Bonjour Jean-Baptiste ! Je vous encourage vraiment à lire "Sortir de la croissance" d’Eloi Laurent. Ce livre ne pourrait pas être plus à propos. L’une de ses propositions apparaît d’ailleurs prophétique par les temps qui courent : remplacer le PIB par des indicateurs de santé comme instruments de pilotage de nos politiques publiques… Pour vous plonger dans notre relation avec le reste du vivant : "Manières d’être vivant" de Baptiste Morizot. Une de mes grandes rencontres de cette année. Il écrit magnifiquement, pense magistralement et nous aide à comprendre comment cohabiter avec le reste des espèces vivantes sur cette planète. Côté romans, trois bijoux : "L’arbre monde" de Richard Powers, "Dans la forêt" de Jean Hengland et "My absolute darling" de Gabriel Tallent. Pour vous procurer des livres, si vos libraires ne livrent pas, il existent au moins trois plateforme de libraires indépendants qui proposent des ebooks : http://www.placedeslibraires.fr/ https://www.lalibrairie.com/ et https://www.leslibraires.fr/
Ray Choffman: Bonjour Cyril, fils de Céline, mon inquiétude est la suivante : Etant donné la crise économique généralisée à laquelle le monde fait et va faire face, ne pensez-vous pas que pour "sauver les emplois" les politiques de tous bords et tous pays vont nous imposer des politiques de relance tout ce qu'il y a de plus classique, et que finalement, les questions écologiques (réchauffement, extinction des espèces, surpêche, océans de plastiques, déforestation...) vont être reportées aux calendes grecques ?
Cyril Dion : Bonjour Ray. C’est tout à fait le risque. C’est pour cette raison que la Convention citoyenne a transmis une partie de son travail non finalisé au gouvernement et que nous sommes nombreux à nous exprimer dans les médias pour appeler à ne pas emprunter cette voie. Maintenant c’est l’opinion publique toute entière qui a besoin de dire qu’elle ne veut pas sacrifier la lutte contre le changement climatique à la relance économique. (Céline est en fait ma cousine, pas ma soeur…)
guiom Bonjour Cyril Dion, merci pour votre engagement. A t on déjà des éléments concrets de la réponse d'E. Macron aux propositions de la convention citoyenne pour le climat ?
Cyril Dion : Non. Nous verrons dans quinze jours si Emmanuel Macron en a tenu compte dans la refondation qu’il a évoquée. Mais attention, les propositions qui ont été transmises sont encore en travail. Elles avaient juste vocation à alimenter la réflexion sur le plan de relance post crise. Nous attendons le déconfinement pour pouvoir tenir la dernière session où les amendements seront traités et où les propositions définitives seront votées. A ce moment là, elles seront transmises au président et au gouvernement qui devront y répondre et dire lesquelles seront soumises au parlement et lesquelles pourront être soumises à référundum.
Julie_BT: Cher Cyril merci pour votre tribune, j'ai beaucoup aimé Demain qui m'a donné beaucoup d'espoir quant à notre pouvoir de changer le monde. Quels sont pour vous les métiers de demain, ceux qui vont aider à changer ce monde?
Cyril Dion : Pour moi, nous avons immensément besoin d’agronomes, d'agriculteurs d’un genre nouveau. Qui seront capables de s’inspirer des fonctionnements de la nature pour généraliser des pratiques très productives mais en même temps qui régénèrent les sols, captent du carbone, font revenir la biodiversité, etc. Nous aurons aussi besoin d’artisans capables d’isoler nos maisons, et plus généralement de les transformer pour qu’elles produisent plus d’énergies qu’elles ne consomment, qu’elles stockent et filtrent l’eau… Nous avons besoin de soignants (on le voit en ce moment), d’enseignants chercheurs qui réinventent la pédagogie pour permettre aux enfants d’affronter le monde qui vient et de s’y adapter, d’économistes qui réfléchissent à la façon dont nos sociétés pourrait décélérer sans s’effondrer (enjeu énorme ces jours-ci), d’ingénieurs qui élaborent des technologies low tech et durables, de leaders politiques qui transforment nos institutions pour permettre à nos démocraties un peu chancelantes de se régénérer, en mettant l’intérêt général au centre, d’artistes qui nous aident à comprendre le monde actuel et à imaginer le monde futur... Il y a tant de choses qui sont utiles pour faire face aux grands défis qui arrivent, il n’y a pas de quoi s’ennuyer...
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