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Ces jeunes diplômés pour qui le télétravail n’est plus une option

Le Monde, mardi 27 décembre 2022 - 05:30 UTC +0100

Ces jeunes diplômés pour qui le télétravail n’est plus une option : « Pour moi, maintenant, c’est impossible de revenir en arrière »

par Laura Makary

 

De plus en plus de salariés font le choix de privilégier leur cadre de vie hors des grandes villes, quitte à changer de poste si l’employeur demandait un retour sur le lieu de travail à plein temps.

« Avant le Covid, le télétravail n’était pas un critère. Maintenant, ça l’est ! » C’est ainsi que Kani Diakité, fraîchement diplômée de l’EM Normandie, résume son choix. Début 2022, elle décroche un poste de cheffe de produit innovation dans un groupe francilien, avec trois à quatre jours de télétravail par semaine. Une condition sine qua non pour Kani, qui habite Vernon, dans l’Eure. Pour aller au bureau, il lui faut au moins trois heures de transport en commun, aller-retour. Si les trains sont à l’heure. Lors de sa recherche d’emploi, elle confie avoir même refusé un poste, qui exigeait une présence quotidienne. « Pour moi, c’est impossible, maintenant, de revenir en arrière ! Je tiens trop à cette organisation. »

 

Si elle se dit prête à venir un peu plus au bureau « si besoin », notamment pour créer davantage de liens avec ses collègues, Kani préfère rester dans cette commune normande, avec sa famille, plutôt que de poser ses valises dans la capitale. « Quand j’entends les Parisiens parler de leur petit appartement à 1 000 euros par mois, je me dis que oui, j’ai des frais de transport et d’essence, mais que cela reste rentable en comparaison », tranche-t-elle.

 

« Je ne supportais plus l’idée de payer un bras pour une cage à poules et un clic-clac ! »

Adélie Montagnier a fait également le choix de la distance. Originaire d’Orléans, elle s’installe à Paris en 2018. Au départ, cette diplômée de l’ICN Business School savoure le dynamisme de la capitale. Jusqu’à l’annonce du confinement. « Ma mère m’a accueillie durant toute cette période. C’est là que je me suis rendu compte de la qualité de vie de sa maison, proche de la campagne. Cela correspondait mieux à mes attentes personnelles », se souvient Adélie. Après presque deux ans de télétravail dans ces conditions, le retour dans son studio lui devient impensable : « Je ne supportais plus l’idée de payer un bras pour une cage à poules et un clic-clac ! »

 

Alors, à 28 ans, Adélie demande au cabinet de recrutement qui l’emploie de passer en télétravail permanent. Depuis plusieurs mois, elle revient deux jours toutes les deux semaines à Paris. Le reste du temps, elle travaille depuis son spacieux appartement orléanais, proche de sa famille et de ses amis : « Je peux venir au bureau en une heure de train si besoin. Je me sens libre, avec mon propre rythme de travail, tout en gardant le lien avec mes collègues. »

 

Tertiaire privilégié

Comme Adélie et Kani, l’idée d’une vie plus douce en région, tout en conservant son poste parisien, grâce au télétravail, commence à séduire de plus un plus de jeunes diplômés. Un sondage de Cadremploi révélait à l’été 2021 que 82 % des cadres parisiens souhaitaient partir. Plus d’un tiers se déclaraient prêts à faire des allers-retours si besoin. Quant au rapport « People at work 2022 » d’ADP Research Institute, il montre que les jeunes salariés exigent du télétravail. A la question « Si mon employeur insistait pour que je retourne sur mon lieu de travail à temps plein, j’envisagerais de rechercher un autre emploi », posée fin 2021, 71 % des 18-24 ans et 66 % des 25-34 ans ont acquiescé.

 

Cette possibilité n’est cependant pas offerte à tous. Certains secteurs et types d’entreprise sont plus ouverts que d’autres à ces fonctionnements hybrides. Selon une enquête Bpifrance publiée en septembre, 46 % des dirigeants de TPE-PME autorisent le télétravail, contre 27 % avant le Covid. Les sociétés du tertiaire ont « 5 fois plus de chances de proposer du télétravail que leurs homologues de l’industrie. Contre 2,5 fois avant la crise ». Les start-up font partie des moteurs de ce mouvement.

 

« Une start-up, par exemple, aura du mal à trouver de bons profils sans proposer l’option 100 % télétravail. » Antoine Simon, recruteur dans la tech

 

D’ailleurs, dans les secteurs où le nombre de profils de jeunes diplômés est insuffisant, il est devenu difficile de ne pas en proposer. Notamment dans le numérique. Antoine Simon peut doublement en témoigner. D’abord parce qu’il est recruteur, spécialisé dans la tech. Et ensuite parce que ce diplômé de Skema âgé de 28 ans vit lui-même à Rennes, en travaillant à Paris. « Je recrute beaucoup de développeurs, et le télétravail est un vrai élément différenciant. Une start-up, par exemple, aura du mal à trouver de bons profils sans proposer l’option 100 % télétravail », relève-t-il, voyant cette tendance prendre de l’ampleur.

 

A titre personnel, il se déclare « très satisfait » de sa situation. Breton et supporteur du Stade rennais, il a volontiers troqué son 25 mètres carrés du 18e arrondissement parisien pour un appartement trois fois plus grand à Rennes, près de ses proches. Et professionnellement ? « Je vois que je suis plus productif ainsi. J’ai pu m’aménager un vrai bureau, je peux travailler dans le calme, dans de bonnes conditions, sans interruption », souligne Antoine. Seule limite à ses yeux : l’isolement, les semaines où il ne vient pas au siège. Il réfléchit à terme à intégrer un espace de coworking.

 

Contraintes logistiques

Theobald Ethis de Corny ne se voit pas revenir en arrière. Amoureux de Bordeaux depuis ses études à Kedge, il s’est installé à Paris après son diplôme en 2019, pour un poste de directeur des opérations d’une start-up consacrée au co-avionnage. L’idée de retourner à Bordeaux fait son chemin, et s’accélère quand sa compagne y est mutée. Theobald négocie un télétravail renforcé. La condition : il revient à Paris deux jours par semaine. S’il est heureux de ce compromis, le jeune diplômé reconnaît le caractère parfois stressant de ce quotidien semi-nomade. « La première difficulté, ce sont les retards de train, impossibles à anticiper. Et l’endroit où dormir. Au début, je changeais d’hôtel chaque semaine, en cherchant le meilleur rapport qualité-prix. C’était chronophage et stressant… »

 

Pour répondre à ces besoins émergents, deux entreprises se sont lancées dans les locations à temps partiel : WeekAway et FlexLiving. « Nous fixons avec le locataire deux nuits par semaine, par exemple. La personne a alors son pied-à-terre, dans une chambre ou un studio. Elle recrée ainsi une routine, avec la possibilité de laisser quelques affaires », explique Marie-Christine Crolard, à la tête de WeekAway, qui revendique 10 000 membres. De son côté, Alexandre Marcadier, cofondateur de FlexLiving, observe un intérêt croissant : « Nous avons beaucoup de demandes de la part de particuliers comme d’entreprises. Pour nos clients, principalement des cadres supérieurs, des indépendants et des dirigeants de TPE-PME, c’est une solution de simplicité. »

Location de ce type, canapés d’amis, Airbnb… les options sont nombreuses. Theobald a trouvé la sienne : il réserve un mois en avance ses nuitées, toujours dans le même hôtel, et n’y voit aucun inconvénient : « Quand je vois mon cadre de vie, je me dis que cela en vaut largement la peine ! »