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Eoliennes: la fronde - vous voudrez bien d’une éolienne près de chez vous ?

La nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit de doubler le nombre d’éoliennes terrestres. Le gouvernement Macron II suivra-t-il ce cap ou laissera-t-il souffler les vents contraires ?

Pour relancer l’emploi et l’économie sans aggraver le climat, la France a certes besoin d’un plan, mais aussi de réaliser ce qu’elle a déjà décidé. En l’occurrence, la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont le décret est paru au Journal officiel fin avril. Le déploiement des énergies renouvelables prévu dans ce document d’orientation permettrait de créer près de 100 000 emplois sur les dix prochaines années et de générer 200 milliards d’euros de valeur ajoutée dans les territoires, selon une analyse du Syndicat des énergies renouvelables (SER), parue en juin dernier LIEN.

Vents de colère

Encore faut-il que cette PPE soit intégralement mise en œuvre. Sur le gros chapitre de l’éolien terrestre, elle prévoit un doublement en dix ans : de 16,6 gigawatts de puissance installée dans l’Hexagone fin 2019 (environ 8 500 mâts) à 34 gigawatts en 2028 (environ 15 000). Mais déjà, à l’heure des arbitrages sur le contenu vert du plan de relance, le vent des oppositions s’est remis à souffler. Le 7 juillet, 165 associations anti-éoliennes de Nouvelle-Aquitaine criant à « l’invasion » déposaient un recours devant le tribunal administratif de Bordeaux contre le Sraddet (schéma régional d’aménagement) approuvé le 27 mars dernier par la préfète de région et prévoyant une multiplication par 2,5 des capacités régionales.

 

Si le pouvoir a écrit et validé la PPE, il est également capable de souffler le chaud et le froid, selon le sens du vent de ses intérêts politiques. « Le consensus sur l’éolien est en train de nettement s’affaiblir dans notre pays (…). De plus en plus de gens ne veulent plus voir d’éolien près de chez eux, considèrent que leur paysage est dégradé », avait déclaré Emmanuel Macron lors d’une rencontre sur l’écologie dans les territoires, en janvier dernier à Pau.

 

Une contre-vérité. Selon le baromètre annuel de l’Ademe sur les Français et l’environnement paru un mois plus tôt LIEN, à la question « Accepteriez-vous qu’un parc de cinq à dix éoliennes soit installé à moins d’un kilomètre de chez vous ? », 60 % des Français concernés (*) ont répondu « oui » en 2019, une hausse de 3 points par rapport à 2017. Et selon un sondage Louis Harris de 2018, parmi les personnes qui étaient opposées à un projet avant sa construction, la moitié s’y est dite favorable après.

(*) Une éolienne ne peut pas être implantée à moins de 500m d'une habitation selon la règlementation. Les zones rurales où l'habitat est très dispersé sont donc très peu concernées.

 

Ces données mériteraient toutefois d’être affinées au niveau local. Auditionnée le 18 février au Sénat sur la PPE, Elisabeth Borne, l’ex-ministre de l’Environnement, avait dénoncé le « développement anarchique » de l’éolien et des situations de « saturation » dans certains territoires. De fait, sa distribution n’est pas homogène. Sur les 16,5 GW du parc métropolitain, 4,5 GW sont installés dans les Hauts-de-France (27 %) et 3,6 GW dans le Grand-Est (22 %). Malgré leurs potentiels, la Bretagne ou la Normandie accueillent environ 1 GW chacune, tandis que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) est à peu près vide.

Où sont les anti ?

Dans les Hauts-de-France, haut lieu de la présence éolienne, Xavier Bertrand exige le moratoire des installations LIEN. Depuis son élection à la présidence, la région encourage les citoyens à s’opposer aux nouvelles implantations. Elle édite un site Internet où figurent une carte interactive des projets et une lettre type à adresser aux préfets LIEN. Un pas de plus a été franchi le 30 juin avec l’adoption d’un Sraddet bannissant les nouveaux projets. Un document officialisé le 4 août par un arrêté préfectoral.

 

Quelques coups de fil aux élus locaux conduisent pourtant à s’interroger sur l’ampleur de l’opposition. Qu’en est-il à Voyennes (650 habitants), village de la Somme près de Ham, où six éoliennes ont poussé il y a une dizaine d’années ? « Les gens se sont plaints au début, parce que cela perturbait la télévision, raconte le maire, Jean-Pierre Lemaître. L’exploitant a installé chez tout le monde des antennes paraboliques et le problème a été réglé. L’éolien est bien vécu ici. » Avec la règle des 500 mètres autour des habitations, il n’est pas possible d’implanter d’autres machines : « On n’a malheureusement plus d’espace. » Chaque éolienne rapporte 10 000 euros de taxes locales, dont la moitié pour Voyennes et l’autre pour la communauté de communes. Une recette appréciée. Un militant anti-­éolien de la commune avait tout fait pour bloquer le projet, se souvient le maire, mais « il n’a pas été suivi. Ça ne s’est pas passé comme ça à côté ».

 

A côté, c’est Matigny et Douilly, où un projet de parc à cheval sur ces deux communes est bloqué par un recours contre l’autorisation préfectorale porté par des villages voisins, avec l’appui d’une association anti-éolienne, l’Asen. A Douilly, le conseil s’est prononcé pour. A Matigny, raconte le précédent maire, Jean-Pierre Boucq, les deux consultations obligatoires avaient abouti à un avis favorable, mais de peu. En vue d’obtenir une meilleure adhésion, l’élu organise une troisième délibération… Mais cette fois, le projet est rejeté : « Le travail de sape des anti-éoliens. »

 

La commune limitrophe de Croix-Moligneaux fait partie de celles qui ont attaqué le projet devant le juge administratif. Son maire, Hervé Frizon, se félicite d’avoir gagné en première instance. Agriculteur, il tient aussi des chambres d’hôtes. Il ne veut pas d’éoliennes dans le paysage. L’église du village est classée, insiste-t-il. Aline Sprysch, maire de Douilly, observe que si une commune attaque un projet, elle pourrait avoir l’élégance de s’abstenir de percevoir les recettes liées à l’éolien que lui reverse la communauté de communes. « Eh oui, dit-elle, les éoliennes cela se voit. Mais si vous voulez vous engager dans la transition énergétique, vous faites comment ? » Elle n’acquiesce pas à tout pour autant. Le mode de balisage nocturne est un problème : « Ça clignote tout le temps. » Cette élue juge aussi que l’éolien est un peu trop concentré dans le coin. « Mais si on est dans cette situation, c’est parce que les choses n’ont pas été bien faites au départ. »

Parcours du combattant

Car n’en déplaise à Elisabeth Borne, « il n’y a pas de développement anarchique de la filière. Elle est au contraire extrêmement encadrée », rappelle Jean-Louis Bal, le président du SER. Tout projet passe par une étude d’impact (paysagère, patrimoniale, acoustique, écologique…), exige un avis favorable de l’Autorité environnementale puis une enquête publique, une consultation de la commission départementale nature, paysages et sites et, enfin, l’autorisation du préfet, qui est décisionnaire. Avec les recours contentieux devant la justice, quasiment systématiques, il faut sept ans en moyenne pour réaliser un parc éolien en France.

Les problèmes de concentration sont liés à cet encadrement administratif. Il y a d’abord les règles d’implantation géographique. « La première chose que regarde un développeur, c’est la carte des contraintes aéronautiques, explique Pauline Le Bertre, déléguée générale de France énergie éolienne, le syndicat des entreprises du secteur. Les zones d’entraînement de l’armée, les couloirs aériens, les radars civils et militaires excluent 47 % du territoire. » « Ensuite, poursuit-elle, il faut chercher dans les 53 % restants les zones qui ont à la fois un bon gisement de vent et où l’habitat n’est pas dispersé. » Ce qui fait plutôt regarder vers les grandes plaines du Nord et de l’Est que du côté de la Bretagne, de la Nouvelle-Aquitaine ou de la région Paca.

Cette concentration liée aux contraintes spatiales est amplifiée par le régime des aides. La garantie de rémunération dont bénéficient les producteurs est basée sur un mécanisme uniforme d’appels d’offres. Du coup, explique Jean-Louis Bal, pour pouvoir l’emporter, les porteurs de projets se concentrent sur les zones autorisées les plus ventées.

 

Le ministère de l’Ecologie a créé en décembre dernier un groupe de travail sur la répartition de l’éolien. Enfin. Les professionnels du secteur demandent depuis 2018 une révision du mécanisme d’appel d’offres qu’ils voudraient voir modulé selon les zones géographiques, ce qui faciliterait l’installation de parcs dans des zones moins ventées et délaissées. Ce groupe de travail était supposé rendre ses conclusions au printemps, mais la crise sanitaire puis le remaniement ministériel ont tout retardé. Reste à savoir si Barbara Pompili, la nouvelle ministre de l’Ecologie, fera mieux que ses prédécesseurs, face à des oppositions solides.

Libérer de l’espace

Outre la modulation géographique du système des appels d’offres, le déploiement équilibré de l’éolien nécessite de desserrer l’étau des contraintes administratives afin de libérer de l’espace. « Il faut garder la règle de distance de 500 mètres autour des habitations. En revanche, on peut assouplir certaines contraintes aéronautiques et de défense sans nuire à la sécurité », plaide Frédéric Lanoë, directeur général de Valorem, développeur et exploitant de parcs. Il est par exemple possible de faire voler les avions militaires un peu plus haut pour leurs entraînements à basse altitude…

 

Les solutions à la main de l’Etat pour mieux répartir les éoliennes sur le territoire ne manquent pas. Ce n’est pas seulement une question d’acceptabilité. C’est aussi, souligne Frédéric Lanoë, un enjeu de développement local. Au-delà des emplois créés par la filière, près de 20 000 au total et 1 500 de plus par an en France, « l’équivalent d’un Fessenheim chaque année », ce sont d’importantes retombées fiscales pour les collectivités en milieu rural. « Un parc de dix machines de 2 MW, c’est 200 000 euros de recettes annuelles. » Des sommes considérables qui peuvent contribuer à développer l’activité dans des zones souvent délaissées. 

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