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Voici le discours intégral de Judith Godrèche, lors de la 49e cérémonie des César :

« C’est compliqué de me retrouver devant vous tous ce soir. Vous êtes si nombreux, mais dans le fond j’imagine qu’il fallait que ça arrive, face à face, les yeux dans les yeux. Beaucoup d’entre vous m’ont vu grandir. C’est impressionnant. Ça marque.

Dans le fond, je n’ai rien connu d’autre que le cinéma. Alors pour me rassurer en chemin, je me suis inventée une petite berceuse. Les bras serrés, c’est vous. Toutes les petites filles dans le silence, mon cou, ma nuque penchée, c’est vous.

Tous les enfants dans le silence. Mes jambes bancales, c’est vous. Les jeunes hommes qui n’ont pas pu se défendre. Ma bouche tremblante qui sourit aussi, c’est vous. Mes sœurs inconnues.

Après tout, moi aussi, je suis une foule, une foule face à vous. Une foule qui vous regarde dans les yeux ce soir. C’est un drôle de moment pour nous, non ?

Une revenante des Amériques qui vient donner des coups de pied dans la porte blindée. Qui l’eut cru ? Depuis quelque temps, la parole se délie. L’image de nos pères idéalisés s’écorche.

Le pouvoir semble presque tanguer. Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face, prendre nos responsabilités, être les acteurs, les actrices d’un univers qui se remet en question ?

Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas. Ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement, un demi-mot. Ça serait déjà ça, dit le petit Chaperon rouge.

Je sais que ça fait peur : perdre des subventions, perdre des rôles, perdre son travail. Moi aussi, j’ai peur. J’ai arrêté l’école à quinze ans. Je n’ai pas le bac, rien. Ça serait compliqué d’être blacklistée de tout. Ça ne serait pas drôle. Errer dans les rues de Paris dans mon costume de hamster, me rêvant en Icon of French cinema (le titre de sa série, N.D.L.R.)…

Dans ma rébellion, je pensais à ces termes qu’on utilise sur un plateau : silence, moteur demandé.

Ça fait maintenant trente ans que le silence est mon moteur. J’imagine pourtant l’incroyable mélodie que nous pourrions composer ensemble, faite de vérité. Ça ne ferait pas mal, je vous le promets.

Juste une égratignure sur la carcasse de notre curieuse famille. C’est tellement rien comparé à un coup de poing dans le nez, à une enfant prise d’assaut comme une ville assiégée par un adulte tout-puissant sous le regard silencieux d’une équipe.

Un réalisateur qui tout en chuchotant m’entraîne sur son lit sous prétexte de devoir comprendre qui je suis vraiment. C’est tellement rien comparé à 45 prises avec deux mains dégueulasses sur mes seins de quinze ans…

Le cinéma est fait de notre désir de vérité, les films nous regardent autant que nous les regardons. Il est également fait de notre besoin d’humanité, non ?

Alors pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie soit utilisé comme une couverture pour un trafic illicite de jeunes filles ?

Parce que, vous savez, cette solitude, c’est la mienne mais c’est également celle de milliers dans notre société. Et elle est entre vos mains.

Nous sommes sur le devant de la scène, à l’aube d’un jour nouveau. Nous pouvons décider que des hommes accusés de viols ne puissent pas faire la pluie et le beau temps dans le cinéma. Ça, ça donne le ton, comme on dit.

On ne peut pas ignorer la vérité car il ne s’agit pas de notre enfant, de notre fils, de notre fille. On ne peut pas être à un tel niveau d’impunité, de déni et de privilège qui fait que la morale nous passe par-dessus la tête.

Nous devons donner l’exemple, nous aussi.

Ne croyez pas que je vous parle de mon passé, de mon passé qui ne passe pas. Mon passé, c’est aussi le présent des 2.000 personnes qui m’ont envoyé leurs témoignages en quatre jours.

C’est aussi l’avenir de tous ceux qui n’ont pas encore eu la force de devenir leur propre témoin. Vous savez, pour se croire, encore faut-il encore être cru.

Le monde nous regarde. Nous voyageons avec nos films. Nous avons la chance d’être dans un pays où il paraît que la liberté existe. Alors, avec la même force morale que nous utilisons pour créer, ayons le courage de dire tout haut ce que nous savons tout bas.

N’incarnons pas des héroïnes à l’écran pour nous retrouver cachées dans les bois dans la vraie vie. N’accordons pas des héros révolutionnaires ou humanistes pour nous lever le matin en sachant qu’un réalisateur a abusé une jeune actrice et ne rien dire.

Merci de m’avoir donné la possibilité de mettre ma cape ce soir et de vous envahir un peu. Il faut se méfier des petites filles. Elles touchent le fond de la piscine, elles se cognent, elles se blessent mais elles rebondissent.

Les petites filles sont des punks qui reviennent déguisés en hamsters et pour rêver à une possible révolution, elles aiment se repasser ce dialogue de Céline et Julie vont en bateau (film de Jacques Rivette, sorti en 1974, N.D.L.R.).

Céline : il était une fois. Julie : Il était deux fois. Il était trois fois. Céline, il était que cette fois ça ne se passera pas comme ça, pas comme les autres fois. Merci ».