JustPaste.it

La sécheresse oblige des maires du Var à suspendre les permis de construire

Un camion-citerne de 8 000 litres acheté par la commune effectue jusqu’à sept navettes par jour entre une bouche d’incendie se trouvant à Fayence et le réservoir Sainte-Brigitte de Seillans. A Seillans, dans le Var, le 31 juillet 2022.

Un camion-citerne de 8 000 litres acheté par la commune effectue jusqu’à sept navettes par jour entre une bouche d’incendie se trouvant à Fayence et le réservoir Sainte-Brigitte de Seillans. A Seillans, dans le Var, le 31 juillet 2022. LAURENT CARRÉ POUR « LE MONDE »

Si le maire de Montauroux, Jean-Yves Huet, dans le Var, a fini par lâcher le morceau, fin février, en annonçant la suspension des permis de construire pour cinq ans dans les villages du pays de Fayence, faute d’eau, avant qu’un document l’officialise, c’est pour ne pas voir des acheteurs potentiels engager des frais pour rien. Pour certains, il était déjà trop tard. Un jeune couple s’est vu refuser son permis alors qu’ils avaient dépensé quelques milliers d’euros en études et premières esquisses pour la maison qu’ils envisageaient de faire construire.


 

C’est au cours d’une réunion organisée à la maison de la régie de l’eau, à Fayence, le 31 janvier, que cette décision, une première en France pour une communauté de communes, s’est imposée. Autour de la table ce soir-là, neuf maires, le sous-préfet de Draguignan, Eric de Wispelaere, les représentants de l’agence de l’eau et de la direction départementale des territoires et de la mer. Le nez sur les courbes du débit de la Siagnole – la source qui alimente Fayence, mais aussi Draguignan, et une partie de Fréjus et Saint-Raphaël, sur la côte –, les hauteurs des deux forages, et les prévisions de consommation, ils ont convenu qu’il fallait tout arrêter net. Le délai de cinq ans reste une durée approximative, mais il s’agit du temps qu’ils estiment nécessaire pour retrouver de l’eau.

L’Etat soutient et les accompagnera en cas de recours devant les tribunaux. Le 10 mars, le préfet Evence Richard leur a adressé une lettre en ce sens, les invitant « à refuser les demandes d’autorisation d’urbanisme pour les projets qui génèrent une consommation d’eau ». D’autant, rappelle-t-il, que les communes sont chargées de fournir l’eau nécessaire à la lutte contre les feux de forêt. « Il vous appartient d’éviter ce risque en refusant toute nouvelle autorisation susceptible d’accroître la vulnérabilité et d’affaiblir les moyens de lutte. » Au vu des sols désespérément secs, le risque est déjà très élevé.

« Un côté foudroyant »

« Le dérèglement climatique, cela devient concret pour nous. Ce n’est pas qu’on ne l’a pas vu venir, mais il y a un côté foudroyant », avoue François Cavalier, le maire de Callian, un des neuf villages perchés. « Ce qui surprend, c’est la vitesse à laquelle le niveau de ressource baisse », décrit le sous-préfet. A la sortie de l’hiver, le niveau de la nappe était aussi bas qu’en juin 2022. Les deux forages d’appoint étaient inutilisables. Cet hiver, le département a enregistré 35 % de précipitations en moins par rapport à l’hiver précédent. Pour le seul mois de février, la pluviométrie a chuté de 84 %.

Lire aussi :

Faute de pluie ou presque cet automne, saison de recharge des nappes, l’arrêté crise sécheresse n’a été levé que quelques jours avant Noël. Depuis, le ciel est désespérément bleu. Zéro millimètres à dix jours, disent les téléphones. Vendredi 24 mars, le département basculait en alerte. Sans pluie d’ici à Pâques, l’alerte renforcée sera déclenchée, avec le retour des restrictions.

Les habitants ont appris à se doucher les pieds dans une bassine. L’eau illimitée qui a fait la fortune des parfumeries, des fabriques de draps, c’est terminé. Le maire de Callian n’a plus de potager. Jean-Yves Huet, son collègue de Montauroux n’a « pas tiré la chasse depuis un an ». Mais « les douches à la casserole », l’arrêt des fontaines, l’arrosage à l’eau savonneuse, ne pouvaient plus suffire au regard des chiffres présentés en novembre 2022 par la responsable du service de l’urbanisme. Cela a tout accéléré.

Il existe un stock d’un millier de permis de construire (945 nouveaux logements) purgés de tout recours. La régie de l’eau a fait le calcul. Par rapport à 2018, cela revient à trouver 2 024 mètres cubes (m3) par jour, soit la consommation d’un village comme Saint-Paul-en-forêt, alors que la Siagnole, principale ressource du territoire, débite 10 000 m3 en moins chaque jour. Les coupures seront inévitables, et pourraient survenir dès cet été. Il fallait changer de logique.

« Une pause raisonnée »

« Jusqu’à présent, on adaptait l’eau à l’urbanisme : vous construisiez, la mairie apportait l’eau, explique le maire de Montauroux. Aujourd’hui, il faut adapter l’urbanisme à l’eau. » En vingt ans, la population du pays de Fayence, territoire rural devenu la banlieue des Alpes-Maritimes a doublé, passant de 15 000 à 30 000 habitants. Les jeunes couples y trouvent un terrain moins cher pour y construire une maison avec piscine. Mandelieu-la-Napoule et Sophia-Antipolis sont à trente minutes de route.

La loi ALUR (pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) a amplifié le mouvement, en permettant la densification. Sur des parcelles de 2 000 mètres carrés (m2) ou 5 000 m2« où on construisait une seule maison, on en a bâti huit », relève François Cavalier, le maire de Callian, 4 000 habitants, 1 022 piscines. « Avec le recul, on n’avait pas toutes les informations, et on n’a pas tenu compte des signaux, admet René Ugo, maire de Seillans et président de la communauté de communes. La pluviométrie était fluctuante, mais la pluie retombait, la nappe se rechargeait, et ça passait. »

Sans surprise, la fédération du BTP du Var juge la décision « brutale », « unilatérale », « inacceptable » et rappelle que le secteur de la construction est la deuxième source d’activité du département. Il s’agit d’« une pause raisonnée, en aucun cas une mise sous cloche du territoire », précise Xavier Prud’hon, directeur départemental adjoint des territoires et de la mer du Var. Les extensions de maison, les équipements publics, l’agrandissement d’un local seront autorisés. Les piscines, en revanche, c’est non.

Importante fréquentation touristique en été

Il faut « mener sans attendre des travaux d’envergure », « mettre en place un nouveau PLU [plan local d’urbanisme] qui impose des règles précises » insiste la fédération du BTP. Ces mesures figurent dans le « plan Marshall » des élus. Leur priorité : trouver de nouvelles sources d’approvisionnement. Le lac de Saint-Cassien, une retenue de barrage, à l’est, représente la piste la plus sérieuse. Des discussions sont en cours avec la société du canal de Provence sur la faisabilité technique et financière d’un raccordement. Le sous-sol du camp militaire de Canjuers, 35 000 hectares, au nord-ouest, est une option à plus long terme.

En attendant, il faut économiser l’eau. La chasse aux fuites est lancée. Le réseau de Seillans était une vraie passoire, avec un rendement inférieur à 50 %. « On était sous-équipés », reconnaît le maire, René Ugo. Les premiers travaux ont permis de revenir à un taux de 75 %. Le plan intercommunal prévoit 5,5 millions d’euros d’investissements annuels pour réparer, par tranche de 5 kilomètres, un réseau qui compte 520 km. Des études sont lancées pour connecter les réseaux entre eux. En 2023, le tiers des subventions du préfet attribuées aux collectivités locales, soit 4 millions d’euros, sera alloué à l’eau.

La révision en urgence des documents d’urbanisme est menée en parallèle. Le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) du Pays de Fayence n’autorisera plus qu’une hausse annuelle de 0,1 % de la population, contre 1,3 % actuellement programmée (un cadre bien souvent dépassé). Les PLU suivront. Les gouttières – il n’y en a pas sur les maisons provençales – comme les citernes pourraient devenir obligatoires.