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Sébastien Le Fol - Gilets jaunes : la bêtise va-t-elle gagner ?

 Source lepoint.fr Publié le 07/01/19 à 18h18

Pour apaiser le pays, Emmanuel Macron mise sur le «  grand débat national  ». Il est vital de transformer cette consultation en exercice d'intelligence collective. PAR SÉBASTIEN LE FOL

Pour apaiser le pays, le président de la République et le gouvernement ont lancé un « grand débat national ». Le préalable à toute discussion doit être le rétablissement de l'ordre. Le gouvernement doit réaffirmer l'autorité de l'État. Il n'y a plus à tortiller. Il est temps de mettre hors d'état de nuire les séditieux qui tabassent les gendarmes, pénètrent de force dans les ministères ou menacent des députés. Ces factieux n'ont aucune intention de débattre. Ils veulent semer le chaos et renverser la République. Arrêtons de les qualifier de « manifestants ». Ce sont des émeutiers. L'intervention du Premier ministre Édouard Philippe au journal de 20 heures de TF1 vise à rassurer une opinion de plus en plus inquiéte des violences répétées.

Engagé comme il l'est, le « grand débat national » pourrait bien être un cautère sur une jambe de bois. Rêvons un peu : Et si cette consultation se transformait, pour une fois, en exercice d'intelligence collective ? Cela nous changerait des plateaux de BFM et autres médias giletjaunis qui, depuis un mois, donnent une tribune à la bêtise la plus crasse et aux discours les plus violents.

Lire également la chronique de Julien Damon – Tenir le « grand débat » sur une seule journée, quelle bonne idée ! 

Augmentons notre QI démocratique !

Dans un essai stimulant recommandable à tous nos dirigeants, Super collectif (Fayard), Émile Servan-Schreiber explique pourquoi notre démocratie devrait davantage miser sur l'expertise collective. L'enjeu, selon cet entrepreneur, docteur en psychologie cognitive, est moins de « rendre la société plus démocratique » que de la rendre plus intelligente.

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Augmentons notre QI démocratique ! Tel est le slogan de Servan-Schreiber. Comment y parvenir ? L'essayiste ne manque pas d'idées et les puise toutes dans les dernières découvertes des sciences cognitives que sont la psychologie, l'anthropologie, les neurosciences et l'intelligence artificielle.

Intelligence collective quesaco?

Contrairement à Gustave Le Bon, Servan-Schreiber croit à « la sagesse des foules ». « L'ennemi de l'intelligence n'est pas le nombre, c'est le conformisme, écrit-il. L'amie de la sagesse n'est pas l'isolement, mais la diversité. » Selon lui, nos intelligences « groupées et organisées » pourraient bousculer l'univers.

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Lire Gustave LeBon psychologie des foules

Que savons-nous du QI collectif ? Anita Woolley, de Carnegie Mellon, et Tom Malone, patron du Mit Center for Collective Intelligence, ont observé que les QI individuels – que ce soit la moyenne ou le meilleur du groupe – ont peu d'effets sur le QI collectif. La composante principale de celui-ci est « l'intelligence émotionnelle » des membres du groupe, « telle qu'elle s'exprime par leur capacité d'écoute, d'empathie et de respect des contributions des autres ».

Comment obtenir le meilleur de l'intelligence collective ? Vaut-il mieux faire appel à des experts ou à des gens d'opinions différentes ? Selon le « théorème de la diversité » du sociologue Scott Page, professeur à l'université du Michigan, « l'expertise individuelle et les différences d'opinions contribuent également à l'intelligence d'un groupe ».

Plus l'encadrement d'un groupe est féminisé plus il est rentable

La diversité des points de vue est le maître mot de l'intelligence collective. L'égalité du temps de parole accordé à ceux-ci est un facteur déterminant. Selon les analyses de Woolley et Malone, les groupes dont « quelques membres dominent la conversation ne sont pas des groupes très intelligents ». L'observatoire Skema de la féminisation des entreprises a établi une corrélation entre le taux de féminisation et la performance économique de celles-ci. Plus l'encadrement d'un groupe est féminisé plus il est rentable.

L'essai d'Émile Servan-Schreiber, tout imprégné d'une vision anglo-saxonne, est enthousiaste et optimiste. Qu'est-ce qui pourrait nous empêcher, nous autres Français d'entrer dans cette « ère supercollective » qu'il célèbre ? Notre « culte du génie individuel » qui irrigue pour le pire et le meilleur nos méritocraties, nos hiérarchies et notre système éducatif. Nous croyons encore aux hommes providentiels, à l'État nounou et aux héros solitaires.

L'essayiste, lui, croit à la « prédictocratie », une forme de démocratie reposant largement sur la prévision collective pour prendre des décisions politiques. Sans aller jusque-là, il y a un creuset d'informations et d'idées à recueillir dans son livre. On en retiendra le principe essentiel : la qualité de la communication entre les cerveaux compte plus que la puissance des cerveaux eux-mêmes. C'est la formule célèbre de Woodrow Wilson, le 28e président des États-Unis : « Je n'utilise pas seulement tout mon cerveau, mais tous ceux que je peux emprunter. » Avis aux mordantes mécaniques intellectuelles qui nous gouvernent…