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Comment Jean-Luc Mélenchon a activé le regain civique dans les banlieues lyonnaises

La baisse de l’abstention au premier tour, conjuguée au succès du candidat de La France insoumise, ouvre une séquence politique inédite dans les cités populaires de la région lyonnaise.

Par Richard Schittly(Lyon, correspondant)

 

Meeting de Jean Luc Mélenchon, à Lyon, le 6 mars 2022, en pleine campagne présidentielle. Meeting de Jean Luc Mélenchon, à Lyon, le 6 mars 2022, en pleine campagne présidentielle. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

Un phénomène électoral inédit s’est produit dans les banlieues lyonnaises. Pour la première fois depuis des décennies, les taux d’abstention ont cessé de grimper, dans plusieurs cités populaires de la périphérie de la capitale des Gaules, à l’occasion de la présidentielle 2022. Régulièrement désignée comme le mauvais élève national de la participation citoyenne, la commune de Vaulx-en-Velin a enregistré une abstention de 40,45 % des inscrits, le 10 avril, contre 41,70 % au premier tour de 2017 (26 % au niveau national au premier tour en 2022, 22,2 % en 2017). Cette fragile baisse d’abstention s’observe à Vénissieux, passant de 33,84 % à 31,50 % entre 2017 et 2022, à Rillieux-la-Pape, mais pas à Bron, Saint-Fons ou Saint-Priest, où la hausse d’abstention reste toutefois limitée d’un à trois points entre les deux présidentielles.

Ces progrès de participation s’accompagnent d’un autre fait marquant : la position prééminente de Jean-Luc Mélenchon, en nette avance dans toutes les villes de la banlieue lyonnaise. Le candidat de La France insoumise (LFI) obtient 54,94 % des voix à Vaulx-en-Velin, 53,65 % à Saint-Fons, 48,79 % à Vénissieux, plus de trente points devant Emmanuel Macron, et des scores autour de 32 % dans les autres villes, comme Bron, Rillieux ou Saint-Priest, en gardant cinq à huit points d’avance sur le chef de l’Etat.


« Jean-Luc Mélenchon est à l’origine du sursaut citoyen des banlieues. Il a su réveiller les consciences et faire bouger le pouvoir électoral des habitants qui se sentaient depuis trop longtemps exclus du jeu politique. Son discours a touché à l’affectif des minorités. C’est le seul candidat qui a parlé de leurs véritables préoccupations, en dénonçant le racisme, en défendant le respect des identités », estime Abdelaziz Chaambi, 64 ans, participant de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, partie du quartier des Minguettes, en 1983, à Vénissieux. Pour ce militant historique des banlieues lyonnaises, « Mélenchon a incarné la lutte contre la stigmatisation des quartiers populaires ».

« On voit une perspective »

Le vote Mélenchon signe « la réouverture du champ politique dans les quartiers », selon Samir Hadj Belgacem, maître de conférences à l’université Jean-Monnet de Saint-Etienne. « L’abstention dans les quartiers a longtemps servi les intérêts de tous les partis politiques, qui ont développé des logiques clientélistes pour sécuriser les scrutins, sans qu’il soit nécessaire de mobiliser la population, poursuit-il. Sa participation à la manifestation contre l’islamophobie, ainsi que le débat sur les violences policières ont positionné Jean-Luc Mélenchon sur des thématiques qui touchent les habitants des cités populaires. » Pour ce spécialiste des ressorts électoraux des banlieues, le regain civique des cités lyonnaises témoigne « du pragmatisme et du réalisme politique des nouveaux leaders d’opinion », qui ont vu dans le candidat LFI « celui qui représente le moins mal leurs intérêts ».

M. Mélenchon écarté du premier tour, l’abstention est repartie à la hausse au second tour, le 24 avril, dans toutes les cités lyonnaises

« Il a cartonné sur les réseaux sociaux. On s’est dit qu’avec lui on pouvait à nouveau s’emparer de la politique », confirme Abdelaziz Chaambi. Le verbe haut et les positions parfois rugueuses, le militant, qui avait brièvement adhéré à Lutte ouvrière dans les années 1970, veut croire à un possible tournant : « Le PS nous avait enfermés dans l’associatif depuis les années 1980. Le gouvernement Macron a volontairement favorisé l’émergence de Le Pen, le ministre Darmanin n’a fait qu’amplifier le discours sécuritaire et répressif. Avec Mélenchon, on voit une perspective. »

 

M. Mélenchon écarté du premier tour, l’abstention est repartie à la hausse au second tour, le 24 avril, dans toutes les cités lyonnaises, et la déperdition des voix a bénéficié à Marine Le Pen, qui améliore ses scores dans toutes les cités populaires, atteignant 38,28 % au second tour à Saint-Priest. Au second tour, le taux d’abstention a atteint 50,1 % à Vaulx-en-Velin, contre 43,16 % en 2017.

En tête au second tour dans toutes les villes périphériques, le candidat Macron a obtenu de 61,72 %, à Saint-Priest, à 75,98 %, à Villeurbanne, en perdant à chaque fois du terrain par rapport à ses niveaux de 2017. A Lyon, l’abstention reste stable (24,2 %), deux fois inférieure à celle de Vaulx-en-Velin, et le score du président sortant atteint le record de 79,8 %. Les différences d’électorats entre Lyon et Vaulx-en-Velin semblent se creuser, bien au-delà des neuf stations de métro qui séparent les deux villes aux conditions de vie bien différentes. Et le barrage à l’extrême droite présente des signes de faiblesse en périphérie. « J’ai appelé à voter Macron, pour éviter un danger flagrant, mais les cités sont lassées d’un duel qui se fait sur leur dos », s’inquiète Abdelaziz Chaambi.

Le regain civique du premier tour va-t-il réapparaître aux législatives ? « Si nous passons de l’émotionnel à la construction politique, le mouvement peut se poursuivre », dit Abdelaziz Chaambi, qui rêve de l’appui de LFI pour « constituer une université populaire dans les quartiers pour former les futurs représentants politiques ». « Un vote stratégique des classes populaires s’est exprimé lors de la présidentielle, avec des enjeux collectifs cette fois plus forts que l’abstention, et qui dépassent l’adhésion à Jean-Luc Mélenchon », analyse le sociologue Samir Hadj Belgacem. « Un espace pour la gauche s’est ouvert, le vote utile a fonctionné, il peut se réitérer aux législatives si l’union se fait dans de bonnes conditions », estime Abdallah Slimani, 21 ans, militant EELV à Vaulx-en-Velin.