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lepoint.fr par Marc Vignaud

 

Retraites : Édouard Philippe prêt à reporter l'entrée en vigueur de la réforme

 

« Nous sommes plus déterminés que jamais à construire un régime universel. » Tel est le message qu'Édouard Philippe a voulu faire passer à ceux qui sont tentés de faire grève le 5 décembre, s'exprimant en personne sur la réforme des retraites à la sortie du conseil des ministres mercredi 27 novembre.

Fermeté, mais ouverture aussi. S'il a confirmé l'abandon de la « clause du grand-père », que ce soit pour tout le monde ou pour certaines professions, comme nous le révélions dès vendredi, le Premier ministre a affirmé que l'entrée en vigueur du nouveau régime universel pour les personnes déjà en activité pourrait être décalée. Le rapport Delevoye de juillet prévoyait qu'il débute à partir de la génération de 1963, c'est-à-dire pour les personnes à 5 ans de l'âge de la retraite en 2020, date prévue du vote de la réforme. Édouard Philippe a cette fois cité des générations à « 10 ou 15 ans » de la retraite, soit les personnes nées en 1968 ou en 1973. Cet arbitrage crucial sera rendu après discussions avec les syndicats et le patronat. « L'universalité, oui ; la brutalité, non, », a-t-il lancé à l'adresse des titulaires des régimes spéciaux qui devraient par ailleurs profiter d'une période de transition de 15 ans minimum avant de voir leur âge de départ s'aligner sur celui des autres Français. Pour ceux qui vont entrer sur le marché de travail, le nouveau régime universel s'appliquera bien dès 2025.

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Le Premier ministre a, en revanche, réaffirmé la volonté du gouvernement de rééquilibrer financièrement le système actuel avant la mise en place du régime universel. « Nous voulons construire un système solide dans lequel les jeunes générations, nos enfants, auront confiance. Ce n'est pas en fondant ce régime universel sur du déficit que nous créerons cette confiance », a-t-il justifié. Cela obligerait à augmenter les cotisations ou à baisser les pensions plus tard. Il va donc falloir « travailler progressivement plus longtemps ». « Nous pouvons le faire de manière apaisée, sans brutalité, en laissant au maximum le choix aux personnes concernées de le faire selon leur parcours de vie », a-t-il tenté de rassurer.

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Main tendue à la CFDT

C'était aussi l'occasion de tendre la main à la CFDT, seul grand syndicat susceptible de soutenir le nouveau système par points. « J'ai entendu les demandes très fortes de la CFDT sur l'emploi des seniors. » Un rapport sur ce sujet a été commandé à la présidente du conseil d'administration de Sodexo, Sophie Bellon, pour mieux maintenir les seniors dans l'emploi après 60 ans.

Le Premier ministre ouvre ainsi la discussion sur la prise en compte de la pénibilité. « Nous devons étendre le système actuel à la fonction publique et, sur certains sujets, je pense notamment au travail de nuit, nous devons évoluer », a reconnu Édouard Philippe, toujours pour se concilier la CFDT.

Soupçonné de traîner les pieds pour mener à bien cette réforme, Édouard Philippe a également cru bon de préciser sa position : « Je crois très profondément à l'intérêt de cette réforme. » Il s'est dit « déterminé, calme, concentré ». Il s'exprimait à l'issue de ses rencontres avec chaque organisation patronale et syndicale le 25 et 26 novembre. Selon nos informations, un déjeuner de calage de la stratégie de l'exécutif et de sa majorité a été organisé la veille, mardi 26 novembre, avant l'intervention d'Édouard Philippe à la réunion du groupe LREM à l'Assemblée nationale, à huis clos.

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Autour d'Emmanuel Macron : les deux ministres chargés du dossier, Agnès Buzyn et Jean-Paul Delevoye, ainsi que Gérald Darmanin (Comptes publics), mais aussi les ténors de la majorité comme Stanislas Guerini, le patron du parti, ou encore les présidents des groupes LREM dans les deux Assemblées, Gilles Le Gendre et François Patriat, ainsi que le président de l'Assemblée Richard Ferrand, accompagnés par les alliés du MoDem, François Bayrou et Patrick Mignola, le président du groupe à l'Assemblée. Un repas non mentionné à l'agenda du président, tout comme le dîner du 19 novembre qui a acté l'enterrement de la « clause du grand-père ». Ce dispositif aurait limité l'application du nouveau régime universel à points aux seuls nouveaux entrants sur le marché du travail. C'est à ce moment-là qu'il a été décidé qu'Édouard Philippe prenne la parole à l'issue du conseil des ministres, ce mercredi.

Objectif : se montrer ferme avant les grèves dans les transports du 5 décembre, tout en ouvrant une porte de sortie aux futurs grévistes. En attendant, la communication autour de la réforme va être recentrée sur ses fondamentaux. Les « éléments de langage » sont prêts. Le gouvernement veut marteler trois grandes idées, comme a commencé à la faire Édouard Philippe mercredi :

– « l'universalité », ce qui passe par une solidarité entre tous les actifs et non plus seulement profession par profession ;

– la « justice », avec une redistribution en faveur des femmes et des plus petites pensions ;

– « la responsabilité », ce qui suppose de bâtir un régime de retraite financièrement équilibré.

Depuis le milieu de la semaine dernière, les ministres se relayaient pour présenter la grève du 5 décembre comme un simple mouvement de défense des régimes spéciaux de la SNCF et de la RATP, et ce, malgré la mobilisation des avocats, de certains syndicats étudiants et lycéens ou de magistrats... Le gouvernement espère ainsi désolidariser les Français du mouvement qui s'annonce, nationalement encouragé par les syndicats hostiles par principe au régime universel, la CGT et FO, et même par la CFE-CGC, le syndicat des cadres, sous la pression de sa base.

Ce dimanche, les membres du gouvernement seront réunis en séminaire « de calage » autour du Premier ministre à Matignon pour se préparer à affronter le « mur du 5 décembre ». L'idée est que tous soient capables de monter au front, comme dans la majorité, pour défendre la réforme.

Le haut-commissaire devrait faire des propositions plus précises autour du 9-10 décembre, après la fin de la concertation. Édouard Philippe présentera « dans les jours qui suivront » les arbitrages du futur projet de loi cadre sur la réforme mi-décembre.