L'économie française entre dans sa pire récession depuis la seconde guerre mondiale
Source La Tribune Par Grégoire Normand | 08/04/2020
L'onde de choc du coronavirus fait vaciller l'économie française. Selon le dernier bulletin de la Banque de France publié ce mercredi 8 avril, le produit intérieur brut (PIB) a reculé de 6% au premier trimestre 2020. Cette estimation correspond à la pire performance trimestrielle de l'économie française depuis 1945. Le PIB s'étant déjà replié de 0,1% au quatrième trimestre, selon les dernières données de l'institut national des statistiques Insee, la France est donc techniquement en récession. Il faut remonter à 1968 pour observer une chute comparable de l'activité durant un trimestre selon les économistes. À l'époque, le PIB avait chuté de 5,3% au second trimestre, après les événements de mai, avant de rebondir à 0,8% au troisième trimestre. Lors d'une récente audition au Sénat, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a tiré la sonnette d'alarme.
"J'ai donné il y a quelques semaines une évaluation provisoire des perspectives de croissance pour 2020 de -1%, indiquant que ce chiffre serait révisé. Je rappelle que le chiffre de croissance le plus mauvais qui a été fait par la France depuis 1945, c'est en 2009, après la grande crise financière de 2008, -2,9%. Nous serons vraisemblablement très au-delà des -2,9% de croissance de 2009, c'est dire l'ampleur du choc économique auquel nous sommes confrontés."
Terrible chute dans la construction
La propagation du virus a touché l'ensemble des secteurs. Selon une estimation de la banque centrale française, une semaine de confinement entraîne une perte d'activité d'environ 32%. "Sur l'ensemble du mois de mars, la perte d'activité serait de -17%, compte tenu des deux semaines de confinement et de la baisse d'activité enregistrée dans certains secteurs dès le début du mois", expliquent les auteurs du point de conjoncture. Il reste que cette crise sanitaire peut avoir des répercussions très différentes. Dans le bâtiment par exemple, la chute est évaluée à 75%. La mise à l'arrêt d'une grande partie des chantiers et les difficultés pour les employeurs à appliquer les règles sanitaires ont plongé un grand nombre d'entreprises et d'artisans dans le rouge.
Les services marchands sont également frappés de plein fouet par la récession (-37%), même si une partie de la population peut effectuer du télétravail. Le commerce de gros et de détail, les transports, l'hébergement et la restauration sont particulièrement affectés (-65%). La fermeture administrative des restaurants, bars, bistrots et lieux de restauration depuis la mi-mars a provoqué une mise à l'arrêt totale et brutale de l'activité dans tous ces secteurs. Dans les services financiers et immobiliers, le repli est estimé à 12%. Cette chute est d'autant plus importante que le tertiaire marchand occupe une place majeure dans l'économie tricolore (57% de la valeur ajoutée). Du côté des services non-marchands, l'inflexion devrait se situer autour de 9% (le poids dans la valeur ajoutée est d'environ 22%).
L'industrie dans le rouge
L'appareil productif de l'économie française est en première ligne. Les statisticiens estiment que la chute de l'activité est de 48% pour l'industrie manufacturière, hors alimentaire et cokéfaction et raffinage. Beaucoup de grands constructeurs automobiles, ainsi que les équipementiers, ont suspendu leurs chaînes de production à partir de la seconde moitié du mois de mars. Dans l'énergie, l'eau, le traitement des déchets ou la cokéfaction et le raffinage, la baisse est moins violente (-15%; mais seulement 3% du PIB).
Enfin, pour l'agriculture et l'agroalimentaire, les indicateurs se sont moins dégradés. Les économistes indiquent que l'activité pourrait diminuer de 6% avec une semaine de confinement. La nécessité de maintenir les chaînes d'approvisionnement et assurer la sécurité alimentaire de la population française permet de maintenir un minimum d'activité même si beaucoup de producteurs et agriculteurs signalent une sérieuse perte de débouchés.
De nombreuses tensions sur la trésorerie
Les enquêtes menées par l'institution bancaire montrent que les entreprises ont connu de fortes tensions de trésorerie au mois de mars. Les sociétés dans le tertiaire sont particulièrement préoccupées par leur situation. Dans une moindre mesure, les industriels ont également fait part de leur angoisse. Afin de faire face à cette mise à l'arrêt brutale de pans entiers de l'économie, beaucoup d'entreprises ont signalé avoir fait des demandes de crédits. "17% des petites et moyennes entreprises (+10 points à fin mars) et 22% des entreprises de taille intermédiaire (+12 points à fin mars) déclarent avoir fait une demande récemment", précise la note.
Si le gouvernement a annoncé des mesures de soutien pour venir en aide aux entreprises, certains dispositifs comme les prêts garantis par l'État n'étaient pas encore effectifs au moment de l'enquête réalisée par la banque de France. "Les entreprises ont fait leur demande mais n'ont pas encore reçu les fonds qui peuvent couvrir 25% de leur chiffre d'affaires annuel".
Vers une reprise lente
Le redémarrage des moteurs de l'économie pourrait s'étaler sur une longue période. Le possible prolongement de la période de confinement au-delà du 15 avril pourrait peser sur les capacités de reprise. Le scénario d'une reprise en V avec un rebond vigoureux dans quelques semaines paraît de moins en moins crédible aux yeux d'un grand nombre d'économistes. Lors d'un réunion téléphonique mardi avec des journalistes, l'économiste de Natixis Patrick Artus estimait que la période de déconfinement ne serait pas effective avant un bon mois. "Nous sommes encore loin d'un déconfinement en Europe et encore plus aux États-Unis. Honnêtement, je ne vois pas comment les pays européens sérieux envisagent un déconfinement avant la mi-mai. Il ne faut pas envisager un retour à la normal avant le 15 mai. Il faut envisager des scénarios de retour des salariés entre la mi-mai et l'été".
S'il est encore tôt pour établir des prévisions sur l'ensemble de l'année, la diffusion du virus aux États-Unis et sur le continent africain pourrait entraîner des dégâts faramineux sur l'économie internationale. Dans son scénario central pour l'économie planétaire, l'économiste en chef de l'assureur crédit Coface Julien Marcilly anticipe "une récession au premier trimestre, un choc massif au second trimestre, un rebond au troisième trimestre en partant d'un niveau très bas. Le point d'incertitude sera sur la fin de l'année". La principale crainte chez les économistes est l'arrivée d'une nouvelle vague. Dans la cité-État de Singapour, montrée comme un exemple en matière de gestion de l'épidémie, les autorités ont dû adopter de nouvelles mesures contraignantes alors que le nombre d'infections est de nouveau en hausse.
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