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Greta Thunberg ou la dangereuse propagande de l’infantilisme climatique

 

 

 

TRIBUNE - Un discours de peur sur le climat crée une jeune génération terrifiée qui veut jouer aux adultes, s’inquiète le philosophe et écrivain Pascal Bruckner.
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Dans sa République (315 avant J.-C.), Platon met en garde contre la corruption de la démocratie qui consiste en une inversion des hiérarchies, par excès de liberté: quand le père traite son fils comme un égal, que les maîtres flattent les disciples et que les vieillards imitent la jeunesse. Nous y sommes. Quiconque a vu les manifestations de jeunes gens pour le climat ces dernières semaines en Europe, où l’on avait mobilisé jusqu’aux maternelles et jardins d’enfants, où d’adorables petites têtes brunes ou blondes récitaient pieusement les slogans que leurs parents leur avaient appris ne peut que s’inquiéter de ce véritable exercice de ventriloquie.

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Le scandale est double: on s’extasie de retrouver chez nos bambins les inquiétudes qu’on leur a inculquées et on se pâme devant cette écholalie infantile. Les petits perroquets nous grondent par procuration, nous donnent une bonne leçon que nous devrions méditer. Mais c’est une simple chambre d’échos et l’on retrouve chez le petit peuple puéril les mots qu’on lui a mis dans la bouche par un endoctrinement, voire un bourrage de crâne quotidien, dès les petites classes. L’infâme propagande de la peur contre laquelle, avec d’autres, je m’élève depuis vingt-cinq ans, fait des ravages chez nos petits: au nom du juste combat écologique, on leur représente jour et nuit, dès l’école, que le globe va prendre feu, les cataclysmes nous détruire, que le genre humain doit expier ou mourir. Et l’on voudrait qu’ils soient souriants?

On crée des générations d’enfants terrifiés par notre propagande, et, ce faisant, on leur vole leur enfance et leur insouciance. On les mobilise moins qu’on ne les tétanise. La «grève mondiale pour l’avenir» se produit au moment où l’on explique à la jeunesse du monde qu’elle n’en a plus, que l’effondrement général a commencé.

Outre qu’elle affiche son Asperger comme un titre de noblesse, son visage terriblement angoissant semble dire: si vous ne le faites pas pour la planète, faites-le au moins pour moi

L’égérie de la contestation, la très jeune Suédoise Greta Thunberg, est loin de lever l’ambiguïté. Outre qu’elle affiche son Asperger comme un titre de noblesse, son visage terriblement angoissant semble dire: si vous ne le faites pas pour la planète, faites-le au moins pour moi. Apprendre par la presse qu’elle a cessé il y a quatre ans de parler, de manger, de jouer du piano par souci du climat et qu’elle n’est allée mieux que quand ses parents ont décidé de ne plus prendre l’avion et de manger vegan jette de sérieux doutes sur ses motivations. Elle a été reçue par Christine Lagarde et Emmanuel Macron, est pressentie pour le prix Nobel de la paix. Sa notoriété est symptomatique du caractère délirant que peut prendre la nécessaire mobilisation pour le climat. Comment ne pas songer à l’enfant star Jordy qui, en 1992, à l’âge de 4 ans, devient célèbre grâce à une chanson, Dur dur d’être bébé!, vendit près de 6 millions de disques et, bouleversé par ce succès planétaire précoce, finit par se fâcher avec ses parents et sa maison de disques, accusés de l’avoir exploité? «Dur, dur d’être une ado qui porte toute la misère du monde!» pourrait chanter Greta Thunberg. On a très envie de l’aider: mais prendre le globe en otage pour une thérapie familiale donne le sentiment d’une duperie.

En 1989, l’ONU avait voté une décision contestable selon laquelle l’enfant est déjà une personne humaine en titre, un citoyen de plein droit et que le cantonner au statut de mineur, en raison de son âge est une discrimination pure et simple. Or il s’agissait là d’un cadeau empoisonné fait à l’enfance qu’on livrait pieds et poings liés à tous les manipulateurs. Cette approche risquait d’éluder une fois encore les devoirs des éducateurs et des parents puisque l’on plaçait dans notre progéniture une responsabilité écrasante pour mieux nous en décharger.

Il y a un scandale à propager la peur et la terreur chez nos bambins au lieu de les armer pour affronter le monde

Qu’on le veuille ou non, l’enfant n’est pas un sujet politique, il est un sujet en devenir: il doit simultanément être protégé et respecté dans sa légèreté et doté des moyens de sortir progressivement de sa condition de mineur à mesure qu’il grandit. S’il est indispensable de l’apprivoiser à la liberté, en lui offrant des tâches à sa mesure, il est dangereux de lui demander de parodier les adultes, de se réunir, par exemple, en conclave pour mimer la vie parlementaire, de se déguiser en journaliste pour interviewer une personnalité. Lors du grand débat, le président Emmanuel Macron a cru utile de discuter avec des enfants de 7 à 14 ans dont certains arboraient leur écharpe d’élu au conseil municipal des jeunes. Notre époque privilégie un seul rapport entre les âges: le pastiche réciproque. Nous singeons nos enfants qui nous copient. Quand les adultes rêvent d’immaturité, c’est aux bambins que revient la charge de se conduire en adultes. Mais c’est alors que se produit un véritable détournement de majeurs et le droit pour tous à la confusion des âges.

Il y a un scandale à propager la peur et la terreur chez nos bambins au lieu de les armer pour affronter le monde. Que nous disent les marches et les grèves scolaires pour le climat, telles que retraduites par les très jeunes manifestants? Qu’il n’y aurait pas d’obstacles matériels en ce domaine, sinon la mauvaise volonté des gouvernements sous la coupe des groupes d’influence? Exactement ce que nous serinent les lobbys verts depuis toujours, eux-mêmes habités par le symptôme infantile d’impatience et de toute-puissance. Or les adolescents n’ont pas encore appris à hiérarchiser leurs désirs, à freiner leurs envies. En bons produits de la société de consommation, ils veulent tout tout de suite, exigent la fin du changement climatique maintenant. Que les températures commencent à baisser dès demain. Si tu veux, tu peux, tout est possible. Ce n’est pas eux qu’il faut blâmer, ce sont les professeurs d’effroi qui dictent à un public fragile leurs émotions et leurs préjugés. La lutte contre le dérèglement climatique mérite mieux que cette mobilisation à visage poupon.

* Est l’auteur de «Le Fanatisme de l’Apocalypse. Sauver la Terre, punir l’Homme» (Grasset, 2011). Dernier ouvrage paru: «Un racisme imaginaire. Islamophobie et culpabilité» (Grasset, 2017).