Ecologie : vérités et fariboles
ILLUSTRATION : XAVIER GORCE POUR « LE POINT »
Nucléaire, glyphosate, alimentation biologique, OGM… Ce que dit la science sur ces sujets clivants, où l'idéologie l'emporte souvent sur la rationalité.
Le magicien et le prophète. Dans le remarquable « The Wizard and the Prophet » (Alfred A. Knopf), le journaliste américain Charles C. Mann rend hommage à deux scientifiques méconnus du grand public, mais qui ont eu une influence considérable sur le monde actuel. Le magicien, c'est Norman Borlaug (1914-2009), lauréat du prix Nobel de la paix et père de la révolution verte. En croisant des variétés de blé, cet agronome a augmenté les rendements agricoles et sauvé des millions de personnes de la famine et de la malnutrition. Le prophète se nomme William Vogt (1902-1968). Avec son best-seller « Road to Survival » (1948), cet écologue et ornithologue, obsédé par la surpopulation, a été le premier à prédire l'apocalypse environnementale dans un contexte moderne. Opposé au capitalisme, Vogt considérait l'histoire des États-Unis comme une « marche vers la destruction ».
Longtemps, c'est le magicien Norman Borlaug qui a triomphé sur les oracles néomalthusiens. Grâce notamment aux intrants, l'agriculture intensive a permis de nourrir une population en pleine transition démographique. Selon l'ONU, la part de la population mondiale sous-alimentée a chuté de 37 % en 1970 à 13 % en 2014, alors que l'humanité est passée de 3,6 à plus de 7 milliards d'individus. Mais, aujourd'hui, ce sont les idées de William Vogt, pionnier de l'anthropocène, de l'écocide et de la collapsologie, qui ont le vent en poupe. Selon Charles C. Mann, l'opposition entre ces deux hommes et ces deux visions reflète le clivage majeur qui divise la science comme les débats politiques. Pour les prophètes, les ressources de notre planète sont épuisables, la nature est limitée et la préservation, notre seul avenir ; pour les magiciens, le développement est notre destinée et la matière première la plus précieuse - notre cerveau - est infinie.
Les prophètes, tel l'ingénieur agronome Pablo Servigne, annoncent l'effondrement inéluctable de notre société industrielle. La collapsologie se veut une science interdisciplinaire. Yves Cochet, mathématicien et ex-ministre de l'Environnement, vient même d'annoncer qu'« il y a une hypothèse selon laquelle l'humanité n'existera plus en tant qu'espèce en 2050 ». Les magiciens, comme Steven Pinker, psychologue cognitiviste à Harvard, répondent que tous les discours eschatologiques ont pour l'instant été démentis par la raison humaine.
Décarboner. Prophète décroissant, l'astrophysicien Aurélien Barrau (voir entretien) compare la sixième extinction de masse à un « crime de masse - à l'échelle du monde - qui est en train d'être perpétré en toute impunité ». Dans « Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité » (Michel Lafon), gros succès de librairie, ce professeur à l'université de Grenoble déplore que, en quarante ans, plus de 400 millions d'oiseaux européens aient disparu ou que, selon certaines études, le nombre de vertébrés ait diminué de 60 % depuis 1970. Les magiciens, eux, rappellent que l'homme est sorti de la nature et l'a transformée depuis la préhistoire. Pour un pur darwinien comme le neurobiologiste Alain Prochiantz, s'il faut préserver une partie de la biodiversité, ce n'est que dans l'intérêt de la survie de notre espèce et non pour devenir les conservateurs d'un zoo terrestre. « L'évolution fait son boulot, des espèces disparaissent, d'autres apparaissent sans cesse, ce n'est pas un drame. Nous avons bien perdu les mammouths, et nous-mêmes finirons par disparaître », explique le professeur du Collège de France, un rien provocateur.
En France, les agriculteurs et agricultrices ont respectivement 27 % et 19 % moins de risques de mourir d'un cancer que la population générale du même département et du même âge. Source : enquête Agrican, menée depuis 2005 sur une cohorte de 180 000 personnes affiliées à la MSA.
L'exemple de la Suède. Dans cette bataille entre magiciens et prophètes, Le Point a tenté de faire un état des lieux en séparant les connaissances scientifiques de l'idéologie. Sur les émissions de C02, les catastrophistes ont eu largement raison. Le réchauffement climatique est aujourd'hui la menace numéro un pour l'humanité. Mais un nombre grandissant de « rationalistes », y compris chez les écologistes, estiment que, si on veut être cohérents et décarboner notre énergie, il ne faut surtout pas se priver du… nucléaire, au côté des énergies renouvelables. Comme l'explique l'ingénieur Staffan Qvist, « de 1970 à 1990, la Suède a réduit de moitié ses émissions globales de CO2, et ses émissions par personne de plus de 60 % ». Rappelons que la Suède, à la pointe dans un nombre de classements sur le niveau de vie, n'est absolument pas décroissante et connaît en outre des hivers très froids. Son secret ? De l'hydraulique et du kärnkrat, autrement dit du nucléaire. L'association Greenpeace, qui s'est historiquement construite sur l'opposition aux essais nucléaires, est aujourd'hui en pleine contradiction sur ce sujet. Même Aurélien Barrau reconnaît dans nos pages que, pour la France, abandonner précipitamment ses centrales serait « idiot ». Dans d'autres cas, les discours des environnementalistes, sous prétexte de défendre une noble cause, ont fait d'énormes dégâts sur la science. Accusés de tous les maux sanitaires, les OGM sont emblématiques de cet obscurantisme. Et puis, parfois, la controverse scientifique fait rage, à l'image du glyphosate, véritable démon de notre époque. Si la question est complexe, on peut regretter un traitement sensationnaliste de la télévision publique.
Il ne faudrait surtout pas imaginer que les lobbys ne se retrouvent que d'un côté, celui des magiciens procroissance. Même les défenseurs du glyphosate qui se veulent rationnels s'accordent pour dire que Monsanto est indéfendable. Comme l'industrie du tabac avant elle, l'entreprise de Saint-Louis, rachetée par Bayer, a essayé d'influencer la recherche. Mais, en face, le Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRIIGEN), cofondé par l'ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage, n'est pas animé par le seul amour de la science. En essayant, avec le soutien de partenaires financiers comme Carrefour ou Auchan, d'imposer ses vues anti-OGM, cette association a provoqué la lamentable affaire Séralini.
Homéopathie. L'écologie politique, même quand elle se veut moins à gauche et plus pragmatique, n'est pas exempte de tentations pseudo-scientifiques. La numéro deux de la liste EE-LV aux élections européennes, Michèle Rivasi, agrégée de sciences naturelles, a multiplié les prises de position contre les vaccins (« Aujourd'hui, les vaccins créent plus de problèmes qu'ils n'en résolvent »), pour l'homéopathie (qu'elle souhaite intégrer comme matière obligatoire dans les études de médecine) et contre les ondes électromagnétiques, soit trois oppositions à des consensus scientifiques. L'eurodéputée a invité à Bruxelles Andrew Wakefield, auteur en 1998 d'une étude unanimement rejetée par la communauté scientifique sur le lien supposé entre vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéole) et autisme.
Sans prétendre à l'exhaustivité, notre dossier fait le point sur différents sujets clivants, comme le glyphosate, le bio, le diesel ou la surpopulation. En rappelant que les connaissances scientifiques ne font que progresser et que nous-mêmes ne sommes pas à l'abri de biais cognitifs.
Source: Le Point Thomas Mahler