Les Start-Up en France
Au cours du premier semestre de cette année et d’après les calculs effectués par les banques d’affaires et la BPI, la banque publique d’investissement, les levées de fonds effectuées au bénéfice des start-ups ont dépassé les 2 milliards d’euros. Sur le seul premier trimestre, toutes les pépites tricolores avaient déjà ramené plus de 1,1 milliard d’euros dans plus de 150 opérations. Le deuxième trimestre a poursuivi la tendance avec autant d’opérations, mais des tickets plus élevés.
L'an dernier à la même époque, la French Tech avait levé un peu plus de 1,5 milliards d’euros en progression de 30%. Si la tendance du 1er semestre se poursuit, la fin de l’année permettra de passer la barre des 4 milliards d'euros de fonds levés en 2019. Soit beaucoup plus qu’en 2018, (3,62 milliards) année qui avait déjà battu le record de 2017 (2,56 milliards), beaucoup plus qu’en 2016 (2,20 milliards).
La French tech française a donc drainé près de 15 milliards d’euros en 4 ans. C’est considérable. Cette lame de fond a permis à des entreprises françaises de rentrer dans le club des licornes, c’est à dire des entreprises dont la valeur dépasse le milliard d’euros, seuil critique à partir duquel une entreprise peut commencer à jouer un rôle important dans l’écosystème national et à s’engager dans la compétition mondiale. La France en compterait six.
Depuis le début de l’année, on a vu arriver sur le podium : Meero, spécialisée dans la photo, qui lève la semaine dernière 205 millions d’euros. Suivent Doctolib avec une levée de fond de 150 millions d’euros, le champion de la E-Santé étant bien parti pour conquérir l’Europe. On a vu arriver Yseut, le champion des protéines alternatives avec une augmentation de capital de 110 millions, on a vu arriver Mano-Mano la plateforme de e-commerce spécialisée dans le bricolage et le jardinage. Enfin, on a vu Payfit, leader français des solutions RH (110 millions d’euros). On a vu enfin arriver trois autres licornes, Deezer, Voodoo et Blablacar avec plus de 100 millions levés pour chacune de ces entreprises. Par ailleurs, l’éco-système français a permis à Wind, Content Square, Talent soft, B-network et Zen Park se sont partagés plus de 100 millions d’euros, devenant des candidats sérieux au statut de licorne dans les deux ans qui viennent.
Pendant le seul mois d’avril 2019, les start-ups de l'Hexagone ont levé près de 505 millions. En mai, qui est généralement assez creux à cause des ponts et des fêtes, elles ont drainé encore 350 millions... mais la palme revient au mois de juin avec la levée massive de 205 millions d’euros pour une startup assez peu connue, Meero, qui a mis au point une plateforme pour mettre en relation des photographes et leurs clients. Pour les spécialistes, c’est une révolution sans doute aussi importante que celle d’Instagram, avec un marché dont le potentiel mondial est considérable. La photo privée, familiale, et surtout corporate, est un secteurs aujourd’hui complètement déstructuré.
Maintenant, la première question est de savoir d’où vient cet argent. A priori, il y a évidemment des raisons macroéconomiques liées à la politique monétaire des banquiers centraux. En ouvrant les robinets à liquidités, la banque centrale européenne ou la réserve fédérale alimentent les marchés de capitaux qui offrent des investissements à risque avec une promesse de rémunération forte, ce qui n’est plus le cas des obligations d’Etat où les taux de rendement approchent de zéro. La bourse et les boursiers en profitent, les banques d’affaires et le private equity également. Il y a une deuxième raison dans cet afflux d’argent, c’est le comportement des épargnants riches qui sont exonérés de l’impôt sur la fortune. Cet argent, qui allait jadis dans les caisses de l’Etat, va pour partie dans celles des fonds d’investissement. Et le fait très nouveau cette année est que les levées de capitaux sont principalement financées par des fonds d’investissement français. On retrouve dans beaucoup d’opérations Eurazeo, BIP, Bnp Partner ...
La deuxième question est évidemment de savoir où va cet argent. Officiellement, les start-ups qui réalisent des augmentations de capital expliquent qu’elles ont besoin de financer très rapidement des investissements industriels et commerciaux pour déployer leur activité sur un périmètre le plus large possible dans le monde. C’est évidemment l'ambition de Blablacar, de Doctolib ou de Meero.
Pour autant, rien ne dit qu’elles pourront réaliser la promesse d’offrir un retour sur investissement dans les délais annoncés. Certaines grandes sociétés américaines du digital sont incapables d’atteindre leur point mort après de multiples levées de fonds. L’exemple le plus impressionnant, c’est évidemment celui d’Uber qui perd chaque année l'équivalent ou presque de son chiffre d’affaires. Et pourtant cette situation de perte structurelle n'empêche pas les investisseurs de faire confiance dans ces entreprises nouvellement créées. Ils espèrent retrouver de la valeur plus tard, si ce n’est en résultats et dividendes, ça peut être en capital. La vocation d’une licorne est évidemment de muter en une très grande entreprise, mais beaucoup d’entre elles se vendent à de nouveaux financiers ou un groupe industriel, ce qui permet aux pionniers qui ont pris les risques de départ de récupérer un beau pactole. Aucun des dirigeants des sociétés digitales françaises qui aient été bénies depuis deux ans par les dieux de la finance ne reconnaîtra qu’il envisagera un jour de céder ses parts dans le bébé qu’il a conçu et fait grandir. Tous jurent qu'ils sont là pour une génération. Parfait, sauf que la jeune histoire de l’industrie digitale montre qu’elle s’est structurée autour de très grands groupes dont la taille mondiale a été construite plus par croissance externe que par croissance interne.
On vérifiera dans 5 ans si tous les dirigeants de start-ups ou de licornes qui jurent leur ambition de rester fidèles à leur équation de départ ont tenu leur engagement.