Lucie Castets : « Les services publics permettent de promouvoir un modèle de société solidaire et unitaire »
L’attente a duré, mais le Nouveau Front populaire (NFP) a désigné, mardi 23 juillet, sa candidate pour le poste de Première ministre. Après le rejet, faute d’unanimité au sein de la coalition, des noms d’Huguette Bello et de Laurence Tubiana, c’est Lucie Castets que le NFP propose pour Matignon.
Si cette haute fonctionnaire n’était que peu connue du grand public quand son nom a été dévoilé, elle peut se prévaloir d’un engagement en faveur des services publics et de la justice fiscale. Elle a en effet cofondé le collectif Nos services publics en avril 2021. Directrice des finances et des achats à la Ville de Paris depuis moins d’un an, Lucie Castets a précédemment travaillé à la répression de la criminalité financière au ministère des Finances.
Son profil à la fois « techno » et militant peut rassembler au-delà de la gauche, même si elle a déjà exprimé sa volonté de s’en tenir au programme du NFP en désignant ses priorités : abrogation de la réforme des retraites, « grande réforme fiscale », revalorisation des salaires et des minima sociaux, « fin de la régression des services publics ».
Chroniqueuse pour Alternatives Economiques, Lucie Castets nous a accordé, le 12 juillet dernier, un entretien à propos de l’enjeu social et politique de la restauration des services publics – une urgence alors que leur déclin nourrit le vote pour l’extrême droite, comme elle le martèle.
Le sentiment de déclin des services publics est un moteur important du vote en faveur du Rassemblement national (RN)…
Lucie Castets : C’est une certitude. Le vote pour le Rassemblement national, bien qu’il se soit diversifié, demeure un vote émanant pour une grande part des personnes défavorisées. Or les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Les catégories populaires souffrent donc particulièrement de leur déclin, devenu criant dans le domaine de la santé durant l’épidémie de Covid-19, mais qui, en réalité, s’aggrave depuis plusieurs décennies.
L’accès aux urgences est ainsi de plus en plus difficile, avec des heures d’attente interminables ; les services médicaux sont souvent inaccessibles en zone rurale ; les conditions d’enseignement se dégradent et l’insuffisance de l’accompagnement individuel a conduit à l’essor des cours privés, soutenus par des niches fiscales, et à l’augmentation des inégalités ; rendre la justice prend de plus en plus de temps, etc.
« Les besoins sociaux, les attentes exprimées vis-à-vis des services publics sont croissants »
Or les besoins sociaux, les attentes exprimées vis-à-vis des services publics sont croissants avec, par exemple, le vieillissement de la population, la croissance démographique ou encore l’augmentation du nombre d’élèves obtenant le baccalauréat.
On pointe souvent le fait que, paradoxalement, les niveaux de prélèvements sont élevés dans notre pays. Qu’en pensez-vous ?
L. C. : Cela n’a pas de sens de comparer les niveaux de prélèvements sans considérer ce qu’ils permettent de financer. Un haut niveau de prélèvement traduit une forte socialisation des dépenses. Si l’on cesse de financer collectivement la réponse à un besoin, ce besoin ne disparaît pas, et il doit être financé par des contributions individuelles. Si l’on en déduit les prélèvements liés à notre système de retraite – qui est public contrairement à beaucoup d’autres –, ils ne sont pas si élevés.
De même, bien que notre système de santé fasse de plus en plus de place au privé, le financement demeure essentiellement public. En matière de santé par exemple, aux Etats-Unis, les dépenses publiques sont faibles, mais le citoyen américain paye deux fois plus que le citoyen français, pour une espérance de vie nettement moindre. Le citoyen allemand paye quant à lui 25 % de plus, selon l’OCDE.
« Les moyens des services publics ne sont pas à la hauteur des besoins. La part des fonctionnaires dans l’emploi total a diminué »
Globalement, on observe que les moyens des services publics ne sont pas à la hauteur des besoins. Si le nombre d’agents publics augmente dans l’absolu (mais de manière très hétérogène en fonction des secteurs), en réalité, la part des fonctionnaires dans l’emploi total a diminué, passant de 16,3 % en 2006 à 14,6 % en 2021. Et le manque d’agents publics, en particulier dans certains secteurs comme l’éducation ou la santé, crée des conditions de travail dégradées. On fait alors face à une crise d’attractivité auto-entretenue.
On le voit avec les enseignants, dont le manque est criant et dont tous s’accordent à dire qu’ils ne sont pas suffisamment payés. Alors que les salaires ont augmenté dans le secteur privé, ils stagnent dans la fonction publique. Ainsi, la rémunération moyenne réelle dans la fonction publique a diminué de 0,9 % depuis 2009 quand elle a augmenté de 13,1 % pour les salariés du privé. Cela a un impact direct sur la motivation des agents. D’autant plus que cela reflète la valeur symbolique que leur accorde la société.
« Il est nécessaire de réformer notre système fiscal, afin qu’il soit plus juste »
Face à cela, il est nécessaire de réformer notre système fiscal, afin qu’il soit plus juste. On pourrait par exemple obtenir davantage de recettes en supprimant les niches fiscales et en taxant mieux les revenus du capital, et en conditionnant certaines aides aux entreprises : l’inefficacité de plusieurs d’entre elles a été amplement démontrée.
Quel rôle peuvent jouer les services publics dans la résistance à la montée du RN ?
L. C. : Ils peuvent jouer un rôle majeur si on leur en donne les moyens, notamment pour lutter contre le sentiment de déclassement d’une grande partie de la population. Accueillir les usagers avec des personnels qui prennent le temps de leur parler et sont en mesure de tenir compte de leurs besoins est un bon moyen de lutter contre le sentiment d’exclusion.
« Investir dans les services publics permet de lutter contre la mise en concurrence des populations précaires »
Investir dans les services publics permet également de lutter contre une forme de mise en concurrence des populations précaires, et ainsi d’éviter que certains aient le sentiment d’être privés de l’usage des services publics au bénéfice d’autres publics. Plus largement, les services publics sont un important outil de cohésion sociale. Fondés sur les principes d’accès universel et de non-discrimination, ils permettent de promouvoir un modèle de société solidaire et unitaire.
Comment peut-on les réinvestir ?
L. C. : Il faut tout d’abord arrêter de ne réfléchir aux services publics que sous l’angle des moyens. Il faut partir des besoins, se demander quelles missions on souhaite prendre en charge collectivement, puis, à l’issue d’une concertation démocratique, définir un budget adapté. Cela suppose de s’interroger sur notre vision des services publics, y compris en termes de qualité.
Ainsi, par exemple, chacun, y compris les personnes qui ne savent pas lire ou utiliser les outils numériques, doit pouvoir accéder aux démarches administratives. De même, chacun doit accéder à la justice et pouvoir être soigné dans des délais raisonnables et dans des conditions humaines. Ce n’est pas en éliminant les postes administratifs, comme le propose le RN, que nous y parviendrons, car une telle mesure fera forcément retomber la charge de travail sur les soignants.
Par ailleurs, il est nécessaire de s’interroger sur l’émergence de nouveaux services publics. Par exemple, il faut une réponse publique au traitement du grand âge mieux coordonnée, l’assurance que les Ehpad disposent de financements satisfaisants. Il faut donc penser de nouvelles solutions collectives, de nouveaux services publics, en particulier dans le domaine environnemental et de la transition écologique.