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Le rêve éternel de la ville à la campagne

Un sondage Ipsos, réalisé à l’occasion de la remise, mercredi, du Prix du livre d’économie, dont le thème est « les villes de demain », dresse le portrait de Français à la recherche de la cité écologique.

Le Monde Par Philippe Escande Publié aujourd’hui à 12h07

 

 

Voilà un mythe qui s’effondre. Les Français ne se sentent pas « assignés à résidence », comme le suggérait en 2017 le candidat à la présidence de la République Emmanuel Macron. « Moi, j’ai un ennemi, c’est l’assignation à résidence, les gens qui sont bloqués dans leur situation, le regard qui cantonne les gens à leur quartier, leur famille », avait-il déclaré lors d’un déplacement en Seine-Saint-Denis. Quand on interroge les Français, le sentiment général n’est pas celui-là.

Dans le sondage Ipsos, réalisé à l’occasion de la remise du 21e Prix du livre d’économie, mercredi 18 décembre, ils sont une écrasante majorité, 74 %, à être satisfaits de leur lieu d’habitation. Ils ne sont d’ailleurs que 8 % à reconnaître que leur résidence actuelle est une contrainte. Et ce chiffre tombe à 2 % pour ceux qui vivent en zone rurale. « C’est un phénomène que nous constatons régulièrement, explique Stéphane Zumsteeg, directeur du département politique et opinion à l’institut Ipsos, les gens sont toujours contents d’habiter là où ils sont, même s’ils y voient des défauts. La plupart de celles et ceux qui sont partis habiter dans le périurbain l’ont fait par choix. »

Et de fait, qu’ils habitent en grande métropole, en banlieue ou dans le rural, ils sont plus de 80 % à apprécier leur cadre de vie. Avec tout de même un clivage politique. Les sympathisants En marche sont des indécrottables optimistes : 92 % sont satisfaits du cadre de vie de leur commune, contre 77 % pour ceux de la France insoumise et 79 % du Rassemblement national (RN).

Un satisfecit à leur équipe municipale

Cet optimisme n’est cependant pas béat et la liste des griefs est longue. Ils sont ainsi 30 % à déplorer la dégradation de la sécurité, quand seulement 18 % estiment qu’elle s’est améliorée. Mais c’est un sentiment de citadin. Du côté des ruraux, plus de 40 % d’entre eux pointent la dégradation des transports publics, des commerces et globalement de la qualité des services publics. Le message ici converge avec celui porté par les « gilets jaunes » : une partie de la France s’estime de plus en plus délaissée par l’activité économique et par l’Etat.

En dépit de ce jugement mitigé, les personnes interrogées délivrent un satisfecit à leur équipe municipale. 72 % d’entre elles estiment que leur commune est bien gérée. Et ce chiffre grimpe à 80 % dans les zones rurales, tandis que seulement 59 % des habitants des métropoles sont contents de leur maire. Une bonne nouvelle tout de même à trois mois des élections municipales.

Le clivage ville-campagne n’est pas une chimère. Lorsque l’on demande aux gens leur lieu d’habitation préféré, plus de la moitié des citadins (59 %) plébiscitent la ville et seulement 12 % d’entre eux évoquent la zone rurale. A l’inverse, seuls 5 % des ruraux s’imaginent en ville. Au total, seuls 20 % des Français se prononcent en faveur de la ville. Tout juste reconnaît-on à la métropole son attractivité en matière de loisirs et de culture, de services publics et de commerce. Curieusement, les sondés ne sont que 14 % à évoquer le dynamisme économique et 5 % seulement la diversité de population, alors que l’essence même des grandes cités est d’être avant tout le lieu de toutes les opportunités économiques et sociales. D’ailleurs, plus de la moitié des sondés, et les deux tiers des ruraux, jugent que les métropoles asphyxient les territoires qui les entourent, en attirant entreprises, commerces et travailleurs. A noter une fracture nette entre les sympathisants En marche, qui ne sont que 38 % à porter cette accusation, contre 69 % des proches du RN.

Le premier défaut des villes, la circulation et la pollution

C’est surtout l’automobile qui concentre les critiques. Le premier défaut des villes est la circulation et la pollution, avant même l’insécurité, le stress ou la taille des logements. Une ville, c’est cher et pollué. Le message est désormais tellement bien passé que 70 % des personnes interrogées expriment le sentiment qu’il faut diminuer la place de la voiture. Et ce sont sans surprise près des quatre cinquièmes des citadins qui sont de cet avis. Les écologistes sont naturellement 80 % à estimer qu’il faut le faire, même au prix d’un impact sur le budget et les temps de déplacement. A l’autre bout du spectre, les deux tiers des électeurs RN assurent « qu’étant donné l’ampleur de la crise économique et sociale, il n’est pas urgent de diminuer la place de la voiture ».

Mais la ville est aussi un lieu d’imaginaire, naturellement tournée vers le futur et les utopies. Quatre modèles ont été proposés à l’échantillon. Si la ville connectée et technologique ne fait pas recette (7 %), pas plus que la ville diffuse, à l’américaine, pleine de parcs, de jardins, de pavillons et de centres commerciaux, les personnes interrogées ont préféré, à 34 %, la ville ramassée, celle des courtes distances, où les activités sont proches, les transports publics efficaces et les relations de voisinage encouragées, et plus encore, à 47 %, la ville nature, où les habitants adoptent un style de vie fondé sur le développement durable, la biodiversité et les transports doux. On y limite les déchets et la consommation d’énergie et d’eau.

Ainsi, la boutade d’Alphonse Allais qui préconisait d’installer les villes à la campagne (« l’air y est si pur ! ») est désormais le rêve d’un Français sur deux. Il ne reste plus qu’à l’inventer.