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Gilets jaunes : grand débat, le guide des idées fausses

La consultation nationale ne peut réussir que si les contre-vérités qui circulent sur l'économie sont rectifiées. Onze exemples, chiffres à l'appui.PAR PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS ET MARC VIGNAUD

 

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« Le débat national qui s'ouvre doit nous permettre de parler vrai. Parler vrai, c'est parler de la réalité. Le vœu de vérité, c'est celui qui doit nous conduire, afin de demeurer une démocratie robuste, à mieux nous protéger des fausses informations, des manipulations et des intoxications. On peut débattre de tout, mais débattre du faux peut nous égarer. » Il n'est pas surprenant que le président de la République ait jugé bon de placer la « vérité » au premier rang de ses vœux pour 2019. La crise des Gilets jaunes, qui fait vaciller le pouvoir, s'était appuyée à l'origine sur une réalité économique incontestable, celle d'une pression fiscale ayant atteint un niveau insupportable dans notre pays, champion du monde des prélèvements obligatoires. Mais elle s'est très vite nourrie d'innombrables rumeurs et infox. Tournant en boucle sur les réseaux sociaux comme sur les ronds-points, assénées à longueur de journée sur les plateaux de télévision, des contre-vérités économiques alimentent depuis deux mois, dans une sorte d'auto-empoisonnement psychologique, les colères, les frustrations et les ressentiments, justifiant les revendications financières les plus fantaisistes et les plus irréalistes, enfonçant un peu plus encore le pays dans ce déni de la réalité où il est plongé depuis des décennies. Le grand débat national voulu par le chef de l'État serait déjà une formidable réussite s'il permettait de tordre le cou, dans l'opinion publique, à quelques-unes de ces infox dont voici une liste malheureusement non exhaustive.

INÉGALITÉS « Il n'y en a jamais eu autant dans notre pays » 

Selon certains, la France serait devenue un pays extraordinairement inégalitaire, avec des écarts de niveaux de vie qui n'auraient jamais été aussi grands et qui continueraient de se creuser. Les multiples comparaisons internationales dont on dispose à ce sujet, celles établies par l'OCDE, la Banque mondiale ou encore Eurostat, disent pourtant toutes exactement le contraire. D'abord, la France y apparaît comme l'un des pays les plus égalitaires au monde. Un peu moins égalitaire, certes, que les pays scandinaves, mais beaucoup plus égalitaire que les pays anglo-saxons, les pays d'Europe du Sud, sans même parler des pays émergents. Le coefficient de Gini, classiquement utilisé pour mesurer les inégalités de niveau de vie (il augmente avec celles-ci en variant de 0 à 1), s'est établi à 0,289 en France en 2017. Soit un niveau plus élevé qu'au Danemark (0,263) ou en Finlande (0,259), mais nettement inférieur aux niveaux observés en Espagne (0,341), au Royaume-Uni (0,351), aux États-Unis (0,391) ou encore au Chili (0,454) et en Afrique du Sud (0,620).

Non seulement la France reste donc fidèle à l'esprit de la Révolution en étant l'un des pays parmi les plus égalitaires au monde, mais les inégalités de revenus, contrairement à ce qui a pu être observé dans des pays comme la Suède ou l'Allemagne, y ont reculé au cours des dernières années : s'il se situe encore légèrement au-dessus de son plus bas niveau historique atteint en 1998 (0,279), le coefficient de Gini est en repli par rapport à son pic observé en 2011 (0,305). Enfin, contrairement à une idée très répandue et nourrie par les discours nostalgiques sur les Trente Glorieuses, la France est aujourd'hui bien moins inégalitaire qu'elle ne l'était il y a cinquante ans (le coefficient de Gini s'établissait à 0,337 en 1970) et infiniment moins qu'il y a un siècle (Gini était à 0,460).

 

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Fracture. Dans les rues de Toulouse, le 8 décembre.DETTE « Elle est artificielle » 

 

C'est, pour l'essentiel, par l'emprunt et le recours à la dette que vont être financées les mesures, d'un montant estimé à environ 10 milliards d'euros, annoncées par le gouvernement pour répondre aux revendications des Gilets jaunes sur le pouvoir d'achat. Résultat, le déficit budgétaire pour 2019, initialement prévu, au mois de septembre 2018, à 98,7 milliards d'euros, devrait finalement s'élever à 107,7 milliards d'euros, contraignant l'État à augmenter parallèlement, pour boucher ce trou plus important que prévu, son programme d'émissions obligataires sur les marchés financiers. Selon un communiqué du 20 décembre 2018 de l'Agence France Trésor, chargée de la gestion de la dette publique, le déficit atteindra en 2019 le montant record de 236,6 milliards d'euros, dont 130,2 milliards d'euros pour le seul remboursement d'emprunts venant à échéance. Autrement dit, ce sont environ 20 milliards d'euros que l'État va devoir emprunter chaque mois auprès des investisseurs français et étrangers. Avec des conséquences sur le dérapage du déficit budgétaire et l'augmentation de la dette publique, dont le niveau pourrait du même coup franchir dans les prochains mois le seuil symbolique des 100 % du PIB.

Or la dette publique, grande absente des débats, est devenue l'un des principaux problèmes économiques de la France, atteignant des niveaux dangereusement inédits, alors même que le seul paiement des intérêts sur la dette existante devrait représenter 42 milliards d'euros en 2019, soit 4 fois la somme déboursée dans l'urgence en faveur du pouvoir d'achat. Il est tout de même étonnant de constater à quel point les Gilets jaunes, obsédés, non sans raison, par leur propre pouvoir d'achat, se soucient aussi peu de celui de leurs enfants et de leurs petits-enfants, à qui incombera la tâche de rembourser, avec leurs impôts, cette dette. Il est vrai que cette dernière est présentée par certains leaders du mouvement comme une « dette illégitime », créée intentionnellement et artificiellement dans le seul but d'enrichir les banques privées et qu'on pourrait, sans que cela pose la moindre difficulté, ne plus rembourser du jour au lendemain. Il faudrait tout de même leur rappeler que, sans les 107 milliards d'euros prêtés cette année par nos créanciers pour combler notre déficit, c'est un fonctionnaire sur trois qui ne pourrait plus être payé. L'indifférence au problème de la dette est symptomatique du haut degré d'intoxication à cette drogue dure dont le pays use et abuse depuis des décennies.

 

PIB « La France est très riche » 

 

« Il y a énormément de richesses en France » est probablement l'une des phrases qui revient le plus souvent dans le discours des Gilets jaunes, qui entendent avec cet argument justifier des mesures supplémentaires en faveur du pouvoir d'achat. C'est oublier que la France connaît depuis une décennie une croissance économique très faible, qu'elle crée du même coup moins de richesses que la plupart des autres grands pays industrialisés. La comparaison avec l'Allemagne est à cet égard édifiante. Depuis 2006, date à laquelle les deux pays avaient quasiment le même niveau de PIB par habitant (29 500 euros en Allemagne, 29 100 euros en France), celui de l'Allemagne a progressé de 34,2 %, pour atteindre 39 600 euros en 2017, alors qu'il n'a augmenté en France que de 17,5 %, pour s'établir à 34 200 euros. L'écart de richesses par habitant a été multiplié par plus de 13, passant de 400 à 5 400 euros.

En dehors de ses problèmes de compétitivité, une des raisons pour laquelle la France crée moins de richesses que les autres pays est qu'on y travaille moins qu'ailleurs, que ce soit à l'échelle de la semaine (35 heures), de l'année (plus de jours de congés, de RTT, d'absentéisme) ou de la vie professionnelle (âge de départ à la retraite plus précoce qu'ailleurs). En quarante ans, le volume d'heures travaillées a baissé de 20 % en France alors qu'il est resté stable en moyenne dans les pays de l'OCDE. Ce déficit de travail se trouve accentué par la persistance d'un chômage de masse en France (8,9 %) alors que presque tous les autres grands pays industrialisés connaissent aujourd'hui le plein-emploi : le taux de chômage s'établit à 2,4 % au Japon, 3,3 % en Allemagne, 3,7 % aux États-Unis, 4 % au Royaume-Uni.

COÛT DE LA VIE « Tout est toujours plus cher, il y a trop d'inflation » 

L'opinion populaire selon laquelle « la vie est de plus en plus chère, il y a beaucoup d'inflation », ne se trouve guère étayée par les statistiques. Qui indiquent au contraire que les pays occidentaux en général, et la France en particulier, connaissent une période d'inflation exceptionnellement modérée. Depuis seize ans, les prix à la consommation ont augmenté de 1,4 % en moyenne par an, soit nettement moins que le rythme moyen observé de l'après-guerre jusqu'au milieu des années 1980 (+ 10,1 % par an). Moins aussi qu'au cours des quinze années ayant précédé l'introduction de l'euro (+ 2,1 % entre 1986 et 2001). Depuis 2002 et le choc psychologique qu'a représenté l'introduction de l'euro, l'inflation n'a même dépassé le seuil de 2 % qu'à quatre reprises (2003, 2004, 2008 et 2011). En 2018, où de nombreux Français ont eu le sentiment d'une flambée des prix en raison de la hausse des prix de l'essence et du tabac, les prix à la consommation n'ont progressé sur un an que de 1,6 %.

Cette faiblesse officielle de l'inflation ne manque pas de nourrir les thèses complotistes selon lesquelles l'Insee manipulerait les chiffres afin de minorer la hausse des prix réelle. L'économiste Philippe Herlin a développé ces accusations dans un livre, « Pouvoir d'achat, le grand mensonge » (Eyrolles, 2018), qui lui a valu une réponse longue, précise, détaillée, cinglante et surtout très convaincante du patron de l'Insee, Jean-Luc Tavernier, et de ses équipes.

 

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Acte VIII. A Toulouse, le 5 janvier.POLITIQUE PUBLIQUE « On paie des décennies d'ultralibéralisme » 

 

Selon le discours des leaders de La France insoumise et du Rassemblement national, les difficultés économiques du pays résultent des « politiques ultralibérales » menées depuis plusieurs décennies dans notre pays. Lesquelles, censées s'être traduites par un désengagement financier de l'État dans tous les secteurs, par des coupes claires dans les dépenses publiques et les effectifs de fonctionnaires, expliqueraient tout à la fois la détérioration des services publics et la montée de la précarité sociale. Cette interprétation apparaît fort éloignée de la réalité des données qui indiquent, au contraire, que jamais le poids de l'État dans la vie économique du pays n'a été aussi élevé et que jamais l'État-providence n'a été aussi développé qu'aujourd'hui. En trente ans, les dépenses publiques ont été multipliées par trois, passant de 416 milliards d'euros en 1987 à 1 294 milliards d'euros en 2017 et de 50 % à 57 % du PIB. Quant aux seules dépenses de protection sociale, qui représentaient 14,3 % du PIB en 1959, 24,5 % en 1981 et 29,6 % en 2006, elles ont atteint 32 % du PIB en 2016 (714 milliards d'euros). Enfin, les effectifs de la fonction publique sont passés de 3,86 à 5,66 millions entre 1980 et 2017, soit une hausse de 47 %, à comparer avec une hausse de 24 % de la population française (de 54 à 67 millions). Ils ont même littéralement flambé dans la fonction publique territoriale (+ 93 %, de 1,02 à 1,97 million de salariés) mais aussi, contrairement à une idée très répandue, dans la fonction publique hospitalière (+77 %, de 671 000 à 1,19 million de salariés).

SALAIRES « Il faut augmenter le smic » 

Malheureusement, les travailleurs modestes, bien souvent Gilets jaunes, pourraient être les premiers perdants d'une hausse du smic. Un groupe d'experts chargé chaque année de plancher sur le sujet le répète inlassablement : « Le smic brut [cotisations salariales et salaire net compris, NDLR] place la France parmi les pays de l'OCDE où le salaire minimum, en proportion du salaire médian, est parmi les plus élevés », aux alentours de 60 %. Autrement dit, à ce niveau, il dissuade déjà les employeurs d'embaucher. Alors, pour éviter cela, les gouvernements successifs se sont lancés dans une course ruineuse à la baisse des cotisations patronales. C'est ce qui explique qu'au final le coût total du travail au niveau du salaire minimum se situe tout juste au niveau moyen de l'ensemble des pays de l'OCDE (en proportion du salaire médian). Quant au salaire minimum net payé aux salariés, il ne paraît pas scandaleux au regard de ce qui se pratique ailleurs. Loin de là. En proportion du salaire net médian, le smic français est le plus élevé parmi les pays de l'OCDE et il a encore progressé en 2018 avec les baisses de cotisations salariales d'Emmanuel Macron. Ce qui ne veut pas dire qu'il est facile de vivre avec un smic, quoique 1,2 million de salariés rémunérés « autour du salaire minimum »appartiennent aux 30 % de foyers fiscaux les plus aisés parce qu'ils ont d'autres sources de revenus, a rappelé le Premier ministre, Édouard Philippe…

L'augmentation de la prime d'activité (versée par l'État aux travailleurs modestes en fonction des revenus de l'ensemble du foyer) apparaît donc comme une meilleure alternative. Car jouer sur le salaire minimum reviendrait à augmenter le coût du travail et menacerait l'emploi ainsi que la compétitivité française, qu'il s'agit de renforcer. Il en va de la productivité des entreprises et donc de leur capacité, in fine, à augmenter le niveau des salaires. Y compris le salaire minimum.

CICE « L'État donne trop d'argent aux entreprises » 

C'est une revendication que l'on entend de plus en plus. Pour augmenter le pouvoir d'achat des Français, il n'y aurait qu'à se servir, notamment, dans la poche des entreprises. Par exemple, en s'attaquant au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), instauré en 2013 par François Hollande. Sa bascule en baisse de charges patronales pérenne, cette année, est particulièrement visée. Celle-ci va en effet entraîner un double coût pour les finances publiques, en 2019 : celui du versement du crédit d'impôt accordé aux entreprises au titre de l'exercice de l'année précédente, mais aussi celui des baisses de cotisations. En renonçant à cette réforme, Emmanuel Macron pourrait donc récupérer les 20 milliards d'euros de surcoût que cela va entraîner. Et s'en servir pour financer des mesures en faveur du portefeuille des Français.

C'est ce qu'a notamment réclamé Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste. Sauf qu'il oublie de préciser que ce surcoût est exceptionnel. Renoncer à cette baisse du coût du travail ne peut donc pas financer des hausses durables de prestations. Imagine-t-on expliquer aux Gilets jaunes que le gouvernement va augmenter pendant un an leurs allocations logement (par exemple) avant de les diminuer l'année suivante ?

Malgré ses défauts liés à sa complexité, le CICE a d'ailleurs permis de reconstituer les marges des entreprises françaises, durement touchées par la crise financière et par l'augmentation du coût du travail dans les années 2000. Un préalable indispensable à la modernisation de l'appareil productif et à la survie de l'industrie française, grosse pourvoyeuse d'emplois en dehors des grandes métropoles françaises. Là où se concentre précisément la colère des Gilets jaunes.

ÉVASION FISCALE « De l'argent, il y en a, il suffit de lutter contre la fraude » 

Il y aurait 100 milliards d'euros de fraude fiscale. Voilà le chiffre magique susceptible de résoudre tous les problèmes. En luttant mieux contre ceux qui refusent de payer leurs impôts et leurs taxes, il serait possible d'éradiquer le déficit de l'État et donc de dépenser plus ! La solution est un peu trop simpliste. D'abord, parce que les estimations des fraudes fiscale et sociale sont très fragiles. La preuve, c'est qu'elles varient selon les organismes qui les produisent. Par définition, l'argent soustrait des services du fisc n'est pourtant pas connu. Mais aussi parce que la lutte contre la fraude, déjà très efficace, nécessiterait d'engager de nombreux agents à Bercy, ce qui coûterait cher, pour des rendements décroissants, puisque ses services se concentrent déjà sur les fraudes les plus importantes. C'est d'ailleurs Solidaires finances publiques, un syndicat des agents de Bercy, qui arrive au chiffre le plus élevé avec 100 milliards rien que pour la fraude fiscale…

Ensuite, si toutes les activités au noir étaient fiscalisées du jour au lendemain, certaines d'entre elles n'auraient jamais lieu. Dans un post de blog éclairant, le professeur d'économie à Lille-1 Alexandre Delaigue rappelle l'exemple de la fraude à la voiture d'occasion achetée en Europe, très répandue il y a quelques années. Les revendeurs de voitures qui la pratiquaient ont largement disparu, car ils ne sont plus rentables sans cette fraude, souligne-t-il.

Enfin, beaucoup confondent fraude et optimisation fiscale. Lutter contre l'optimisation nécessite de changer les règles de la fiscalité internationale. Ce qui suppose de mettre tout le monde d'accord. En la matière, des avancées ont eu lieu. Depuis le 1erjanvier, une bonne partie du plan d'action élaboré en 2015 par l'OCDE pour lutter contre l'érosion des bases fiscales est entrée en vigueur dans l'Union européenne. Et, depuis peu, les États échangent automatiquement toutes les informations sur les comptes bancaires (numéro et solde du compte, intérêts perçus, etc.) de leurs ressortissants à l'étranger.

IMPÔTS « Les riches n'en paient pas » 

Un profond sentiment d'injustice fiscale anime depuis l'origine le mouvement des Gilets jaunes, né du refus d'une hausse de la taxe sur les carburants venant grever le budget des ménages les plus modestes contraints d'utiliser leur voiture pour aller travailler, alors que le gouvernement s'était empressé de supprimer l'ISF. D'où cette phrase souvent entendue dans les reportages effectués sur les ronds-points : « Ce sont toujours les petits qui paient. »C'est ignorer le caractère extraordinairement redistributif et solidaire de notre système sociofiscal, dont l'Insee, dans son dernier « France, portrait social », rappelle quelques données chiffrées. En 2017, avant la redistribution monétaire par le biais des impôts directs et du versement des prestations sociales, le niveau de vie moyen des 20 % de Français les plus aisés se situait à 56 130 euros par an, soit 8,4 fois plus que le niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus modestes (6 720 euros par an). Après redistribution, ce rapport n'était plus que de 3,9, correspondant à une augmentation de 72 % du niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus pauvres et à une diminution de 20 % de celui des 20 % les plus riches. Les prestations sociales (aides au logement, minima sociaux, allocations familiales, etc.) contribuent aux deux tiers à la réduction des inégalités des niveaux de vie et l'impôt sur le revenu y participe à hauteur d'un tiers. Ce dernier n'a été acquitté en 2017 que par 43,14 % des foyers fiscaux, les 10 % de Français les plus aisés en ayant payé à eux seuls 70 % (55 sur 78 milliards d'euros). On sait les Gilets jaunes très favorables à un référendum d'initiative citoyenne (RIC) pour rétablir l'ISF, que tous les autres pays européens - même scandinaves - ont pourtant choisi de supprimer en raison des effets négatifs qu'il avait sur l'attractivité et la croissance et qui ne représentait en France qu'une goutte d'eau dans l'océan des prélèvements obligatoires (4 milliards d'euros sur 1 100 milliards).

POUVOIR D'ACHAT « Il ne cesse de se dégrader » 

Voilà une évidence pour beaucoup de Français. Pourtant, les chiffres - même arides et insensibles au ressenti des individus - sont clairs. Non, il n'y a pas eu de baisse de pouvoir d'achat, et ce, même après l'éclatement de la crise financière en 2008, sauf ponctuellement en 2012 et 2013, et contrairement à d'autres pays européens bien plus affectés comme l'Espagne, l'Italie, le Portugal et plus encore la Grèce.

Si l'on rapporte l'évolution du pouvoir d'achat à la taille des foyers, réduite par les divorces et les décohabitations, le pouvoir d'achat n'a pas non plus reculé. Mais c'est vrai qu'il a « quasiment stagné » depuis 2008, détaille l'Insee dans une note de conjoncture parue en octobre 2018. Et que certaines catégories de ménages, en particulier les plus modestes, ont vu leur niveau de vie baisser. Ce qui explique sans doute, avec la montée continue des dépenses « pré-engagées » (particulièrement forte chez les ménages modestes), l'impression que les statistiques officielles ne reflètent pas la réalité.

Reste qu'il y a quelque chose de paradoxal à voir le mouvement des Gilets jaunes se constituer à partir d'octobre 2018, précisément au moment où la politique fiscale d'Emmanuel Macron - après avoir fait chuter le pouvoir d'achat au premier semestre avec la hausse de la CSG ainsi que celle des taxes sur le carburant et le tabac - commençait à le faire progresser avec la suppression d'un tiers de la taxe d'habitation (sauf pour les 20 % les plus aisés) et la montée en puissance des baisses de cotisations salariales, qui ont augmenté le salaire net des salariés.

ÉLUS « Leur rémunération nous coûte une fortune » 

Il y a quelques semaines circulait, sur les pages Facebook des Gilets jaunes, une rumeur selon laquelle une prime de Noël de 8 000 euros avait été accordée aux députés et aux sénateurs. Cette information erronée s'appuyait sur la reprise d'articles de presse dénonçant le système mis en place jusqu'en 2014 par des sénateurs UMP pour siphonner en leur faveur des crédits théoriquement réservés à la rémunération d'assistants… Plus inquiétant encore, on entend parfois dire que la rémunération des élus et le coût des institutions suffiraient presque à expliquer où est passé le « pognon » des Français, selon le mot devenu fameux de la Gilet jaune Jacline Mouraud, dans sa vidéo coup de gueule qui a cartonné sur le Web. Les sommes en jeu restent pourtant très modestes. Selon l'ancien député socialiste René Dosière, spécialiste du contrôle des dépenses des élus, le budget de la présidence de la République ajouté à celui de l'ensemble du gouvernement (rémunération des ministres et des collaborateurs comprise) mais aussi à celui de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'à celui des deux chaînes parlementaires et du Conseil constitutionnel, atteint 1,3 milliard d'euros. Un chiffre à rapprocher des 1 345 milliards de dépenses publiques prévues en 2019… Cela représente 0,1 % du total, ou un gain de 19 euros par Français et par an si tout était supprimé. Quant à baisser arbitrairement la rémunération de l'ensemble des élus de la nation de 10 %, cela rapporterait… 150 millions d'euros par an. Une paille, même si le niveau de rémunération des élus a, évidemment, une forte valeur symbolique.