Dans un livre, Benoît XVI met la pression sur le pape François, à quelques jours d'une décision importante sur le célibat des prêtres.
Au moment de sa renonciation en 2013, il avait fait la promesse de se réfugier dans le silence et la prière. Mais une fois de plus, le « pape émérite » Benoît XVI a provoqué de vifs remous dans la cité du Vatican. Dans un ouvrage à paraître ce mercredi (Des profondeurs de nos cœurs, chez Fayard) et dont Le Figaro a publié dimanche les premiers extraits, Joseph Ratzinger, 92 ans, réaffirme son attachement au célibat des prêtres. Un « cri d'alarme » perçu chez les vaticanistes comme une mise en garde à l'attention de son successeur, le pape François.
En effet, la date de sortie de l'ouvrage ne doit rien au hasard. En octobre dernier, un synode à Romea évoqué la possibilité d'ordonner prêtres des hommes déjà mariés, et ce dans les zones reculées de l'Amazonie, pour pallier le manque de vocations. Et c'est précisément dans les semaines à venir que le souverain pontife, Jorge Mario Bergoglio, doit trancher cette épineuse question qui divise le clergé. Outre le timing, le coauteur de l'ouvrage, aux côtés de Ratzinger, n'est pas un inconnu :Robert Sarah , cardinal guinéen, occupe – sur nomination de François – l'influent poste de préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. C'est en outre l'une des figures des ultraconservateurs de la curie romaine, qui goûterait peu les timides élans réformateurs du pape argentin.
« Le célibat est indispensable. Je ne peux pas garder le silence », justifie l'ancien cardinal bavarois, que l'on dit très affaibli par l'âge. « La capacité de renoncer au mariage pour se rendre totalement accessible au Seigneur est devenue un critère du ministère sacerdotal », défend-il. Bien que l'ordination d'hommes mariés puisse être très limitée, pour le cardinal Sarah, les conséquences seront lourdes : « Tout affaiblissement du principe du célibat, même limité à une seule région, ne saurait être une exception mais une rupture, une blessure dans la cohérence interne du sacerdoce », expliquait-il au Figaro.
L'erreur de Benoît XVI
« Peu importe le contenu du livre, c'est une grosse erreur. La question du célibat est toujours en cours d'examen et Benoît XVI, qui n'est pas un catholique ordinaire, qui jouit d'une certaine autorité, interfère dans ce processus », déplore Massimo Faggioli. Pour le théologien de l'université de Villanova (États-Unis), cette intervention, aux allures « d'opération médiatique planifiée », est faite pour « mettre la pression sur le pape François dans sa prise de décision ». L'historien émet cependant des doutes sur l'origine de ces écrits : « Ce sont bien les positions de Benoît XVI, mais j'ai du mal à croire qu'il ait accepté consciemment de saper l'autorité du pape […]. Je pense que l'on cherche surtout à se servir de l'influence du pape émérite. »
D'ailleurs, ce mardi matin, un premier rétropédalage du côté de Benoit XVI a été observé. Georg Gänswein, le secrétaire particulier de l'ancien souverain pontife, a déclaré en fin de matinée que, « sur les instructions du pape émérite », il avait demandé au cardinal Sarah de « contacter les éditeurs du livre et de leur demander de retirer le nom de Benoît XVI en tant que coauteur du livre et de retirer sa signature de l'introduction et des conclusions également. ». De son côté, le cardinal guinéen se défend et publie les courriers échangés avec l'ex-Saint-Père attestant leur collaboration sur la question du célibat des prêtres.
Face au mini-séisme médiatique, le Vatican avait été contraint de réagir. Hier, Matteo Bruni, le directeur du bureau de presse du Saint-Siège, a ainsi dû rappeler que « la position du Saint-Père sur le célibat est connue », répétant les mots du pape argentin, prononcés il y a un an : « Je préfère donner ma vie que de changer la loi sur le célibat. »
Désunion
Bien qu'il ait quitté sa fonction pontificale il y a sept ans, Ratzinger est resté une figure de référence dans les franges les plus conservatrices de l'Église catholique. Des franges sérieusement hostiles à l'élection du jésuite à la tête du Saint-Siège et à ses politiques d'ouverture (notamment vers l'Islam). Et après quelques années de silence, les prises de position de Benoît XVI n'ont plus été réservées à ses seuls visiteurs au monastère Mater Ecclesia, à l'abri dans les jardins du Vatican. En avril dernier, il créait ainsi la polémique en publiant dans un mensuel allemand un long commentaire pointant la révolution sexuelle de 1968 et l'effondrement de la foi en Occident comme causes des scandales de pédophilie dans l'Église catholique.
Si la publication du livre de Benoît XVI est une surprise, sa prise de position doctrinale, elle, n'étonne guère une partie de la presse italienne. « Cette sortie, comme les précédentes, prend le sens d'un appel à « resserrer les rangs » contre la perspective théologique de François, qui n'est donc pas seulement l'église tournée vers les pauvres et les migrants, mais aussi ouverte à l'histoire. Ratzinger a toujours rejeté ce rôle d'« idéologue » de l'opposition, mais les faits parlent d'eux-mêmes »,écrit dans Il Sole 24 Ore le vaticaniste Carlo Marroni.
Cette opposition est celle « d'une minorité, mais ils sont audibles, ils ont des rôles importants dans l'Église », souligne le théologien Massimo Faggioli. Et de poursuivre : « Cela alimente l'idée d'une alternative au pape François. Et c'est très dangereux pour l'Église catholique, qui mise beaucoup sur l'unité. Désormais, il semble que le pape émérite est en train de devenir un ministère de la désunion. »